jeudi 26 mai 2016

Un 25 de Mayo qui contraste avec le 10 décembre [Actu]


Ce 25 Mai aura donc été bien éloigné de l'atmosphère d'allégresse populaire qui avait marqué la prestation de serment du 10 décembre : en ce jour de fête nationale, pour permettre au Président de se rendre, entouré des corps constitués, au Te Deum à la cathédrale, sur la place, du côté nord, en évitant de se faire conspuer par les manifestants ou attaquer à coups de tomate pas fraîche ou d'œufs malodorants, Plaza de Mayo aura finalement été barricadée et interdite au public. Un comble pour un jour de fête nationale qui célèbre précisément les événements fondateurs du pays qui se sont produits sur cette même place, le 25 mai 1810 lorsqu'elle s'appelait encore Plaza de la Victoria. Tôt dans la matinée, les manifestants avaient été repoussés un peu plus loin, vers l'ouest, dans une avenue latérale, pas très loin de la cathédrale mais hors de la place qu'ils avaient partiellement investie quelques heures plus tôt.

Voilà la plus "joyeuse" des unes de la journée
Sous la photo principale, les déclarations de la vice-présidente.
Mais si l'article est en bonne position sur la une
on ne le trouve pas dans le site Internet du journal
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Pour justifier cette opération sécuritaire qui a transformé la place révolutionnaire emblématique en camp retranché inaccessible aux citoyens ordinaires, dont c'est le point le point de rendez-vous tous les 25 mai, la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, politicienne quelque peu va-t-en-guerre, a prétendu qu'un groupe terroriste, porteur de cocktails molotov, avait été arrêté dans les environs de la place. Plus tard la Police Fédérale, qui, depuis janvier à Buenos Aires, est placée sous les ordres du gouvernement local et non plus national (aberrant mais vrai !), et le Gouvernement de la Ville de Buenos Aires lui-même, qui appartient pourtant à la majorité nationale, ont démenti l'arrestation en question. Les personnes détenues n'auraient été, si l'on me permet cette restriction, que des délinquants prêts à faire brûler des voitures, à la mode de nos banlieues à la Saint Sylvestre (ce qui n'est pas rien, mais ce n'est pas aussi grave que de lancer des explosifs dans une foule, contre le palais présidentiel ou contre son occupant qui traverse la place à pied pour se rendre au Te Deum). Même un quotidien de droite comme La Nación s'étonne ce matin de cette place interdite et des explications fumeuses qui ont été données.

Historique des Te Deum depuis le retour à la démocratie
proposé par La Nación ce matin
et qui montre un Néstor Kirchner très souriant avec un cardinal Bergoglio
qui l'est tout autant (et Cristina est à côté, aimable elle aussi)
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Le Président a transformé la fête prévue depuis plusieurs jours sur Plaza de Mayo en garden-party à la résidence de campagne de Olivos, au nord-ouest de Buenos Aires, dans sa banlieue chic. En urgence, les jardins ont été ouverts à des étudiants, des voisins du domaine présidentiel (ordinairement hermétiquement clos), quelques représentants d'associations caritatives très proches du Pro (à l'exclusion de celles qui se situent à gauche) (1) et au gouvernement au grand complet. Le Président, qui s'était changé et avait revêtu une tenue décontractée, a servi lui-même les premières louches d'un locro traditionnellement présenté dans son potiron évidé ! L'image, diffusée par les services de communication de la Casa Rosada (2), a fait le tour des rédactions : elle montre Mauricio Macri dans une attitude très simple et pas désagréable mais qui sonne bigrement faux dans les circonstances présentes. La communication semble d'autant plus factice qu'en ce jour qui devrait marquer l'union nationale, dont il ne cesse de répéter qu'elle lui est très chère, le président a fait de nouvelles déclarations très clivantes où il rejette une nouvelle fois sur le gouvernement précédent la responsabilité de l'actuelle crise économique, dont sa politique de rigueur est pourtant en grande partie la cause directe et immédiate... Qui plus est, la presse a été, curieusement, tenue à l'écart de cette manifestation, ce qui choque l'ensemble de la profession, à droite comme à gauche : c'est la première fois que les journalistes sont personae non gratae dans une fête présidentielle pour le 25 Mai. D'après La Nación, cette mise à l'écart de la presse aurait tendance à s'intensifier depuis quelque temps, ce qui contredit les engagements et les grandes déclarations publiques du mandataire depuis son élection, il y a sept mois.

Pas de photo du 25 mai sur la une de Clarín
avec l'image centrale consacrée à une nouvelle tragédie dans la Méditerranée
Un gros titre intermédiaire, en rouge, sur l'homélie du cardinal
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Il est donc clair que la lune de miel entre l'opinion publique et l'élu a pris fin et, plus impressionnant encore, c'est également le cas dans les médias, même dans les journaux de droite qui ne retiennent pas leurs critiques, même si elles sont moins vives que celles de Página/12. Les unes sont très instructives : regardez le peu d'images du président qui ont été retenues. Elles sont austères et tristes. Comparez-les aux unes, radieuses et enjouées, du 11 décembre ! Or le 25 mai, c'est la fête nationale, ni plus ni moins, de surcroît il s'agit du premier 25 de Mayo de Macri président et du seul qu'il pourra célébrer pendant le bicentenaire qui s'achève dans quarante jours. Et pour ces quelques jours qui restent, alors qu'on avait jusqu'à présent un joli logo bien identifié pour tout le monde, le voilà qui nous dévoile un logo terne, en demi-deuil, avec un effet de soleil aveuglant complètement raté : c'est un astre blanc alors que le soleil de mai, celui du drapeau national, est d'un beau jaune bouton d'or (4).

Voilà pour le moins un 25 mai inattendu. Spontanément, j'aurais cru que Clarín, La Nación et La Prensa auraient publié des unes nettement plus triomphalistes, quitte à forcer le trait festif, à mentir un peu (ou beaucoup) sur la réalité vécue, comme ils l'avaient fait à de nombreuses reprises dans les années précédentes dans l'autre sens, pour nier le succès populaire, pourtant bien réel, des fêtes organisées par le gouvernement antérieur.

A cela s'ajoute l'homélie incisive du cardinal Mario Poli qui n'a pas mâché ses mots et a réclamé plus d'attention aux souffrances des plus pauvres et du respect pour les classes populaires, victimes de l'actuelle politique de rigueur (hausse des prix, baisse de la consommation, faillites de PME, licenciements massifs dans le public comme dans le privé et, pour couronner le tout, rejet par le président d'une initiative législative de l'opposition dûment votée par le Congrès, en totale contradiction avec son engagement de dialoguer avec tout le monde et de respecter l'opposition pour se démarquer de Cristina Kirchner et son attitude clivante).

Enfin, pour parachever le tableau, la vice-présidente, Gabriela Michetti, qui préside le Sénat et vient de montrer combien elle savait traîner les pieds dès lors qu'il s'agit de transmettre à la Chambre des Députés une proposition de loi de l'opposition déjà votée par la Chambre haute (le moratoire des licenciements auquel le président a opposé son veto), cette élue vient donc d'avouer, à demi-mots, ce que tout le monde avait bien compris depuis bien longtemps et que tous les ministres faisaient des acrobaties verbales pour nier : il n'y a pas de dialogue mais une profonde mésentente entre le Pape François et Mauricio Macri, qui n'a même jamais eu l'occasion de s'expliquer en profondeur avec le Souverain Pontife, contrairement à ce que laissaient entendre les communiqués officiels, sur son projet politique pour le pays (franchement, on le devine sans peine en lisant leur dernier échange épistolaire purement protocolaire, où Macri défend fermement sa posture, offrant ainsi un fort contraste avec les propos détendus et le ton plaisant de Cristina dans les mêmes circonstances notamment en 2013 et en 2014). Le Pape devrait pouvoir comprendre le projet de Cambiemos, a en effet déclaré Gabriela Michetti, avant de se reprendre, en ajoutant, mais trop tard, qu'elle ne disait pas qu'il ne le comprenait pas mais que, etc. Et si, c'est bien ce qu'elle venait de dire ! L'emploi du conditionnel ne laisse guère de marge pour le doute... (lire l'article de Clarín et celui de Página/12)

Gros titre sur l'homélie du cardinal et photo tristounette
où le Président est noyé dans la masse des complets trois pièces
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Et pour couronner le tout, c'est Clarín qui révèle, comme on raconte une bonne blague, une anecdote qui pèse son pesant de fruit, de crème et de sucre : un commerçant de Río Grande, dans la province de Tierra del Fuego, offre 5% de réduction à ses clients s'ils reconnaissent qu'ils ont voté Macri et qu'ils s'en mordent les doigts. Une proposition commerciale impensable il y a quelques mois, en plein été, lorsque le Président était tout en haut des sondages. Maintenant que l'hiver arrive, la basse saison pour un glacier, surtout dans l'extrême sud de la Patagonie, et que les factures d'électricité épuisent les trésoreries des PME (et il en faut, du courant, pour alimenter les congélateurs), cet artisan lance cette opération promotionnelle et Clarín en rigole !

Egratignure supplémentaire : La Nación mentionne aujourd'hui l'achat de mobilier à la Casa Rosada, un achat qui ne peut que paraître bien dérisoire au moment où Cáritas annonce la hausse de ses distributions alimentaires dans le pays, où une manifestation populaire empêche le président d'investir une place symbolique pour fêter la patrie et après que le Gouvernement s'était débarrassé du mobilier choisi par les présidents antérieurs... Quel gâchis pour l'argent public et le patrimoine mobilier de la Nation ! (3)

Pour rattraper ce 25 de Mayo raté, Mauricio Macri vient de rendre publique sa déclaration de revenus, déposée devant l'office anti-corruption, qu'il a créé. Gage sans doute de sa transparence, il y fait apparaître son compte en banque aux Bahamas (un paradis fiscal de première catégorie), ses biens fonciers et immobiliers tant en Argentine qu'à l'étranger. Les journalistes ont pu y lire que son patrimoine avait considérablement gonflé l'année dernière (puisqu'il est un riche investisseur, ce peut donc n'être que la conséquence logique d'une habile gestion de sa part).

Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 sur Plaza de Mayo interdite au public en ce jour de fête
lire l'article de Clarín sur les inquiétudes de l'Eglise exprimées par le cardinal dans son homélie
lire l'article de La Nación sur les explications invraisemblables de Patricia Bullrich
lire l'article de La Nación sur la mise à l'écart des journalistes, loin de la locro-party de Olivos
lire l'article de La Prensa sur l'homélie du cardinal
lire la dépêche de Télam sur la garden-party et la mascarade du locro et des empanadas, avec une petite vidéo qui reprend le discours improvisé par le président à cette occasion (on sent le malaise, sous l'aisance apparente et le sourire un brin forcé)
lire la dépêche de l'agence catholique AICA sur l'homélie du cardinal

Les articles sont très nombreux sur chacun des éléments de cette journée. Chaque quotidien lui a consacré une demi-douzaine d'articles et d'analyses, qui s'accordent toutefois sur l'essentiel : ce 25 de Mayo est une déception et laisse en bouche un goût amer. A titre personnel, les quelques échos directs que j'en ai eus vont dans ce sens et ils ne proviennent pas de kirchneristes.

Ajout du 27 mai 2016 :
Avant-hier, au sortir de la cathédrale, les membres du Gouvernement avaient tous proclamé qu'ils étaient pleinement d'accord avec les propos du cardinal. Les journalistes s'en étaient fait l'écho chacun dans son quotidien (lire par exemple l'article de La Prensa).
Ce matin, les journaux annonçaient la nouvelle initiative gouvernementale, une initiative qui va contre ce pour quoi plaidait la veille le primat d'Argentine. Ce qui met à nu le désaccord désormais incontestable entre ce Gouvernement et le magistère catholique, personnifié par François et la Conférence épiscopale argentine. Une véritable provocation, passablement cynique, reconnaissons-le. Très déplaisant, en tout cas. Voir à ce propos cet article de La Nación, qui reprend aussi les propos de Mauricio Macri qui justifie ses décisions économiques par sa volonté d'éviter à l'Argentine le sort, peu enviable, du Venezuela (on en était loin, tout de même ! N'exagérons rien).
C'est peut-être de ce côté-là qu'il faut aller chercher la raison profonde du très probable départ du Gouvernement argentin de Susana Malcorra, dont Mauricio Macri vient de présenter la candidature au poste de Secrétaire général de l'ONU, un poste qui doit la tenter beaucoup puisqu'elle avait rendu publique sa candidature avant même que le Président en pipe mot. Il est possible que cette femme ne soit pas à l'aise avec le cynisme présidentiel et la brutalité de l'action de plusieurs ministres qu'elle côtoie.

Ajout du 19 juin 2016 :
Le monde politique a tout de même fini par s'y plier : à l'invitation de l'Eglise argentine réunie à Tucumán pour son congrès eucharistique, plusieurs partis, de la majorité et de l'opposition, ont signé avec le Gouvernement un engagement commun à lutter contre la pauvreté, le trafic de stupéfiants, la traite humaine et la corruption, dans la Casa Histórica, cette belle demeure patricienne qui avait accueilli en 1816 le Congrès constituant qui déclara l'indépendance le 9 juillet de cette année-là. Lire à ce sujet cet article de La Nación.



(1) C'est La Nación qui l'affirme, on peut donc la croire, eu égard à l'énergie que ces journalistes ont déployée pour défendre la conception pluraliste que promeut Mauricio Macri pour la vie politique du pays. Página/12, quant à lui, dénonce cette réception partisane chez un élu qui a condamné avec tant de virulence cette même attitude quand elle était le fait de ses prédécesseurs dans la fonction.
(2) Des photos que l'on ne trouve ni sur le site Internet ni sur la page Facebook de la Casa Rosada contrairement à l'ordinaire. Pour limiter les effets de la viralité sur les réseaux sociaux et d'éventuels commentaires désobligeants ?
(3) Il est vrai que la notion de patrimoine de la Nation semble laisser Mauricio Macri très indifférent. Les présidents se comportent d'ailleurs dans les résidences présidentielles comme s'ils en étaient les propriétaires et non pas les locataires et passent leur temps à remodeler l'ensemble au lieu de se contenter de le faire dans le logement de fonction, qu'ils pourraient avoir le droit de meubler à leur goût sans pour autant faire table rase de ce qui s'y trouve déjà. Et après cela, il n'est pas étonnant que l'Argentine ait du mal à se constituer un patrimoine en tant que tel.
(4) Il semble se passer la même chose que lorsque Mauricio Macri est arrivé à la tête de Buenos Aires et qu'il a fait choix pour la communication du festival de tango de visuels maussades, indigents et hideux (comme cette charte graphique en rose et jaune pétant qui régnait depuis trois ou quatre ans), quand ils n'étaient pas franchement vulgaires, comme cette année où un slogan s'étalait sur les murs de la ville : "Tchan Tchan". Imaginez un festival de musique dont la devise serait "Tsouin, Tsouin" ! Ce manque de goût est d'autant plus étrange que l'homme cultive l'élégance vestimentaire, gestuelle et même du décor dont il s'entoure...