lundi 23 novembre 2015

L'Argentine bascule à droite [Actu]

Cliquez sur l'image pour lire les textes
Macri est accompagné de sa troisième épouse
et porte sa fille quelque peu perplexe sur ses épaules

Avec 51,4% des voix exprimées, Mauricio Macri vient d'être élu à la Présidence de la Nation argentine. Il prendra ses fonctions le 10 décembre, date du Jour International des Droits de l'Homme (ONU), choisi comme jour de l'investiture présidentielle lors du retour de la démocratie en 1983.

Mauricio Macri sera accompagné par non UN mais UNE vice-présidente, et c'est la première fois qu'une femme est élue à cette fonction. A l'inverse de Cristina Fernández de Kirchner, elle n'en fait pas un enjeu des luttes féministes auxquelles elle semble très indifférente (1). C'est aussi la première fois que le Sénat sera présidée par une personne en fauteuil roulant, puisque Gabriela Michetti a perdu l'usage de ses jambes à la suite d'un accident de voiture en 1994. Cela ne manque pas de donner un message très ambigu, d'une part l'intégration à la société des handicapée (on s'en félicite tous, semble-t-il) et de l'autre cet homme beau, mince, debout, en position dominatrice, et cette femme beaucoup moins photogénique, assise et donc plus basse, comme dominée. Chercheront-il une astuce protocolaire pour compenser cette impression le jour de la prestation de serment, où la solennité du moment risque de la renforcer ?

Des questions restent pendantes pour l'avenir.
La première, pour ce blog, est l'avenir de la culture populaire.
Que vont devenir des événements comme le Festival Indépendant du Tango du mois de mars, largement soutenu par le ministère national de la Culture, un programme socio-pédagogique développé sur tout le pays comme Las Orquestas Infantiles du Maestro Claudio Espector, viré il y a deux ans par le gouvernement municipal de Macri et jamais réintégré dans ses fonctions à Buenos Aires malgré la décision de justice qui l'ordonne, une chaîne de télévision comme Canal Encuentro, une institution comme el INCAA (l'institut national du cinéma et de l'audiovisuel) ou El Instituto de Revisionismo histórico Manuel Dorrego (2), fondé par Pacho O'Donnell qui en a depuis abandonné la présidence ?
Que vont devenir les universités nationales dont Mauricio Macri a déclaré, il y a quelques mois, qu'elles étaient bien trop nombreuses ? (3) Qu'en sera-t-il des programmes de recherche du CONICET, le conseil national de la recherche et de la technologie, surtout en ce qui concerne la recherche fondamentale, toujours malmenée par les politiques néolibérales qui ne comprennent pas "à quoi ça sert". (4)
Que vont devenir les centres culturels des ONG des droits de l'homme installés sur le campus de l'ex-ESMA ? Ils sont financés en grande partie grâce aux subventions que l'Etat distribuait jusqu'à présent aux associations militantes, solidaires et culturelles. Il en va de même de plusieurs radios associatives, comme La Voz de las Madres, la station de l'ONG Madres de Plaza de Mayo.
Quelle route va prendre el Instituto Nacional Sanmartiniano, cet institut autrefois ultra-fermé, terriblement vieillissant et qui tournait en rond dans un environnement longtemps dominé par l'armée ? Depuis à peine trois ans, il s'est enfin ouvert au grand public et a considérablement rajeuni ses cadres sous la direction d'un civil, un ancien batteur de rock appartenant à une famille de musiciens talentueux, Eduardo García Caffi, qui avait dirigé auparavant Radio Nacional (où il a laissé aux salariés le souvenir d'un management équilibré qui leur laissait une autonomie que les gens de radio apprécient toujours beaucoup).
Qu'en sera-t-il des projets pour inclure les peuples originaires dans la communauté nationale ? Un domaine dans lequel le bilan du gouvernement sortant est pour le moins mitigé puisqu'il est contesté par un certain nombre de communautés précolombiennes.
Que vont devenir le Secrétariat d'Etat aux Droits de l'Homme, le ministère des Sciences et Technologies (dont dépendent universités et Conicet) et le tout nouveau ministère national de la Culture (dont dépendent directement l'ensemble des musées et théâtres nationaux) ?
Les procès contre les criminels de la Dictature qui restent encore à juger ainsi que ceux contre les parents qui ont adopté par fraude des enfants arrachés à leur famille sous cette même dictature (apropiadores), l'identification de ces enfants devenus adultes s'ils ont survécu, celle des disparus eux-mêmes, tout ce combat va-t-il continuer d'exister ?
A Buenos Aires, les procès ouverts contre Mauricio Macri lui-même pour différentes violations majeures de la Constitution municipale (dont un procès pour des écoutes illégales dont il serait le commanditaire ou le bénéficiaire politique - on a écouté des gens de gauche) ainsi que pour des scandales de violence (de groupes paramilitaires à sa solde) et de corruption (pour lui-même ou pour ses affidés) vont-ils se poursuivre ? Lesquels d'entre eux provenaient d'une tactique partisane, lesquels reposent sur des faits avérés, prouvés et juridiquement répréhensibles ? De quelle liberté vont se réclamer les juges portègnes, qui sont statutairement indépendants du pouvoir exécutif, y compris au niveau du parquet ?
Qu'en sera-t-il de la politique de redistribution sociale mise en place par le gouvernement sortant et qui avait soutenu la consommation et amélioré la vie d'une majorité de citoyens : allocations familiales et minimums sociaux, système de retraite par répartition obligatoire, accès gratuit à des hôpitaux de qualité, qui soient chauffés l'hiver et climatisés l'été ?

Cliquez sur l'image pour lire les textes

Dans le deuxième cercle des observations développées dans ce blog, les questions économiques sont en bonne place.
On sait d'ores et déjà que Mauricio Macri veut diviser l'actuel ministère de l'Economie en trois ministères de plein droit. Dans un pays où, pour l'heure, les ministres dépendent directement du président sans constituer un conseil des ministres, à l'instar de l'administration fédérale des Etats-Unis et au contraire des démocraties européennes, cette explosion du portefeuille ne devrait pas entraîner de conflits entre les ministres si toutefois les champs de compétence de chacun sont bien définis d'emblée. On sait aussi que Macri veut accéder aux demandes des créditeurs privés du pays, en particulier les trois fonds spéculatifs qui sont en procès avec la République argentine devant une cour locale new-yorkaise et qui veulent le remboursement immédiat de la part de dette souveraine qu'ils ont rachetée sans avoir jamais prêter le moindre centime à l'Argentine. Difficile de savoir pour le moment si cette prise de position est un effet de manche pour dire le contraire du gouvernement en place ou si cela correspond à un principe politique effectif. Auquel cas, c'est sans doute l'argent investi aujourd'hui dans la culture, les droits de l'homme, la santé, l'éducation et la recherche qui devrait prioritairement aller rejoindre les comptes en banque des hedges funds contre les prétentions desquels divers pays (dont la Belgique) et l'ONU elle-même viennent de voter des dispositions pour les restreindre. Va-t-il maintenir l'effort de l'Etat pour entraver la fraude et l'évasion fiscales des entreprises (notamment internationales) et des riches contribuables et améliorer la collecte de l'impôt au niveau fédéral, depuis la TVA du commerce au détail jusqu'à l'impôt sur le revenu, le chiffre d'affaires, les contributions sociales des employeurs et l'économie au noir ?
On sait enfin qu'il devrait y avoir une dévaluation du peso argentin dès la mi-décembre, ou au plus tard en janvier (pendant les vacances d'été !), ce qui pourrait bien détériorer assez vite le niveau de vie des classes moyennes, des actifs et encore plus des retraités, et détruire le peu de pouvoir d'achat dont jouissent les habitants des très nombreux bidonvilles qui ont fait leur réapparition après la faillite du pays en décembre 2001. Et cette dévaluation devrait s'accompagner de la liberté des changes, de la levée des mesures protectionnistes qui imposaient très lourdement tous les achats de quelque importance réalisés à l'étranger (hi-fi, téléphonie, informatique, électro-ménager, véhicules à moteur et achats somptuaires), qui fragilisent le marché et la production industrielle intérieurs.
Que va-t-il advenir des entreprises nationalisées au cours des huit dernières années grâce à des votes du Congrès très larges, souvent consensuels quand ils n'étaient pas unanimes : Aerolineas Argentinas (les avions), YPF (le pétrole), Ferrocarriles Argentinos (les trains) ?
La politique de subventions fédérales de projets de Recherche et Développement en technologies de pointe sera-t-elle reconduite pour les PME ? Il suffit d'aller lire les informations sur ce point sur le site Internet de l'Union Industrielle Argentine (UIA) pour se rendre compte que les entreprises étaient fortement encouragées à innover, avec des montants loin d'être négligeables. Le secrétaire-général de l'UIA avait d'ailleurs récemment exprimé quelques doutes sur la capacité de Mauricio Macri à soutenir le développement industriel du pays.


Sur tous ces plans de politique intérieure, la presse relève dans le discours de l'élu hier soir la promesse d'être le président de tous les Argentins dans l'abandon de tout esprit partisan (ça, Cristina l'avait fait aussi mais elle n'y est guère parvenue et d'autres par chez nous l'ont fait aussi sans grand résultat non plus) et de refuser d'enclencher des représailles contre le camp adversaire. Pour s'y tenir, il va falloir qu'il ait cette volonté bien chevillée au cœur, car ce n'est pas l'état d'esprit général qui règne en Argentine, ni d'un côté ni de l'autre. Le fait d'accéder au pouvoir fédéral tout en ayant une capitale et une province de Buenos Aires acquises à sa politique change beaucoup la donne. Plusieurs Provinces ont aussi basculé dans le camp de Cambiemos (Changeons). Le paysage politique argentin a donc bien changé et se rapproche d'un paysage européen, avec un équilibre entre gauche et droite, entre deux conceptions opposées du pays. Dans ces circonstances inédites, il n'est pas impossible que Mauricio Macri présente un visage qu'on ne lui a encore jamais vu tout au long de ses deux mandats à la tête de Buenos Aires, même si cela surprendrait beaucoup les observateurs.

Dans le domaine international, qu'en sera-t-il des relations avec les pays voisins, notamment le Chili de Michelle Bachelet, l'Uruguay de Tabaré Vázquez, la Bolivie du très remuant et très aymara (5) Evo Morales ou le Brésil de la désormais fort controversée Dilma Roussef alors que s'approchent les Jeux Olympiques, tous quatre gouvernés à gauche ? Il est probable que les relations avec le Venezuela de Nicolás Maduro vont se tendre et que celles avec la Colombie, gouvernée à droite, vont s'améliorer. Le rêve de la Patria Grande et de l'intégration continentale à travers l'Unasur et le Mercosur semblent s'éloigner à grands pas, avec le retour au pouvoir d'une tradition patriotique qui s'est historiquement construite dans l'hostilité aux pays voisins, avec quelques guerres à la clé, contre le Brésil, le Paraguay et le Chili surtout.
Dans ces nouvelles données diplomatiques, la Province de Mendoza réussira-t-elle à sauver sa position de passage obligé du commerce terrestre entre le Brésil, l'Argentine, le Chili et le Pérou, fortement menacée à présent par un projet du Chili qui consiste à déplacer vers le nord le point d'arrivée et de dédouanement de toutes les marchandises internationales à destination du pays ou en transit à travers son propre territoire ? (6)
Qu'en sera-t-il des relations avec David Cameron au sujet des Malouines dont les habitants, tous britanniques, ont, sur Twitter, salué la victoire de Mauricio Macri en déversant des propos au vinaigre contre Cristina Fernández de Kirchner (lire à ce propos l'entrefilet de El Observador, le quotidien uruguayen) ? Or beaucoup de fervents militants de l'argentinité de l'archipel viennent de voter pour Macri par haine pour le FpV (Frente para la Victoria) quand ce n'est pas par haine pour la personne de Cristina ? (7)
En ce qui concerne l'Espagne, on peut imaginer sans difficulté que les relations avec Mariano Rajoy seront bien meilleures que celles que Cristina a jamais eues avec aucun des présidents du gouvernement de la Péninsule, depuis l'expropriation de Marsans du capital de Aerolineas Argentinas jusqu'à celle de Repsol de celui de YPF...
Qu'en sera-t-il du rapprochement accompli par Cristina avec la Russie de Vladimir Poutine, au moment où celui-ci fait alliance avec les Etats-Unis et le reste de l'OTAN pour contrer la montée du totalitarisme théo-califatiste qui met le Moyen-Orient à feu et à sang après l'échec des printemps arabes ? On peut très bien imaginer que de l'autre côté les relations avec Israël devraient s'améliorer puisqu'il y a dans l'électorat de Mauricio Marci un fort lobby juif pro-israëlien et aligné sur les Etats-Unis. Quel impact ce rapprochement aura-t-il sur l'enquête fédérale concernant les attentats contre l'AMIA et l'Ambassade d'Israël à Buenos Aires il y a plus de vingt ans déjà ?
Que vont devenir les relations sud-sud dans lesquelles s'était de plus en plus engagée l'Argentine sous les deux mandats de Cristina de Kirchner, avec le Maroc et le Vietnam notamment ? Sans oublier les nombreux contrats avec la Chine, devenue l'un des grands investisseurs étrangers, au point d'avoir obtenu la jouissance d'une base pour sa flotte militaire sur la côte atlantique ? Une décision qui a fait faire la grimace à de nombreux militaires qui voient d'un mauvais œil une telle puissance internationale s'installer dans les eaux territoriales de leur pays neutre, ce qui ne devrait pas être très apprécié à Washington ?

Cliquez sur l'image pour lire les textes
En haut, Macri va embrasser Gabriela Michetti.
En bas, Daniel Scioli et son épouse.

Dernière question, plus symbolique que stratégique, encore que dans ce domaine, le symbolique soit une réalité politique à part entière :
Qu'en sera-t-il des rapports personnels entre le Président Macri et le Pape François ? Pour les rapports officiels et diplomatiques, il va sans dire qu'ils resteront excellents, non pas parce que le Pape est argentin mais parce que le Vatican entretient traditionnellement d'excellentes relations avec tous les pays d'Amérique du Sud. Toujours est-il que Macri est l'un des très rares responsables politiques argentins à ne pas avoir encore eu droit à sa photo avec le Saint Père et il est indéniable qu'il défend une politique néolibérale incompatible avec la doctrine sociale de l'Eglise (et les encycliques du pontificat en cours) tandis que dans sa vie privée, il est le modèle même du chrétien corrompu tel qu'il était dénoncé par le cardinal Bergoglio dans un article de 1991, Corrupción y pecado (Corruption et péché), réédité en livre de poche par Editorial Claretiana (2005) : l'homme de la bonne société qui, en montant sur les grands chevaux de la morale traditionnelle, clame "son mépris pour la prostituée, cette femme de mauvaise vie" (sans s'interroger jamais sur sa qualité de victime avérée d'un crime impuni de traite des êtres humains) "tandis qu'il se rend bien volontiers et sans aucun scrupule à la fête organisée par telle de ses amies pour son troisième mariage consécutif à son deuxième divorce". Or Macri est deux fois divorcé et son troisième mariage a donné lieu à une grande fête avec vaste couverture médiatique parfaitement maîtrisée par les époux puis à une abondante publicité sentimentaliste à la naissance de leur fille, où il a été présenté comme un jeune papa fondant de tendresse devant un bébé alors qu'il est déjà père de grands enfants nés de ses précédentes unions. Et la petite fille, qui n'a pas encore cinq ans, a été instrumentalisée au cours de la campagne électorale et elle était présente, dans les bras de son père, hier soir, à la fête de la victoire (comme on le voit à la une de Clarín et de El País, publiée dans mon autre article du jour sur le sujet(8).
Correction du 24 novembre 2015 à ce paragraphe :
Si, Macri a une photo de lui en audience privée avec le Pape. Il y apparaît même en famille accompagnée de son épouse et de leur fillette, toute de blanc vêtue, dans les bras de sa mère, En revanche, je n'ai jamais vu ce cliché exploité à des fins électoralistes. Cela peut m'avoir échappé, bien entendu, mais cela veut dire au moins qu'il n'en a pas fait un usage excessif. Dont acte.

* * *

Une dernière remarque : il est plus que probable que les ambassadeurs vont changer très prochainement, à Washington, à Paris (à cause du Club de Paris, une institution clé dans la restructuration de la dette argentine) et à Tel Aviv (à cause des institutions juives argentines, majoritairement macristes), probablement à Bruxelles (à cause de l'Union Européenne), à Rome et à Madrid (à cause des fortes relations que les Argentins ont avec l'Espagne et l'Italie) et peut-être aussi à Beijing et à Moscou.

Pour la compréhension de cette élection, il faudra que les politologues se penchent sur le revirement de l'électorat, qui est passé d'une majorité scioliste le 9 août aux PASO à cette majorité macriste impensable il y a quatre mois. Certes elle n'est pas massive et c'est la première fois que l'Argentine voit son électoral aussi profondément divisé, ce qui fait que Página/12 titre sur un seul président et deux pays. C'est aussi l'apprentissage d'une structure de pays de vieille démocratie comme ceux qui existent en Europe de l'ouest où la gauche et la droite sont à peu près à égalité numérique et où le marais, les indécis, les influençables font la différence.
Quel rôle ont joué le comportement personnel de la Présidente Cristina Kirchner (toujours irritant pour la moitié de l'électorat), le manque de charisme de Daniel Scioli et l'allure élégante très bling bling, très jaileife (9) de Macri (10), le revirement de ce dernier en août lorsqu'il a soudain fait des promesses très sociales, un peu à la mode de Jacques Chirac avec sa fracture sociale en 2002, tandis que Scioli vendait la peau de l'ours avant de l'avoir tué à la veille du premier tour en octobre dernier ?
Il est impossible de répondre à tout cela pour le moment.

Autour de Daniel Scioli, on n'a pas tardé à faire porter la faute de la défaite sur Cristina Kirchner. Est-ce une manifestation du machisme très profond du personnel politique argentin (de gauche comme de droite), une libération soudaine de la parole (on la dit très despotique avec son entourage et au sein du FpV, comme cela a pu être dit de Ségolène Royal dans sa région Charentes-Poitou), le diagnostic d'une authentique erreur stratégique de son fait ? Là aussi, il est un peu tôt pour le savoir. On notera seulement que ni Daniel Scioli ni Mauricio Macri dans leur discours d'hier ne l'ont mentionnée alors qu'elle a téléphoné à l'un et à l'autre et que très démocratiquement elle n'a pas tardé à appeler le leader de l'opposition pour le féliciter de son élection. Si Mauricio Macri ne veut pas entamer la vendetta, il est bien dommage que le premier signe qu'il donne soit un silence sur ce point institutionnelle.

Aujourd'hui même Mauricio Macri et Cristina Kirchner se réuniront à la résidence présidentielle de Olivos, en banlieue nord de Buenos Aires, pour organiser la transmission des pouvoirs qui sera effective le 10 décembre avec la prestation de serment du nouveau mandataire devant le Congrès réuni.

Pour aller plus loin :
- comme d'habitude dans ces cas-là, la presse est pleine d'articles de toutes sortes. Je ne vous donne ici que ceux qui font la une -
lire le portrait que ce journal (de gauche) fait de la prochaine vice-présidente, handicapée moteur



(1) Comme beaucoup de libéraux, Gabriela Michetti est une individualiste. Elle ne croit guère aux luttes collectives. Elle est partisane du chacun pour soi qui caractérise la culture des Etats-Unis.
(2) C'est une institution qui a peu de légitimité scientifique (au sens universitaire de l'adjectif) mais elle contribue à modifier le discours des historiens. L'affichage idéologique souvent outré de ses membres (des militants péronistes bien plus que des historiens) oblige les historiens en quête de sérieux à approfondir leur démarche méthodologique. Quant aux autres historiographes partisans (appartenant à d'autres obédiences politiques), ils y répondent aussi, les uns en se radicalisant dans leur idéologie, les autres en qualifiant leur démarche scientifique.
(3) Il est lui-même issu d'un cursus dans diverses universités privées, d'abord à Buenos Aires, à la UCA (l'université pontificale catholique) puis aux Etats-Unis où il a achevé ses études d'ingénierie avant de revenir en Argentine prendre les rênes du puissant groupe de travaux publics fondé par son père. La plupart des universités privées à Buenos Aires et ailleurs, la Universidad Congreso de Mendoza par exemple, où je suis intervenue le 27 août dernier, fonctionnent sur un mode largement commercial (à l'exception toutefois de la UCA, qui suit le modèle de toutes les universités catholiques du monde). Les études y sont payantes et assez chères, ce qui n'est pas un petit obstacle pour de nombreux étudiants en Argentine.
(4) Réponse : à rien, en tout cas directement. Mais il se trouve que sans recherche fondamentale, il ne peut y avoir de progrès ni en recherche appliquée ni en technologie. Pour figurer en bonne place sur le plan international et développer un tant soit peu la technicité nationale, il est donc indispensable de subventionner une recherche même si elle semble partir dans tous les sens, de façon anarchique, et qu'elle n'est pas évaluable en retour sur investissement chiffré. Mauricio Macri ne semble pas avoir compris cette dimension essentielle de la recherche, qui est parfaitement étrangère à sa formation d'ingénieur. Il y a souvent une grande incompréhension entre les ingénieurs et les chercheurs, une incompatibilité culturelle qui provoque la plupart du temps des catastrophes lorsqu'un chercheur est nommé à la tête d'une institution d'ingénierie et qu'un ingénieur l'est à la tête d'un institut de recherche. En France, par exemple, le CNES en sait quelque chose depuis de nombreuses années. J'y ai travaillé et cela a été beaucoup de souffrance pour tout le monde et débouche aujourd'hui sur des conditions de travail épouvantables et une activité dont la qualité globale dégringole au fil des années.
(5) Evo Morales est avant tout un leader de l'ethnie aymara et un défenseur des peuples originaires et leur culture ancestrale, fort malmenée dans l'Amérique du Sud libre-échangiste inspirée par la culture anglo-saxonne, dont Mauricio Macri est un parfait représentant.
(6) Du coup, tout le flux brésilien passerait directement par la frontière brésilo-préruvienne et Mendoza ne traiterait plus que les marchandises argentines et uruguayennes, soit une baisse considérable d'activité pour la route internationale Mendoza-Santiago, vieille voie commerciale qui remonte à l'époque coloniale. Ce serait donc un coup structurel pour l'économie cuyaine qui est essentiellement agraire (vin, huile, cidre, fruits et légumes, viandes), touristique (sports d'hiver, sports équestres, parcs naturels) et commerciale (transit international). Le 4 décembre, c'est un gouverneur radical (UCR) qui prend ses fonctions, porté au pouvoir par une alliance électorale avec le PRO (de Macri) et une formation social-démocrate locale.
(7) J'ai été effarée ces deux dernières années d'entendre la haine qui affleurait ou s'affichait franchement dans le discours de nombreuses personnes par ailleurs très sensées mais solidement installées dans l'opposition. J'ai entendu de tout et surtout des accusations que mes interlocuteurs n'appuyaient sur aucune preuve d'aucune forme : elle était accusée d'être tantôt hystérique tantôt bipolaire, d'être une voleuse, d'être à la tête d'un réseau de corruption (lequel ?), d'avoir fait assassiner le procureur Alberto Nisman en janvier dernier, je vous en passe, des vertes et des pas mûres. Reste à voir maintenant comment va évoluer l'enquête fédérale du juge d'instruction, Daniel Rafecas, en charge du dossier Hotesur, l'hôtel de Patagonie de la famille Kirchner soupçonnée (mais jamais inculpée à cette date) d'y blanchir l'argent des pots-de-vin perçus dans le cadre des fonctions électives ou politiques détenues par plusieurs de ses membres.
(8) En ce sens, Macri n'est pas sans rappeler les incohérences ou les insincérités de Nicolas Sarkozy qui affirmait à Rome, devant Benoît XVI, lors de son installation comme chanoine d'honneur de la basilique du Latran, que la religion offre des valeurs plus solides que l'école publique et qui eut un jour l'impudence de communier publiquement, en sa qualité de chef d'un Etat séparé à grand bruit des Eglises, alors qu'il est plusieurs fois divorcé-remarié (ce que la disciple de cette Eglise qu'il prétend honorer interdit formellement).
(9) bling bling en lunfardo. L'adjectif est la transcription en orthographe espagnole de l'expression anglaise, high life (style de vie de la jet-set).
(10) Très différente de l'attitude bling bling de Nicolas Sarkozy en ce sens qu'il n'y a chez Macri aucune fascination pour l'argent des hommes d'affaires puisqu'il en est un et que cet argent, il l'a. Et contrairement aux vieilles familles européennes qui savent ne pas afficher leur richesse tout en vivant de manière somptueuse au jour le jour, il a une attitude de nouveau riche, qu'il est en quelque sorte, puisqu'il est un héritier de seconde génération seulement. Très différent de la haute société argentine de vieille extraction patricienne, dont le mode de vie est plus semblable à celui de notre ancienne aristocratie et haute bourgeoisie d'affaires.