Sans que l'on puisse parler de grande
surprise, le Président Mauricio Macri vient de prendre le contrôle
des deux organismes de régulation des activités et services de
l'audiovisuel et des télécommunications, l'AFSCA (audiovisuel) et
l'AFTIC (télécommunication). Par décret, daté du 22 décembre et
annoncé hier, il a démis les deux présidents de ces instances
fédérales et les a remplacés par deux personnalités disposant de
sa confiance, un ancien parlementaire PRO et l'oncle du ministre de
l'Intérieur.
Normalement, au terme des lois votées
par la précédente majorité, les mandats de ces deux dirigeants
arrivaient à échéance respectivement en 2017 et 2019. Le décret
ne respecte pas les normes en vigueur pour la nomination et la
révocation des titulaires de ces postes importants et à haute
valeur symbolique. Mauricio Macri n'a jamais fait mystère de sa
volonté de modifier en profondeur la récente loi sur les médias
qui empêche la constitution d'oligopoles médiatiques et limite en
théorie au moins la concentration excessive des moyens de production
et de diffusion de la création et de l'information entre les mêmes
mains. Il se trouve aussi que les deux présidents révoqués sont
deux militants kirchneristes qui, de leur côté, n'ont pas occulté
leur volonté de résister à la nouvelle majorité. En démocratie,
certes il importe et combien que l'Exécutif respecte les lois en
vigueur mais cette règle vaut dans les deux sens : les hauts
commis de l'Etat nommés par la majorité précédente doivent
coopérer avec les pouvoirs publics issus des élections, quand bien
même ceux-ci voudraient mettre en place une politique contraire à
la précédente, et dans le cas contraire, s'ils ne sont pas disposés
à coopérer, ils doivent démissionner mais en aucun cas, ils n'ont
le droit de résister alors qu'ils sont à la tête d'organismes
publics, comme tous les deux menaçaient de le faire sous prétexte
d'un pluralisme assez mal compris, qui confond l'attitude privée
(celle d'un parti politique, d'une association, d'un citoyen, d'un
journaliste, qui ne s'expriment qu'en leur nom propre) et l'attitude
publique, lorsque le pouvoir exercé est un pouvoir délégué par
l'Etat. Et comme la plupart des Argentins confondent encore Etat (avec ce qu'il a de permanent) et
Gouvernement (avec ce qu'il a de contingent et de variabilité partisane), on n'est pas sorti de l'auberge !
Dans les attendus du décret, on trouve
à plusieurs reprises la motivation de garantir à l'ensemble des
citoyens argentins l'accès à une information libre et pluraliste et
à des relations commerciales équitables entre clients et
fournisseurs d'accès aux services de télécommunication. Ce qui est
donc critiqué chez ces deux dirigeants est le caractère partisan de
la politique qu'ils mènent à la tête des deux instances, ce qui
n'est pas totalement infondé. Et le décret, plutôt que de s'appuyer
sur les termes de la loi des médias, s'appuie directement sur la
Constitution et les droits fondamentaux qu'elle garantit à tous les
citoyens.
Bien entendu, du côté des
kirchneristes, le scandale est immense et peut-être un peu surjoué,
dans la mesure où cette décision n'est pas une surprise, où
l'antagonisme était amplement prévisible eu égard aux deux
personnalités assez peu conciliantes des dirigeants nommés par
Cristina Kirchner, et où lorsque la situation était inverse, quand
c'était Cristina qui prenait le contrôle de l'administration de la
Sécurité sociale, de la compagnie pétrolière, du transport aérien
ou ferroviaire, les mêmes qui hurlent et manifestent aujourd'hui
triomphaient et trouvaient ces décisions tout à fait légitimes.
L'antagonisme promet d'être ardent :
Martín Sabbatella, président limogé de l'AFSCA, a fait des déclarations
publiques devant les manifestants kirchneristes rassemblés devant
les bureaux de l'institution qu'il a décidé d'occuper malgré sa révocation. Avec son confrère, Norberto Berner, révoqué de
l'AFTIC, il a déposé un recours en référé devant la justice
fédérale contre le décret qui les révoquent tous les deux et le
Gouvernement, de son côté, a contre-attaqué en déposant contre
Martín Sabbatella une plainte pénale pour abus de pouvoir et
usurpation de charge (puisqu'il occupe les locaux).
On est donc parti pour quelques mois de
lutte intensive comme on en a vues entre droite et gauche péroniste
à Buenos Aires pendant les deux mandats exercés par Mauricio Macri
à la tête de la Capitale Fédérale...
Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 qui en
fait toute sa une
lire l'interview de Martín Sabbatella
dans Página/12
lire l'article de Clarín
lire l'article de Clarín sur le
soutien de Sergio Massa à la décision du Président Macri (il faut
dire que Sabbatella est l'une des personnalités les plus
emblématiques de tout ce que déteste l'ex-opposition dans la
politique kirchneriste)
lire l'article de La Nación, dont il
partage la une avec plusieurs autres sujets très diversifiés
lire l'article de La Nación sur la
transformation hier du siège social de l'AFSCA en meeting
kirchneriste
lire l'article de La Prensa sur la
prise de contrôle (la intervención, dit-on en Argentine)
lire l'article de La Prensa sur la
position du ministère concernant les modalités de remise en
question de l'actuelle loi des médias et de l'évolution future de
la législation en la matière
lire le communiqué officiel sur l'annonce de la mesure faite par le ministre des Communications, Oscar
Aguad, le 23 décembre, hier (avec vidéo de cette annonce et transcription des propos du ministre), et le texte du décret daté du 22
décembre.
Ajout du 29 décembre 2015 :
lire l'article de La Nación sur la première journée du directeur intérimaire agissant au nom du Gouvernement (interventor) : de nombreuses archives avaient été passées au broyeur avant que les dirigeants révoqués acceptent, tard dans la nuit suivant leur révocation, d'évacuer les lieux cernés par les forces de l'ordre mandatées par la Justice ! Il devient très difficile de croire que cet organisme ait été géré en toute transparence par ses dirigeants kirchneristes...
Ajout du 29 décembre 2015 :
lire l'article de La Nación sur la première journée du directeur intérimaire agissant au nom du Gouvernement (interventor) : de nombreuses archives avaient été passées au broyeur avant que les dirigeants révoqués acceptent, tard dans la nuit suivant leur révocation, d'évacuer les lieux cernés par les forces de l'ordre mandatées par la Justice ! Il devient très difficile de croire que cet organisme ait été géré en toute transparence par ses dirigeants kirchneristes...