mercredi 11 juin 2025

La Cour suprême envoie Cristina en prison et fait avorter sa candidature législative [Actu]

"Cristina derrière les barreaux pour corruption"
Cliquez sur l'image pour une haute résolution


Cristina Kirchner avait été lourdement condamnée dans une sombre affaire de corruption. Hier, elle attendait le résultat de son dernier recours sur le sol argentin : un arrêt de la Cour suprême sur la validité de cette condamnation. Or la Cour, qui ne se compose plus que de trois magistrats, tous les trois de droite, vient de valider l’ensemble du jugement contre elle et tous ses co-inculpés. L’ancienne présidente est donc définitivement reconnue coupable de corruption (sur des affaires de travaux publics dans la province de Santa Cruz, dont était originaire son mari) et elle devient inéligible à vie. C’est le premier chef d’État argentin de la démocratie à connaître ce sort. Carlos Menem y avait échappé à force de recours d’abord et du fait de son âge ensuite (il est mort avant que toutes les instances aient été épuisées).

Or Cristina venait d’annoncer sa candidature aux prochaines élections de mi-mandat, en octobre prochain, comme députée pour la province de Buenos Aires dont elle est personnellement originaire (elle est née à La Plata, la capitale provinciale, et elle y a fait ses études). Elle avait de grandes chances d’être élue puisqu’elle est et reste LA voix de la gauche de gouvernement, sans aucun compétiteur à sa hauteur en matière de popularité, d’expérience et de charisme. Sans doute espérait-elle que cette annonce, en faisant apparaître clairement la nature partisane d’une décision de la Cour contre elle, pourrait faire hésiter le trio judiciaire.

"L'amour est plus fort", préfère titre Página/12
en allusion aux manifestations de soutien à la condamnée
Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution


Cet arrêt bouscule donc la situation politique en faveur de la droite et singulièrement du président en place. Du côté péroniste, il y a sûrement des gens qui se réjouissent secrètement parce que ce retrait forcé leur offre des opportunités dont le charisme de Cristina aurait entravé l’apparition. Publiquement, le mouvement politique fait cependant front et tout le monde dénonce le caractère arbitraire et partisan de l’arrêt d’une Cour qui confirme ainsi sa tendance à juger en fonction de ses intérêts de classe dès lors que ceux-ci sont menacés, ce qui était le cas en l’espèce.

"Un jour historique pour la République",
dit La Prensa
En Argentine, le terme "République" ne désigne
pas l'Etat démocratique qui rassemble tous les citoyens.
Il désigne l'Etat libéral tel qu'il est souhaité par la droite
contre la gauche, depuis la guerre civile de 1820-1880.
A gauche, on n'emploie jamais ce terme
Sur la photo, on voit Cristina hier soir
et derrière elle, tête baissée, son fils
(dont ce n'est pas le genre de baisser la tête,
comme vous pouvez le voir sur la une de Clarín plus bas)
Cliquez sur l'image pour une haute résolution


Du côté du gouvernement, toujours à l’école de Trump et compagnie, on fait un étalage obscène de satisfaction et de triomphe. Ce qui ne peut étonner personne : l’obscénité est leur mode de communication politique permanente depuis la première campagne électorale de Javier Mileí, il y a quatre ans, lorsqu’il s’était présenté à la chambre basse du Congrès fédéral. Mauricio Macri fait mine quant à lui de déplorer "un jour triste pour l’Argentine" même si, selon lui, la justice a fonctionné "de manière impeccable" (on ne peut pas en dire autant des affaires dont il était la vedette et dont il a obtenu l’extinction sans aller devant l’instance de jugement).

"Les juges ont exécuté une vendetta", dit l'édition
platense de Página/12, citant
Axel Kiciloff, le gouverneur provincial (en photo)


L’avocat de Cristina Kirchner a déjà annoncé qu’il se pourvoyait devant la cour internationale de La Haye, pour y démontrer le caractère partial et partisan de la décision de la Cour suprême. Il est en effet de notoriété publique que la magistrature argentine dans son ensemble, en particulier au niveau fédéral, dont sont issus les membres de la Cour, est majoritairement de droite, notamment parce qu’elle est surtout recrutée au sein d’une haute bourgeoisie très bien structurée.

En première instance comme en appel, le procès de Cristina n’a en effet pas apporté la preuve irréfutable qu’elle était coupable, contrairement à ce qu’il s’est récemment passé en France tant pour Sarkozy que pour Le Pen où les preuves de la corruption sont établies, même si les intéressés disent le contraire et font jouer tout l’arsenal du code pénal, comme c’est bien entendu leur droit le plus absolu.

En ce qui concerne Cristina, on a affaire à un faisceau d’indices dont le caractère de preuve est assez fragile puisqu’il change du tout au tout selon la façon dont il est organisé : les adversaires politiques de l’ancienne présidente peuvent affirmer que la culpabilité est largement prouvée par ce faisceau en présentant les indices dans un certain ordre ; ses partisans prétendent le contraire en s’appuyant sur une autre configuration. Pour l’observatrice étrangère que je suis, la démonstration de culpabilité est donc loin d’être acquise. Elle ne saurait en l’état justifier une telle condamnation, puisque le doute doit bénéficier à l’accusé(e). Un verdict de six ans de prison ferme assortis de l’inéligibilité à vie et d’une amende gigantesque de nature à la priver de tout son patrimoine ressemble donc bien à un complot de la droite, comme celui qui a conduit Lula en prison, il y a quelques années, avant que la démonstration éclatante ne soit faite d’une intrigue de la magistrature contre lui : une instruction volontairement truquée avait fabriqué un dossier à charge. Les kirchneristes, hommes politiques et électeurs militants, disent aujourd’hui conserver l’espoir qu’il en soit ainsi pour Cristina (mais ça prendra des années !) alors qu’aucune figure charismatique ne se détache ni n’est capable de s’imposer dans le paysage politique actuel de l’Argentine, pas même Kiciloff qui, de toute manière, devrait rester gouverneur de la Province de Buenos Aires, la plus peuplée du pays.

"Place de la Défense", dit le gros titre
de l'édition de Rosario de Página/12
en mettant l'accent sur les manifestants kirchneristes
(La défense est un événement historique de 1807
lorsque les Portègnes ont défendu le Vice-royaume
du Río de la Plata contre la seconde invasion britannique,
la Grande-Bretagne tentant de profiter des troubles politiques
en Espagne pour mettre la main sur les colonies américaines)
Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution

Le recours à La Haye n’est toutefois pas de nature à empêcher ni à retarder l’incarcération de Cristina Kirchner qui a fait savoir hier devant ses partisans rassemblés devant le siège du mouvement dans la capitale argentine qu’elle ne prendrait pas la fuite, puisque les péronistes ne sont pas des mafieux, et qu’elle assumerait jusqu’au bout la situation. Elle demande toutefois à bénéficier de la prison domiciliaire (beaucoup de condamnés y ont droit, notamment à son âge), sans bracelet électronique (ce qui est aussi le cas de beaucoup de justiciables, même parmi les condamnés pour crime contre l’humanité !) et avec maintien du personnel de sécurité auquel elle a droit du fait de ses anciennes fonctions de présidente et vice-présidente. Elle est d’ores et déjà convoquée, avec les autres condamnés, devant le juge d’application des peines le 19 juin prochain.

La confirmation de sa condamnation a rassemblé des foules impressionnantes dans tout le pays pour soutenir la femme politique « injustement » condamnée (par trois « vieux mâles blancs » assez caricaturaux au demeurant sur ce plan). La gauche de gouvernement et au-delà (la gauche minoritaire) voit dans cette décision une intervention politique contre l’alternance de mi-mandat, et il est possible que ce soit le cas mais ce ne serait pas nécessairement une manœuvre utile au regard de la faible participation aux scrutins que l’on a jusqu’ici observée un peu partout lors des élections locales avancées dans diverses provinces. Or jusqu’à présent, cette participation, qui s’élève à la moitié du corps électoral seulement, a laissé le champ libre à Mileí et à ses affidés qui ont presque partout réalisé de bons résultats dans les parlements provinciaux. Le résultat de l’arrêt de la Cour suprême risque donc d’être non pas tant une mobilisation lors du scrutin (encore qu’on ne sait jamais) qu’un motif rassembleur de manifestations grandissantes contre le gouvernement et sa politique anti-sociale, anti-culturelle, anti-scientifique et anti-démocratique. Il est probable que cet arrêt entretienne l’instabilité majeure qui secoue l’Argentine, en particulier depuis l’investiture de Javier Mileí, ce qui n’a pas manqué de se produire dès cette nuit avec le saccage en règle par des partisans de Cristina du siège de la chaîne de télévision du groupe Clarín. Il n’est pas impossible d’ailleurs ce soit l’objectif poursuivi par la droite au pouvoir et ses alliés, afin de justifier une politique de répression supplémentaire et la suppression d’autres libertés publiques. D’ailleurs, la presse de droite tente en vain de cacher une joie mauvaise devant cet arrêt !

"Arrêt historique : la condamnation est confirmée
et Cristina ira en prison", dit Clarín
sur cette photo où l'on voit Cristina parler devant ses partisans
avec son fils, appelé à lui succéder à la tête du mouvement, derrière elle
Cliquez sur l'image pour une haute résoluton

La plupart des voix autorisées dans la défense des droits de l’homme, plusieurs associations et un prix Nobel de la Paix, disent haut et clair que la Cour a voté contre les quarante ans de démocratie que l’Argentine avait réussi à parcourir depuis décembre 1983, sous la conduite de Raúl Alfonsín, le président du retour à la Constitution, et de ses successeurs, bon an mal an. La plus longue période de vie démocratique que le pays a connue depuis sa fondation en 1810-1816, aujourd’hui clairement menacée par le président Mileí qui veut détruire l’État et l’État de droit et y parvient plutôt bien.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article principal de Página/12
lire l’article principal de La Prensa
lire l’article principal de Clarín
lire l’article principal de La Nación


Ajouts du 16 juin 2025 :
lire cet éditorial de Página/12 signé Matías Bailone et Baltazar Garzón. Les deux auteurs analysent les irrégularités qui ont marqué le procès de Cristina Kirchner.
Baltazar Garzón, juge espagnol qui s’est illustré dans son pays dans la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent, a lui-même expérimenté ce type de persécution lorsqu’il a voulu quitter la magistrature pour s’engager dans la politique à gauche (alors que le Partido Popular, qui rassemblait encore la droite libérale et les nostalgiques de Franco, partis depuis à Vox, était au pouvoir à Madrid). L’homme est détesté par la droite tant en Espagne qu’en Amérique hispanique, ce qui ne retire rien à ses compétences juridiques, judiciaires et procédurales. Le 14 juin, Garzón s’est également exprimé au micro de La 750, la radio du groupe Octubre, le seul groupe médiatique d’envergure à l’inviter à parler en Argentine :
lire à ce sujet l’article de Página/12


samedi 7 juin 2025

La doctrine Chocobar fait sa première victime : un enfant de 7 ans est décédé [Actu]

"La pire gâchette", dit le gros titre
sur cette photo tirée d'une caméra de surveillance
Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution

Il s’appelait Thiago Correa Medina, il était supporter du Boca Juniors et, à sept ans, dans une ville de la banlieue sud de Buenos Aires, La Matanza (la bien-nommée : ce nom signifie « la tuerie », allusion probable au massacre d’un grand nombre d’Amérindiens à l'époque coloniale), il attendait le bus, avec son papa, pour rentrer à la maison. A deux cent mètres de l’arrêt de bus, des cambrioleurs profitaient de la nuit de ce début d’hiver pour commettre leur forfait. Encouragé par la complaisance criminelle et de longue haleine de la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, un fonctionnaire de la police fédérale a sorti son arme, mis en fuite la petite bande de délinquants puis il a tiré dans le tas. Il a atteint, en pleine tête, le petit garçon qui est mort de ses blessures cette nuit, après deux jours d’hospitalisation.

Et, une fois encore, la ministre ose défendre le policier impliqué et prétendre qu’il a agi en situation de légitime défense.

L'info est perdue sur cette Une de Clarín
Sous la photo du gamin : "Un assaut, 11 tirs
de la part d'un policier et un gamin de 7 mort"
Cliquez sur l'image pour une haute résolution


C’est elle et l’ex-président Macri, il y a donc un paquet d’années, qui ont inventé cette horrible doctrine de sécurité publique selon laquelle un policier qui sort son arme et tire est présumé en situation légitime pour le faire. Cette doctrine assassine porte le nom d’un autre policier qui avait tué un homme qui venait de poignarder un passant, sans doute en vue de le dépouiller, sur un carrefour de La Boca, un quartier sud de la ville de Buenos Aires mais, au moment où le policier a tiré, sans aucune sommation, l’homme, sans doute effrayé par le sang qu’il venait de répandre, était déjà en fuite. Il lui tournait le dos ! Ce policier, Luis Chocobar, appartenait aux forces de l’ordre de la Province (et non de la Ville) de Buenos Aires. Il n’était pas en service aux moment des faits. Pire encore, il n’était même pas dans sa juridiction. Malgré l’inculpation sous laquelle il était déjà placé pour cet homicide, Mauricio Macri et sa ministre d’alors l’avaient reçu, avec tous les honneurs, dans un des beaux salons de la Casa Rosada, et, sans attendre que la justice se prononce, ils avaient déclaré qu’il avait fait son devoir en agissant comme il avait agi. Aujourd’hui, Macri est politiquement dans les choux, pour un bon moment semble-t-il, mais, depuis un an et demi, Bullrich, qui vient de le trahir en quittant le PRO, leur parti, pour rejoindre LLA, celui de Mileí, a retrouvé son chouette portefeuille ministériel sous l’autorité d’un autre président qui est en train de détricoter l’État argentin et l’État de droit. Et elle défend cet autre policier qui a du sang sur les mains.

A peu près la même politique éditoriale
à La Nación, en plus superficiel encore :
ici, la Une s'intéresse à Roland Garos !
Quant au titre pour Thiago, c'est une honte !
"Thiago : encore une mort à cause de la folie
que vit la banlieue"
La responsabilité du policier est aux abonnés absents !
Cliquez sur l'image pour une haute résolution


Entre eux, cette fois-ci, l’ignoble ministre et le flic à la gâchette chatouilleuse, il n’y a pas le corps d’un petit voyou à quelques semaines de sa majorité, qui aurait pourtant dû avoir un juste procès et qui n’a pas trouvé beaucoup de voix dans l’opinion publique pour le dire haut et fort tant son parcours était peu reluisant.

Cette fois, il y a le corps encore chaud d’un petit garçon de 7 ans ! Et une famille, ordinaire et modeste, en deuil.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación

vendredi 6 juin 2025

Felipe Pigna franchit le pas et publie son premier roman [Disques & Livres]

La couverture nous fait le coup habituel en Argentine
de l'énorme anachronisme de service :
en 1814-1815, Londres avec l'actuel palais de Westminster
et des réverbères au gaz ou à l'électricité
et un passant habillé comme Sherlock Holmes...
Ils sont fous, ces Argentins !


Felipe Pigna est un historien argentin à la fois intéressant et très critiqué. Il appartient à un courant appelé Revisionismo, parce qu’il conteste fortement la doxa historique, portée par la droite libérale, qui constitue la colonne vertébrale de l’histoire scolaire, jusqu’au bac, depuis la loi de l’école obligatoire et gratuite, en 1883.

Le Revisionismo est né dans les années 1930 à gauche, chez les partisans de l’UCR, le radicalisme argentin. Dans les années 1980, il a définitivement basculé dans le péronisme. Felipe Pigna adhère à cette lecture idéologique de l’histoire, contre la doxa, tout aussi idéologique (mais dont les tenants n ne veulent pas ou ne peuvent pas l’admettre). Le revisionismo a ceci de positif qu’il n’avance pas masqué. Sa part de propagande est facilement identifiable et le fait qu’il combatte l’histoire dogmatique est une bonne chose : il permet de se poser des questions plutôt que de répéter des « vérités » toutes faites.

On fait assez souvent à Pigna le reproche de romancer l’histoire dans ses livres, ses documentaires, ses articles de presse et ses émissions diverses et variées à la télévision et à la radio. En fait, c’est assez injuste : en excellent vulgarisateur, qui veut donner le goût de l’histoire aux petits et aux grands, alors que l’école les en a souvent dégoûtés (et on le serait à moins), il écrit en s’appuyant sur des procédés littéraires propres au roman. Il utilise l’action comme le fait un romancier et découpe ses chapitres comme pour un scénario de cinéma. Et ça marche ! Ses bouquins se vendent comme des petits pains et sont lus avec plaisir par un public très large.

"Deux héros historiques à bord", dit le gros titre
sous cette photo de Pigna dans son bureau
Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution


Cette fois-ci, Felipe Pigna saute le pas et publie un vrai roman. Un roman historique qui suit les pas et imagine l'état d'esprit de deux grands personnages historiques, l’un qu’il présente comme le gentil de l’histoire, Manuel Belgrano (1770-1820), le premier économiste latino-américain qui devint général au début de la guerre d’indépendance, et l’autre qui, sous sa plume, a toujours le rôle du méchant, Bernardino Rivadavia (1780-1845), qui allait devenir le premier Président de la République argentine de 1826 à 1827, deux figures dont Pigna fait des ennemis irréconciliables.

Raccourci des plus contestables pour la vérité historique : Belgrano et Rivadavia avaient de bonnes relations lorsqu’ils se sont embarqués fin 1813 pour se rendre à Londres avec la mission d’y trouver un prince libéral, éclairé, susceptible d’accepter la couronne d’une future Argentine dotée d’une constitution à l’anglaise, qui n’a jamais vu le jour. Le grand général Belgrano, héros incontesté de la Révolution de Mai (1810), était très amical envers son jeune compagnon d’ambassade qu’il avait vu naître, dans une maison voisine de celle de sa famille. Il lui faisait confiance. Belgrano faisait a priori confiance, quitte à changer d’attitude lorsque son analyse des faits l’y invitait. Une fois à Londres, il s’est rendu compte, avec amertume, que Rivadavia suivait sa propre ambition politique, en ne s’occupant plus que vaguement ou mal de leur mission diplomatique et en le trompant assez souvent sur ses véritables intentions. La confiance a alors disparu. Ils ne sont cependant jamais devenus des véritables ennemis, Rivadavia ayant décidé de rester en Europe où il a voyagé en France puis en Espagne (ce qui pose des questions politiques sur son compte : comment alors qu'il avait été l’un des acteurs, certes mineurs, mais acteur tout de même, de la révolte de Buenos Aires contre l’ordre colonial dès 1810, comment a--t-il pu librement mettre les pieds dans l’Espagne d’après Waterloo, en pleine tentative infructueuse de recolonisation de l’Amérique !). Belgrano, quant à lui, était de retour en Argentine dès le début de 1816 et il ne lui restait plus alors que quatre ans à vivre. Il était donc mort depuis un certain temps quand Rivadavia est rentré d’Europe et s’est lancé, avec succès, dans une carrière politique marquée par son hostilité, fort antipathique, aux héros de l’indépendance (désormais acquise), à commencer par des manigances ignobles contre José de San Martín (1778-1850), l’autre héros de cette période fondatrice. En revanche, à l’égard de Belgrano, Rivadavia a toujours affiché une grande admiration. Sans prendre aucun risque puisque le révolutionnaire n’était plus là pour contester sa politique ni dénoncer son hypocrisie, si hypocrisie il y eut.

Ce nouveau livre romance donc ce voyage et cette mission à Londres ainsi que la relation entre les deux hommes. Les amateurs de Mauricio Druon et d’Alexandre Dumas s’y retrouveront sans doute. Les historiens, coincés dans leur académisme, beaucoup moins. Et pourtant, l’auteur annonce la couleur. Il est honnête envers le public.

4e de couverture du roman
telle qu'on la trouve sur le site des Editions Planeta
Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution


Il est bon de savoir que Felipe Pigna occupe des fonctions importantes dans le groupe médiatique de gauche Octubre (qui détient le quotidien Página/12) : il y exerce les fonctions de directeur de la rédaction de Caras y Caretas, le mensuel historico-culturel du groupe. Pour être tout à fait franche, nous sommes nombreux à nous demander comment il trouve le temps de faire tout ce qu’il fait : il a un poste de professeur d’histoire dans une université nationale, un poste de directeur de la rédaction d’un magazine, il publie au moins un livre par an, sans parler des émissions de radio et de télévision dont il était chargé dans le service public lorsque celui-ci avait une véritable existence, ce dont il a été privé à l’arrivée de Mileí au pouvoir il y a un an et demi. Cela fait tout de même beaucoup pour un seul homme !

Le livre est en vente sur le site de l’éditeur, Planeta Argentina, au prix astronomique de 39 900 pesos argentins. S’offrir un livre maintenant en Argentine, c’est devenu un luxe inaccessible !

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12, qui en fait la Une de son supplément culturel quotidien (on n’est jamais mieux servi que par soi-même)
lire l’article de Clarín (longue interview de l’auteur, assez surprenant au demeurant car cette rédaction a l'habitude de présenter assez souvent cet auteur comme un adversaire politique)

Ce week-end, la gastronomie française à l’honneur à Palermo [à l’affiche]

C'est joli, mais le macaron bleu me fait un peu peur !
Le pâtissier a forcé sur le colorant chimique, non ?


C’est un rendez-vous désormais traditionnel que les institutions françaises donnent tous les ans au public argentin à Buenos Aires : une fête de la gastronomie française, cette année dans la Roseraie (el Rosedal) de Palermo, un espace vert qui remonte au 19e siècle, installé sur un ancien et immense domaine particulier d’un important personnage historique, maudit par la droite libérale mais resté cher à la mémoire de la gauche, Juan Manuel de Rosas (1793-1877). L'endroit est somptueux même si la saison n’est plus celle des roses dans l’hémisphère sud.

Vont se retrouver pendant ce week-end, samedi et dimanche, la vingtaine d’enseignes de spécialités françaises membres de l’association Lucullus, laquelle propose cette manifestation soutenue par l’ambassade et par l’Alliance Française, l’organisation qui assure partout dans le monde le rayonnement culturel de la France à travers des cours de langue, des bibliothèques et des programmes divers et variés (cinéma, théâtre, conférences, rencontres avec des écrivains et des artistes, expositions…), dont j'ai moi-même bénéficié pour présenter plusieurs de mes livres.

En tout, l’événement rassemblera une trentaine d’exposants.

De grands noms de la cuisine et de la pâtisserie seront les uns présents, les autres représentés par leurs recettes, dans des ateliers où l’on apprendra à faire un pot-au-feu, du vin chaud, des croissants aux amandes, des choux à la crème ou une tarte tatin, à déguster un macaron, un vin ou un fromage...

L’entrée à la Feria est libre et gratuite. Pour consommer, il faudra sortir le porte-monnaie.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article de El Planeta Urbano, magazine de Buenos Aires lié à Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de La Nación
visiter le site Internet de Lucullus

jeudi 5 juin 2025

Comme un pied de nez aux autorités, Tango + Tango s’offre une deuxième édition [à l’affiche]


Le festival Tango + Tango se tient à partir de ce soir et jusqu’à dimanche à Hasta Trilce, un café et salle de spectacle du quartier de Almagro.

Ce festival, petit par la taille et les moyens mais grand par le courage qu’il suppose en ces temps si difficiles à Buenos Aires, rassemble la fine fleur du tango d’avant-garde : instrumentistes, chanteurs, groupes, paroliers, compositeurs et danseurs.

Comme tout festival digne de ce nom, il enchaînera tout au long de ces quatre jours des concerts, des tables-rondes, des milongas et des ateliers d’initiation et d’apprentissage.

Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution


Prix des places pour chaque élément du programme : 15 000 pesos argentins. Et ça vaut le coup même si c’est une dépense que beaucoup de gens sur place hésiteront à engager par les temps qui courent.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
lire l’article de Página/12 qui a interviewé les trois organisateurs de la manifestation
accéder au site Internet de Hasta Trilce qui présente en détail tout le programme et permet de réserver des places