samedi 14 mai 2016

Diversion cousue de fil blanc [Actu]

Une reprise de l'écran de télé au moment où Margarita Barrientos,
à gauche, raconte son abracadabrante histoire

Il y a environ une semaine, on a appris que Hebe de Bonafini, la très kirchneriste et très sectaire présidente de Madres de Plaza de Mayo, allait être reçue au Vatican en audience privée par le Pape. Ce qui n'a pas manqué de surprendre le grand public (non catholique pratiquant) parce que la dame en question l'a pendant des années abondamment insulté, y compris après son élection, avant de retourner récemment sa veste et d'entamer avec lui une correspondance raisonnable. Toutefois sur son hostilité à Mauricio Macri, la très turbulente militante bientôt nonagénaire n'a jamais rien lâché : elle considère toujours le président argentin, pourtant démocratiquement élu, comme "son ennemi" (sic) et l'ennemi de la cause qu'elle entend servir. Elle refuse catégoriquement de le rencontrer, de le croiser et encore plus d'échanger la moindre parole avec lui.

Au Pro, le parti de Macri, et un peu au-delà, parmi les alliés formant la coalition Cambiemos au pouvoir depuis le 10 décembre, un certain nombre d'hommes politiques réagissent donc très mal à ce qu'ils interprètent comme un honneur fait par le Pape à une harpie alors qu'en mars dernier, ce même Souverain Pontife avait accueilli le couple présidentiel argentin avec sa tête des mauvais jours (voir à ce sujet mon article du 28 février 2016). C'est oublier bien vite deux éléments spirituels qui comptent plus pour François que les petits calculs politiciens argentino-argentins : tout d'abord, nous sommes dans une année jubilaire consacrée à la Miséricorde, avec pour devise spirituelle "Miséricordieux (aimants) comme le Père" (Misericordes sicut Pater), or François, qui veut prêcher d'exemple, ne manque jamais une occasion de faire œuvre de miséricorde (ce qui, en langage catholique, signifie se glisser dans l'amour de Dieu pour les hommes et agir en leur faveur sous l'inspiration du Saint Esprit) (1). En second lieu, Jorge Bergoglio a toujours refusé de juger les mères qui avaient perdu un fils assassiné, au premier rang desquelles figurent toutes les militantes des deux associations de Madres de Plaza de Mayo ainsi que la plupart des Abuelas de Plaza de Mayo. "Devant une mère à qui on a tué un enfant, avait-il coutume de dire lorsqu'il exerçait son ministère épiscopal à Buenos Aires, je m'agenouille sans poser de question".

Or il y a deux jours, une militante sociale, qui anime un réfectoire caritatif à Buenos Aires et qu'on dit très proche de Mauricio Macri, Margarita Barrientos, sans doute une femme dévouée, avec un cœur gros comme ça, mais sans doute très naïve et peu lucide en politique, est venue à la télévision sortir de ses archives une vieille affaire datant du 24 avril 2013 : selon elle, le Pape François lui aurait fait savoir, au début avril, qu'il acceptait de la recevoir. Elle aurait donc fait le long voyage jusqu'à Rome, où elle aurait été introduite dans une antichambre dans l'attente de l'audience tant espérée, par une fidèle du diocèse de Buenos Aires, après quoi un garde suisse serait venu l'expulser d'une manière plutôt cavalière, le jour même où Estela de Carlotto avait l'honneur, elle, d'être reçue (2). Telle quelle, cette histoire apparaît d'emblée dans toute son invraisemblance. Non que Madame Barrientos mente, mais on lui a fait croire n'importe quoi, Rien ne colle dans son récit, tout est poussé dans le cliché, notamment ces détails de l'antichambre et du garde suisse (comme si au Vatican les gardes suisses étaient comme les couteaux du même pays, faisant tout en même temps office d'huissiers, de secrétaires, de valets de pied et tutti quanti...). La pseudo-révélation n'en a pas moins hélas causé un grand émoi dans le monde médiatico-politique argentin, tous les journaux rivalisant de commentaires, tous plus absurdes les uns que les autres (3). Et Elisa Carrió, qui a l'air de faire avec Hebe de Bonafini un concours de déclarations fracassantes et sectaires, en a profité pour lancer un nouveau coup de griffe contre le Pape, que cette soi-disante pratiquante catholique a dans le nez depuis son élection : elle a exprimé "la honte" que lui inspirait le supposé comportement papal.

Aujourd'hui, certaines sources plus qu'autorisées ont fait savoir qu'en avril 2013, le Pape n'avait pas même été informé de la présence de Margarita Barrientos à Rome (elle n'a donc certainement pas été introduite dans une antichambre pontificale) et que jamais, au grand jamais, il n'avait refusé de la recevoir. Ce démenti est arrivé non par le canal officiel (nonciature ou service de presse du Père Lombardi, sj, au Vatican) mais par l'entremise d'un prêtre diocésain, exerçant son ministère dans une paroisse du quartier de Villa Urquiza, qui a conservé un lien fort avec son ancien archevêque, et par la voix duquel François a tenu à clarifier la situation sans lui accorder la dimension politique qu'elle a de fait. Les médias s'emballent sur cette nouvelle interprétation comme ils l'avaient fait sur la précédente et on raconte même maintenant, jusque dans les dépêches de Télam, que Margarita Barrientos s'était rendu à Rome en profitant du voyage qu'un orfèvre, brouillé avec le cardinal Jorge Bergoglio, sj, faisait de son côté, sans doute pour tenter de réparer les dégâts de sa brouille avec l'ancien archevêque de Buenos Aires devenu pape (4). Elle aura sans doute été victime de la manipulation du bonhomme qui lui aura fait prendre des vessies pour des lanternes et l'aura emmenée avec lui en espérant grâce à elle et à son implication dans cette œuvre sociale, s'ouvrir un chemin jusqu'au successeur de Pierre. Et c'est un peu ce qu'elle vient de reconnaître en avouant, avec une franchise confondante, que jusqu'à présent, elle avait conservé ce douloureux souvenir dans son cœur de catholique blessée mais qu'il y a quelques jours, des militants du Pro lui avaient suggéré qu'il serait bon de faire un peu de bruit médiatique autour de cette mésaventure vaticane. Tiens donc ! Elle reconnaît maintenant qu'elle est sûre que le Pape ne savait pas qu'elle était dans la Ville Eternelle.

Tout cela donc dans le seul but de déconsidérer l'audience accordée à Hebe de Bonafini, qui suit actuellement un protocole médical pour savoir si elle peut entreprendre le déplacement à 87 ans, et surtout, bien au-delà de cette vieille dame acariâtre et fort peu sympathique, s'en prendre au Souverain Pontife lui-même dont le discours social déplaît à tous les néo-libéraux, que ce soit en Argentine ou ailleurs dans le monde.
Tout cela dans un moment riche en événements : Página/12 venait de soulever un lièvre, l'audience accordée par le ministre de la Justice argentin à une militante d'extrême-droite fort déplaisante, qui défend les criminels de la dictature et veut les faire considérer comme des prisonniers politiques qui devaient tous être libérés, et par ailleurs, la Conférence épiscopale argentine, reçue par Mauricio Macri dans la résidence de Olivos, plaidait pour une politique qui lutte vraiment pour la pauvreté alors que les écarts entre plus riches et plus pauvres se creusent sous l'effet conjoint de la vague de licenciements dans le public et le privé, de l'effondrement du Brésil et de la Chine et de la reprise phénoménale de l'inflation après la dévaluation du début du mandat présidentiel.

Une petite diversion bien utile mais qui a bu le bouillon !

Pour en savoir plus :
lire l'article de Clarín du 12 mai (sur les propos de Margarita Barrientos)
lire l'article de La Nación du même jour
lire la dépêche de Télam du 10 mai sur la perspective d'audience pour Hebe de Bonafini
lire l'article de Página/12 le 11 sur le même thème
lire l'article de ce matin dans La Prensa sur le démenti du Vatican
lire l'article de ce matin de La Prensa sur le démenti de Margarita Barrientos
lire la dépêche de Télam sur le démenti de Estela de Carlotto sur son implication dans cette affaire
lire l'article de La Prensa sur les intentions de Hebe de Bonfini
lire l'article d'hier sur Infobae (un journal de l'opposition) sur les démentis du Vatican
lire la dépêche de Télam sur les raisons cachées du refus supposé du Pape de recevoir Margarita Barrientos (l'affaire mélodramatique du garçon repoussé par son père et adopté par l'archevêque, il s'agit aujourd'hui d'un artisan d'art qui travaille pas mal pour les besoins de la liturgie catholique et pour les cadeaux que le Pape offre aux diocèses qu'il visite au cours de ses tournées pastorales).

Ajout du 15 mai 2016 :
lire l'éditorial de Página/12 qui conclut l'affaire en ridiculisant la stratégie à très courte vue des macristes qui se sont lancés dans cette désinformation particulièrement mal bâtie, avec ou sans ordre supérieur pour le faire. Ils ont dû être pris de court par l'annonce de l'audience prochaine, ce qui semblerait prouver qu'elle est bel et bien significative.

Ajout du 20 mai 2016 :
lire l'entrefilet de La Prensa, sur l'invitation du Vatican à Margarita Barrientos qui aurait pu rencontrer le Pape à l'occasion d'un congrès mondial sur l'éducation qu'il clôturera lui-même dans quelques temps. Elle a néanmoins refusé cette invitation pour cause d'agenda trop chargé.
Lire l'article de Clarín

Ajout du 26 mai 2016 :
le Pape François s'est exprimé sur l'audience qu'il accordera demain à Hebe de Bonafini. Il y redit que cette femme l'a insulté, souvent et copieusement, mais qu'il s'incline néanmoins devant sa douleur et que cette audience est accordée comme un geste de miséricorde, dans le cadre de ses démarches jubilaires. Lire l'article de La Prensa.

Ajout du 27 mai 2016 :
Clarín reprend l'information en provenance directe du Pape François qui s'est exprimé auprès d'un de ses proches et qui lui a déclaré que l'éventuelle récupération de cette audience par Hebe de Bonafini n'était pas son problème à lui (sous-entendu mais le sien à elle). Or Clarín est très hostile aux associations des droits de l'homme qui se sont alignées sur la ligne kirchneriste.


(1) C'est d'ailleurs ainsi que le cardinal Mario Poli interprète l'audience accordée à Hebe de Bonafini. Lire à ce propos l'article de Clarín du 12 mai 2016. Et il ne faut pas non plus oublier que les audiences papales peuvent être un lieu de médiation et de conciliation. Il se peut que le Saint Père ait été sollicité par le gouvernement argentin ou se soit entremis de sa propre initiative ou sur demande des évêques argentins entre lui et Madres de Plaza de Mayo pour arrondir les angles entre la majorité démocratiquement élu et cette personnalité difficile et incontrôlable et permettre à celle-ci de sortir la tête haute du piège dans lequel elle s'est elle-même empêtrée par ses déclarations furibondes de la mi-décembre.
(2) N'oublions pas que ce jour-là, Estela de Carlotto n'a pas été à proprement parler reçue par le Souverain Pontife. Il s'est simplement arrêté pour échanger quelques mots avec elle et la délégation qui l'accompagnait, au cours de la virée qu'il effectue, sur la place Saint-Pierre, parmi les fidèles venus à l'audience générale du mercredi, à l'issue de celle-ci. Lire à ce propos mon article du 25 avril 2013.
(3) Le plus dingue a été de rendre Estela de Carlotto responsable de l'humiliation de Margarita Barrientos. Ce serait elle qui aurait demandé au Pape de ne pas recevoir la militante-cuisinière. Une absurdité totale ! D'où Estela de Carlotto aurait-elle reçu la capacité d'influencer l'agenda des audiences pontificales, plus encore en avril 2013 que maintenant, où une telle emprise sur l'Evêque de Rome relève de toute évidence de l'aberration pure et simple !
(4) Il semblerait que l'artisan d'art ait plus ou moins abandonné l'éducation de l'un de ses fils que Jorge Bergoglio aurait dès lors pris sous son aile et que le père, qui n'a jamais tâché de se réconcilier avec son fils, aurait dès lors été persona non grata pour le prélat. Il n'est cependant nullement avéré que c'est la présence de cet accompagnateur indélicat qui expliquerait la déception énorme de Margarita Barrientos, qui se dit très croyante et dont on peut imaginer la déconvenue au retour d'un tel voyage à Rome, dans le climat d'exaltation autour de l'élection d'un pape argentin qui régnait dans tout le pays mais encore plus dans la capitale fédérale.