mercredi 16 décembre 2015

Quand Charly García obtient la tête d'un responsable au ministère de la Sécurité [Actu]


Le chanteur de rock Charly García, une grande vedette en Argentine (à juste raison, l'homme a beaucoup de talent) vient de publier une lettre au vitriol adressée à Hernán Lombardi, nouveau ministre des Médias Publics, et ex-ministre de la Culture et du Tourisme du Gouvernement portègne, avec lequel ce chanteur au look beatnik a été en désaccord permanent depuis huit ans, même s'il se défend d'être kirchneriste (mais on l'a beaucoup vu aux côtés de la Présidente lors de fêtes emblématiques d'investiture ou de 25 Mai) (1).

Dans son texte, ce lecteur occasionnel de Página/12, qui n'a jamais eu la langue dans sa poche, s'offusque de voir arriver au ministère de la Sécurité nationale un sous-secrétaire d'Etat (2) au passé sulfureux : sous la dictature, l'homme, alors très jeune, tenait une chronique dans un périodique catholico-réactionnaire pro-Etats-Unis, où il a signé des phrases ignobles contre la Révolution Française et le caractère subversif et anti-chrétien du rock'n roll, dans le pire style fondamentaliste nord-américain, inculte et bas de plafond. Dans l'un de ses articles, le jeune homme avait attaqué nommément Charly García et Luis Alberto Spinetta, disparu il y a deux ans.

Il a aussitôt disparu de l'organigramme en cours d'élaboration du nouveau ministère, dirigé par Patricia Bullrich, une militante PRO dont le moins que l'on puise dire est qu'elle n'est pas connue pour son sens des nuances.

Página/12 raconte l'histoire du côté de Charly García et de sa colère homérique, en fixant les choses dans une sorte de passé immuable qui n'existe nulle part. Depuis quarante ans qu'a eu lieu ce triste coup d'Etat de Videla, tout le monde a eu le temps d'évoluer y compris Charly García...

Dans sa lettre, Charly a écrit qu'il méritait des excuses parce qu'il avait lutté contre la dictature. Et c'est fait. La Nación publie ce matin un article consacré aux excuses que l'ancien éditorialiste a aussitôt adressées, publiquement, au chanteur.

Mûri par les années et la vie, l'auteur déclare avoir honte aujourd'hui d'avoir écrit des choses qu'il ne pense plus et dont il voudrait pouvoir ne plus se souvenir (3). L'article de Página/12 ne fait nulle mention de ces excuses et conclut sur le refus irrévocable de García de participer si peu que ce soit aux politiques culturelles qui seront menées par ce Gouvernement. Comme je l'écrivais plus tôt, une bonne partie de la gauche argentine ne peut pas envisager la conciliation comme mode d'action politique et ne parvient à se situer que dans une culture de l'affrontement et du rapport de force.

Il y a une semaine devant le Congrès, Mauricio Macri avait dit qu'il pourrait être amené à commettre des erreurs en agissant et qu'il s'efforcerait de les corriger. Dont acte.
Il faut voir maintenant comment il va réagir face à l'avalanche contradictoire de critiques et de soutiens que son décret de nominations de deux juristes à la Cour Suprême a déclenchée dans le pays.

Pour aller plus loin :
lire l'article de Clarín sur cette polémique ouverte par Charly García, qui se répercute bien au-delà de Buenos Aires
lire l'article de Los Andes (Mendoza)


(1) Ceci dit, les artistes sont les artistes. Si on les paye pour venir chanter, jouer ou danser lors d'une fête, pourquoi diraient-ils non ? Etre sur scène fait partie du métier. Johnny Hallyday a souvent chanté à la Fête de l'Huma, ça n'en fait pas pour autant un communiste convaincu.
(2) Dans un organigramme ministériel français, c'est plus l'équivalent d'un Directeur que d'un sous-secrétaire d'Etat, à ceci près que dans l'administration publique en France, les postes sont tenus par des fonctionnaires professionnels et non pas par des politiques nommés à cet effet comme c'est le cas ici. Quelques jours avant l'investiture du nouveau Président, on commençait à parler de professionnaliser la gestion de l'Etat pour corriger ces pratiques en créant des corps de fonctionnaires comme il en existe en Europe et comme ils font sans doute profondément défaut en Argentine.
(3) Et c'est une maladresse de langage parce que du côté de la militance péroniste et droits de l'Homme, dont fait partie l'artiste, l'oubli est assimilé à du négationnisme. Ce qui est lié, c'est la mémoire, la justice et la vérité. L'homme est à droite, c'est clair, et il a gardé des repères intellectuels et sémantiques de droite, ce qui n'empêche pas qu'il se soit ouvert l'esprit. Or à droite, ce sacro-saint trio de gauche qu'est mémoire, justice et vérité est ressenti comme un appel à la vengeance, comme une guerre civile larvée, comme une épuration avec toute la violence physique et verbale qu'on lui a connue, en France et en Belgique, à la Libération. Et il est vrai que le doute est semé par le slogan de Madres de Plaza de Mayo, Ni perdón ni olvido (qu'on peut traduire soit par "ni pardon, ni oubli" soit par "ni grâce, ni oubli", on pourrait presque traduire par "Sans merci", c'est une devise très violente), et par les difficultés qu'ont eues ces organismes pour comprendre ce que disait le magistère de l'Eglise catholique quand il parlait de pardon et de réconciliation, ce qui était immédiatement interprété, jusqu'à il y a peu, comme un appel à l'impunité (lire mon article du 7 novembre 2015 à ce propos).