jeudi 30 juillet 2020

La réforme de la Justice arrive enfin [Actu]

"Je cherche à faire la république dont tous parlent avec grandiloquence
mais que quelques-uns ont humiliée", dit le gros titre
En haut, les premiers résultats des perquisitions techniques
sur les moyens de communication de Mauricio Macri,
autour de qui se resserrent les instructions pénales

On attendait ce projet depuis le discours de prestation de serment le 10 décembre dernier et il faut croire que l’opposition de droite le redoutait car elle a sorti la grosse artillerie avant même que le président Alberto Fernández ait terminé son allocution de présentation.

Un projet de loi vient d’être présenté au public avant d’être envoyé au bureau du Congrès. Une présentation qui fait couler pas mal d’encre car elle s’est faite en l’absence de tout représentant de l’opposition néolibérale or Alberto Fernández a fini par nous habituer à le voir consulter tout le monde tant le mode sanitaire occupe le devant de la scène depuis le mois de mars. On aurait pu aussi s’attendre à ce que la Cour suprême soit là au grand complet et il n’en est rien. Seule la juge Elena Highton de Nolasco a fait acte de présence, pourtant elle n’est pas connue, c’est le moins qu’on puisse dire, pour ses positions de gauche et elle ne préside pas la Haute Cour. Ses quatre collègues se sont abstenus de paraître à la Casa Rosada.

"La réforme judiciaire est lancée, sans opposition
et avec seulement un membre de la Cour" dit le gros titre
au-dessus de la photo relative à un fait divers
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Dans son discours, le président a souligné le manque d’indépendance institutionnelle qui a caractérisé le pouvoir judiciaire depuis l’Indépendance et n’a fait que s’aggraver au cours des quatre dernières années (2015-2019). Mauricio Macri, son prédécesseur, en a pris pour son grade alors que les ennuis judiciaires volent en escadrille au-dessus de lui pour des affaires autrement plus graves que les scandales de corruption et d'enrichissement personnel qui pèsent sur Cristina Kirchner) (1). Conformément à ce qu’on pouvait imaginer, le président a aussi souligné les réformes de ses prédécesseurs de gauche : Raúl Alfonsín qui a lancé les procès contre les criminels de la dernière Dictature militaire, Néstor Kirchner qui a fait modifier le fonctionnement de la Cour suprême et Cristina Kirchner, aujourd’hui vice-présidente, qui s’est efforcé de moderniser les institutions judiciaires nationales.

Si ce projet est adopté, la justice fédérale va changer en Argentine : actuellement douze juges fédéraux exercent pour tout le pays. C’est très peu pour un pays d’environ 46 millions d’habitants et cela forme un trop petit monde pour éviter les ententes et les pressions partisanes entre eux. Avec cette réforme, l’Argentine comptera vingt-trois cabinets d’instruction, ce qui permettra de mieux répartir les affaires qui sont attribuées par tirage au sort, avec possibilité pour le magistrat ainsi désigné de se récuser, notamment en cas de conflit d’intérêts ou de risque de soupçon de partialité.

"Sans consensus préalable, le Président a présenté
une ample réforme judiciaire" dit le gros-tirte
au-dessus d'une photo du Salon Blanc de la Casa Rosada
où a eu lieu l'intervention présidentielle
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Une nouvelle chambre pénale va être créée par la fusion de deux circuits jusque là séparés : d’une part les crimes de sang et la délinquance crapuleuse, d’autre part la délinquance en col blanc. Ainsi les justiciables poursuivis pour des activités économiques illégales relèveront-ils d’un même code pénal. Le col blanc côtoiera ainsi les crapules de bas étage, accusés d’homicide ou d’escroquerie à la petit semaine. Visiblement, la droite néolibérale n’apprécie guère ce changement de régime ! Pourtant, il devrait permettre de traiter les malfaiteurs à égalité alors qu’aujourd’hui, les personnes poursuivis dans des affaires économiques parviennent plus facilement à s’en sortir, peut-être du fait de leurs relations mondaines, puisque de nombreux magistrats fréquentent les mêmes clubs exclusifs, les mêmes golfs, les mêmes manèges à chevaux, les mêmes rangs dans les avions des vols long courrier, les mêmes hôtels de luxe à l’étranger…

Il sera créé un Conseil de sages pour éclairer le pouvoir exécutif sur les questions relevant du juridique.

Sur la photo, on voit le président qui écoute Elena Highton
"On configure un nouveau Palais de Justice"
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En revanche, à ce stade, l’Argentine demeure dans la même philosophie juridique du droit romain qui caractérise sa tradition depuis les temps coloniaux. Le magistrat d’instruction et de jugement préside les débats, interroge et décide. Le 10 décembre, dans son discours de prise de fonction, le président avait annoncé une réforme vers le droit de tradition anglaise, où le juge se contente d’arbitrer les débats exclusivement menés par les parties en présence (parquet, parties civiles et défense).

Depuis hier soir, la presse mainstream ne cache pas son hostilité à ce projet et se lance ce matin dans de très nombreux procès d’intention contre les conseillers du président et surtout contre Cristina Kirchner dont ils supposent qu’elle est à la manœuvre. Toujours cette idée que le président en fonction n’est pas capable de prendre ses décisions seul et ne peut qu’être la marionnette d’autres acteurs. On lui avait fait le même procès à elle, prétendant que son mari gouvernait à sa place. On se demande bien dès lors pourquoi il ne s’était pas représenté après son premier mandat.

Pour aller plus loin :
lire le communiqué de la Casa Rosada, qui propose l’intégralité du discours du président, sous format de texte et de vidéo.


Ajout du 1er août 2020 :
lire cette interview de la ministre de la Justice à Página/12 où elle explique la réforme.



(1) L’ancien président est soupçonné d’avoir mis l’appareil d’État presque au complet au service des affaires de la holding familiale et de quelques associés politiques, dont certains pour des enrichissements personnels individuels. Les dossiers se multiplient. On en est à perquisitionner ses téléphones et ordinateurs, ce qui ne s’est pas encore vu avec Cristina qui a pourtant subi des perquisitions dans son appartement et dans des entreprises hôtelières qu’elle a fondées au sud du pays mais on n’a jamais saisi ses téléphones personnels. Il y a quelques semaines, Mauricio Macri a prétexté de ses fonctions de président de la Fondation de la Fifa pour se rendre au Paraguay où, de toute évidence, il n’a pas parlé foot mais semble s’être concerté avec des hommes politiques de la droite libérale et ce, en plein confinement de l’Argentine ! Le moins que l’on puisse dire est que cela a fait un beau chahut un peu partout dans la presse, y compris mainstream qui semble l’abandonner peu à peu.