vendredi 31 juillet 2020

L’étrange voyage en Europe de l’ancien président [Actu]

Hier soir, à l’aéroport international de Ezeiza, Mauricio Macri a pris un vol Air France pour Paris, avec son épouse et leur fille d’une dizaine d’années. Officiellement, ils feront leur quatorzaine en France puis se rendront à Zurich, où il est censé prendre officiellement ses fonctions de président bénévole de la Fondation FIFA, auxquelles l’a nommé son ami Gianni Infantino.


Ce voyage, qui se voulait très discret (1), intervient à un moment curieux. D’abord parce qu’en Argentine, l’épidémie fait des ravages. On a déploré hier 153 morts, ce qui est le triple de ce qu’il y avait au début du mois, et cela paraissait déjà un chiffre énorme. Pour l’ancien président, cette indifférence à la situation de son pays a de quoi suffoquer ses anciens électeurs. Ensuite parce que l’alliance politique qu’il a fondée en 2014 entre les libéraux et les radicaux (les socio-démocrates ont disparu de la circulation il y a belle lurette) semble sur le point d’exploser à cause des désaccords de ses dirigeants qui naviguent à vue (2). Enfin parce que les instructions de la justice fédérale sur des scandales politico-économiques se resserrent autour de la personne de Mauricio Macri, puisque les perquisitions et les auditions diverses et variées le mettent directement de plus en plus en cause dans diverses malversations et mauvais usages des institutions d’État pendant son mandat présidentiel de 2015 jusqu’à l’année dernière.

A gauche, certains observateurs n’hésitent pas à évoquer une fuite à l’étranger (comme on l’avait déjà suggéré à la mi-juillet lorsqu’il était allé, en avion privé, au Paraguay pour des motifs très flous à un moment où les activités de football sont empêchées par la crise sanitaire, et plus tôt encore à la fin du mois de juin lorsqu'un ancien juge l'avait imaginé sur les ondes d'une radio de gauche appartenant au groupe Octubre).
Cette analyse se trouve noir sur blanc dans les colonnes de Página/12, le quotidien du même groupe médiatique, ce qui n’est pas pour étonner. Ce qui intrigue davantage, c’est que certains journaux de droite n’ont pas l’air d’en être très loin. Bien sûr, ils ne l’écrivent pas clairement mais les explications qu’ils invoquent pour justifier ce voyage ne sont ni très convaincantes ni très convaincues. Et comme tout le monde sait que pendant longtemps la Fifa a bénéficié de certains privilèges d’extraterritorialité et en bénéficie peut-être encore, l’idée que la famille soit en train de fuir la justice argentine flotte dans l’air. En effet, à quoi sert d’aller prendre ses fonctions à la Fifa si les activités sportives sont paralysées dans tous les pays et en particulier ceux où la fondation est censée exercer sa mission ?

Il est toutefois prévu que Macri rentre en Argentine à la fin du mois d’août.

Pour aller plus loin :
Sur les difficultés rencontrées récemment par Mauricio Macri :
lire l’article de Página/12 du 28 juillet sur le retournement de Alfredo Cornejo
lire l’article de Página/12 du 29 juillet sur les revers judiciaires subis par Mauricio Macri qui avait cherché en vain à empêcher que ses téléphones fassent l’objet de perquisitions techniques, lesquelles ont révélé des messages compromettants
lire l’article de Página/12 sur son site hier soir lorsque le départ en famille de Mauricio Macri a été connu.

Ajout du 1er août 2020 :
Arrivé à Paris, Macri fait bisquer ses compatriotes en étalant la liberté que lui offre sa fortune personnelle (voyager en Europe) et conteste la légitimité des mesures prises par le gouvernement. Il parle d’un régime sanitaire français "où l’on respecte la responsabilité des gens" (ce qui n’est pas le sentiment des Français qui maudissent l'inconstance de la communication gouvernementale et le mauvais exemple donné par tant de responsables mais un homme politique argentin peut dire à peu près n’importe quoi sur ce type de sujet car ses compatriotes sont très mal informés sur ce qui se passe vraiment en Europe, entre autres parce qu’ils sont peu nombreux à maîtriser une autre langue que la leur et n'ont donc que peu d'accès à des sources d'information hors du monde hispanophone). En parlant ainsi, il ment volontairement en oubliant de mentionner que le virus circule beaucoup activement en Amérique qu'en Europe et que notre "déconfinement" actuel vient après un pic épidémique qui a fait beaucoup de morts.
Le ministère de la Justice a tenté de remettre les pendules à l’heure en écartant l’hypothèse de la fuite (ce n’est pas une affaire judiciaire) et en dénonçant le cynisme de ce voyage en pleine crise (c’est une question d’éthique) :
lire l’article de Página/12 sur la réaction ministérielle
lire l’article de La Prensa sur les déclarations de Macri à Paris
lire l’article de Clarín sur les déclarations de Mauricio Macri
lire l’article de La Nación sur le programme de Mauricio Macri à Paris où il va vivre une « quarantaine » de pacotille aux yeux des Argentins (tandis qu’à son retour au pays, il faudra qu’il ne dépasse pas le seuil de sa maison – pas question d’aller faire un petit tour au musée comme il l'envisage en France)
lire l’article de La Nación sur les déclarations du ministère, où le quotidien se contente de reprendre la dépêche de l’agence Télam.

Ajout du 2 août 2020 :
lire mon article sur les réactions en Argentine et à Paris sur Barrio de Tango. Une manifestation est organisée pour protester contre la présence à Paris de Mauricio Macri dans des circonstances aussi critiques le lundi 3 août, esplanade des Droits de l'Homme, au Trocadéro, de 18h à 20h.



(1) La famille Macri a été la dernière à passer la douane et à prendre place à bord du Boeing 787 qui effectue cette liaison.
(2) Le leader de l’UCR, le parti radical, Alfredo Cornejo, ancien gouverneur de la province de Mendoza, menait jusqu’à présent une ligne dure, à côté de Patricia Bullrich. Depuis quelques jours, il semble virer de bord et tenter de se rapprocher de Horacio Rodríguez Larreta, le principal élu favorable à une ligne de dialogue démocratique avec les élus de la majorité nationale. Que Cornejo préfère désormais Larreta à Macri semble indiquer que le règne politique de Macri est bel et bien fini. Il est vrai aussi qu’il aurait été difficile pour lui de se remettre d’une défaite aussi écrasante que celle qu’il a subie l’année dernière. Si par-dessus cela, il doit comparaître au tribunal, cela fait beaucoup pour un homme qui avait fondé toute sa campagne électorale présidentielle de 2014 sur la lutte contre la supposée corruption généralisée des péronistes.