mardi 24 mai 2022

Les nouveaux billets de banque arrivent [Actu]

En haut : "Un taliban sort, un technocrate entre"
Allusion au fait que le ministre de l'Economie
a réussi à se défaire d'un secrétaire d'Etat trop proche de Cristina
(Au moins, maintenant il peut déployer sa politique sans craindre
des coups tordus à l'intérieur de son ministère)
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C’était une promesse de campagne puis de prise de fonction de l’actuel président : remettre des figures historiques sur les billets de banque, ces personnages que Mauricio Macri, au pouvoir de 2015 à 2019 sur un programme ultra-libéral avait effacé au profit d’animaux sauvages. Sous prétexte que le rappel des figures historiques créait de la dissension idéologique dans la population. Quel crétin !

Avec un soin pervers, il avait donc effacé l’histoire sous prétexte de dépolitiser la monnaie plutôt que d’inviter les historiens et les vulgarisateurs afin d’approfondir peu à peu les démarches scientifiques et les développer à côté du récit idéologisé qu’est l’élaboration actuelle (nécessaire) du roman national en gestation et donc encore très peu consensuel. Il avait même fait retirer les billets à l’effigie de San Martín et de Belgrano, les deux pères-fondateurs de l’Argentine !

Les billets actuels
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Hier, au Musée du Bicentenaire, dans l’enceinte de la Casa Rosada, là où se trouvent encore des vestiges de deux bâtiments historiques disparus, l’ancienne forteresse coloniale qui servait de résidence au vice-roi espagnol puis au gouvernement révolutionnaire à partir du 22 mai 1810, et les douanes de la fin du XIXe siècle, le président Alberto Fernández a présenté les nouveaux billets qui vont être mis prochainement en circulation. Ils sont au nombre de quatre dont la valeur d’étale de 100 (les billets de valeur inférieure ont été retirés les uns après les autres depuis trois ans) à 1 000 pesos. Une gamme de billets dont la valeur faciale a juste été multiplié par 10 depuis la dernière série des billets à figures historiques (5, 10, 20, 50 et 100 pesos).

Les anciens billets, avec les effigies historiques (San Martín a été oublié)

Les grands hommes détestés par la gauche ont disparu : Sarmiento (50 pesos) et Roca (100 pesos).

Le nouveau Evita

Reviennent dans les portefeuilles José de San Martín (1778-1850) et Manuel Belgrano (1770-1820), les deux seuls personnages historiques unanimement aimés et vénérés par tous les Argentins (même si sur le plan idéologique, ils sont tirés à hue et à dia par les différents auteurs qui se piquent d’écrire leur biographie, en se passant royalement des sources historiques). Au verso des billets, figurent ce qui est considéré comme leurs plus hauts faits d’armes et comme emblèmes de leur lutte pour la liberté et l’indépendance, la Traversée des Andes à l’été 1817 pour San Martín et la création du drapeau national, à la fin de l’été 1812 à Rosario, pour Belgrano.

Apparaissent des figures chères à la gauche décentralisatrice.

Le premier est le général saltègne Martín Miguel Güemes (1785-1821), le seul héros de la guerre d’indépendance qui soit mort de mort violente, tué par un contre-révolutionnaire (tous les autres sont décédés dans leur lit ou, au moins, alors qu’ils étaient retirés du combat), le seul aussi qui relie une province historique très éloignée de Buenos Aires, Salta, à la lutte de la capitale coloniale puis nationale pour une indépendance alors encore très lointaine (il était cadet à Buenos Aires quand la ville a été attaquée par les Britanniques à deux reprises, en 1806 et 1807).

Même choix pour le gros titre
(avec une formule différente mais ça ne change pas grand-chose)
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Les deux autres figures sont deux femmes et ce sont celles que le président avait annoncées il y a très longtemps déjà, alors que la pandémie paralysait le pays. Pour la première fois depuis l’introduction très contestée par Cristina Kirchner, à la fin de son second mandat, de Evita Perón sur le billet de 100 pesos (1) destiné à remplacer à terme celui à l’effigie du général Julio A. Roca, premier président d’une période de malheureuse mémoire (la Generación del Ochenta, entre 1880 et 1916) et massacreur de Mapuches lorsqu’il commandait la campagne dite du Désert, dont le but était de faire occuper par des propriétaires blancs la Patagonie argentine à une époque où le Chili lorgnait sur ces terres de l’autre côté des Andes (les années 1870). L’une de ces femmes est María Remedios del Valle (circa 1768-1847), une des très rares combattantes de la guerre d’indépendance, qui plus est la seule femme qui accéda (et encore sur la fin de sa vie) à un grade d’officier supérieur. Et elle était noire ! Elle a combattu sous les ordres de Manuel Belgrano, le premier à l’avoir distinguée et fait progresser dans la hiérarchie militaire. Elle venait du fin fond de la société coloniale esclavagiste.

L’autre femme, Juana Azurduy de Padilla, était tout le contraire. C’était une femme issue de la meilleure société coloniale. Elle était riche et possédait une culture européenne de qualité. Ceci dit, elle n’a rien à faire sur des billets argentins puisqu’elle était bolivienne. Certes, elle a combattu du même côté que Manuel Belgrano et Martín Güemes parce que dans les années 1810, les deux pays n’en faisaient encore qu’un mais elle ne l’a jamais fait dans ce qui allait devenir l’Argentine ni même pour l’indépendance de ce pays au sud du sien. Elle guerroyait pour chasser les Espagnols de ce qu’elle appelait le Haut-Pérou et qui a pris son indépendance sous le nom de Bolivie, en hommage à Bolívar, en guise de compensation d’ailleurs (Bolívar ne voulait pas entendre parler d’indépendances séparées pour tous ces pays qu’il voulait centraliser sous son autorité politique et qui ont échappé à son étau). Sa renommée a atteint l’Europe, difficilement mais enfin, on trouve des allusions à ses actions dans la presse européenne du début du XIXe siècle.

S’approprier cette figure féminine épique, c’est le péché mignon de la gauche argentine, surtout péroniste. C’est l’un de ses côtés franchement pénibles.

Página/12 titre lui aussi sur les changements
au ministère de l'Economie
L'info est traitée tout en haut, au centre
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Il semble qu’il ait été difficile de concilier le nombre de billets à mettre en circulation (seulement quatre) et le nombre de próceres à célébrer en ligne avec la politique de développement de la parité de genre menée par le président Fernández. Le gouvernement a donc choisi de les présenter par paire homme-femme et le choix qui a été fait est, pour une fois, historiquement justifiable. On peut toutefois regretter que Manuel Belgrano, l’intellectuel qui a conçu avant tout le monde l’indépendance argentine dès 1806 avant de se battre pour elle y d’y risquer sa vie, méritait de retrouver un billet pour lui tout seul comme son ami et compagnon d’armes, José de San Martín.

La droite se montre très critique mais ne peut pas décemment critiquer les choix qui ont été faits, surtout avec le retour de Belgrano et San Martín. Elle tire donc sur le côté : il paraît qu’il y a plus urgent pour venir en aide aux Argentins. Pour tous (à droite), le gouvernement ferait mieux de lutter contre l’inflation (comme si l’inflation réagissait à un commandement de l’exécutif, dans ce cas, ça se saurait). Pour certains, il aurait mieux valu créer un autre peso, un peso nouveau, comme De Gaulle avait créé le nouveau franc, et lui donner une valeur cent fois supérieure. Bref, passons !

Pour la photo principale, Clarín a préféré Biden au Japon
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Comme ils avaient commencé à inonder la presse de leurs récriminations dès ce week-end, le président leur a répondu dans son discours de présentation en rappelant que la monnaie nationale est un instrument de souveraineté et qu’il est essentiel d’en bien traiter les dimensions symboliques.

© Denise Anne Clavilier

Pour aller plus loin :



(1) Ce billet de 100 pesos va un peu bouger mais pas tant que cela. Celui représentant Julio Argentino Roca (1843-1914) a probablement fini par disparaître à l’heure qu’il est.