Les quotidiens La Nación et Clarín
font état d'un décret présidentiel, soutenu par le ministre de la
Culture, qui dissoudrait dès aujourd'hui un institut d'histoire à l'idéologie plus que revendiquée et de ce fait très contesté, el
Instituto Nacional de Revisionismo histórico Manuel Dorrego, fondé
par Cristina Fernández de Kirchner, en novembre 2011, à
l'instigation d'un historiographe péroniste, Pacho O'Donnell, qui
l'a quitté l'année dernière, arguant que les "ennemis"
étaient dans la place. L'institut devait rétablir un équilibre et redonner tout leur éclat aux figures historiques qui avaient été maltraitées (c'est un fait incontestable) par l'histoire officielle forgée par l'oligarchie (entendez la pensée dominante venue de la droite intellectuelle de la seconde moitié du XIXe siècle, sous l'impulsion de Sarmiento et Mitre).
Le décret auquel font allusion les
deux journaux et que je n'ai pu trouver sur aucun des différents
portails publics du Gouvernement argentin fait état du caractère
arbitraire et "abusif" de l'intervention de l'Etat dans "les questions
de méthodologie historique" (pas faux), le même procès qui fut fait
en son temps, mais dans l'autre sens (contre la droite dans notre cas), à l'avortée Maison de l'Histoire de
France voulue par Nicolas Sarkozy et qui se serait installée dans l'ancien siège des
Archives nationales dans le Marais mais dont le projet fut abandonné à l'été
2012 (voir cet article du journal Le Monde sur le sujet).
Le site Internet de l'institut en
question ne fait rien apparaître de cet ordre, sinon cette dernière
lettre de Manuel Dorrego, lorsqu'il faisait ses adieux à son neveu
juste avant d'être fusillé par les unitaires (volontiers identifiés
aux néolibéraux et à Macri par les historiens revisionistas
d'aujourd'hui).
Même Página/12, d'habitude si rapide
à prendre la défense de ce genre d'institution, reste muet dans son
édition de ce jour. Il est possible que l'organisme ait fini par se
décrédibiliser après la grave crise du départ de son fondateur et
tout premier président il y a tout juste un an (voir mon article du 20 décembre 2014, complété par des ajouts les 22 et 27 décembre
suivant).
Le 28 décembre de cette année, il y a
quatre jours, l'institut s'était contenté de changer sa photo de
couverture Facebook en modifiant le drapeau qui apparaît derrière
le visage de Dorrego dans le logo : il a remplacé le drapeau de
la Patria Grande (multicolore) par le bicolore argentin. Ce qui en
soi est assez étonnant ! Qui aurait cru jusqu'à présent que
l'institut soit un tant soit peu susceptible de privilégier les
seules couleurs nationales ?
La directrice du Museo Histórico
Nacional, qui faisait partie des historiens fondateurs de l'institut,
Araceli Bellota, écrivain et scénariste, ui se présente avant tout
comme péroniste et féministe, vient de son côté de démissionner
de ses fonctions au MHN qu'elle occupait depuis avril 2013 et
auxquelles elle avait été reconduite le 9 décembre dernier, dans
l'une des ultimes décisions de Cristina de Kirchner, prise sans
aucune concertation avec le gouvernement Macri qui prenait ses
fonctions le lendemain - sans oublier le véritable sac de nœuds de
mandats cumulés entre la direction du Patrimoine national, celle du
Museo del Cabildo et celle du MHN, le tout croisé avec
l'organigramme de l'INRH Manuel Dorrego !
Reproduction de la page 20 de La Nación du 20 décembre 2014 Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Au-delà de l'acte politique, partisan
et idéologique qu'elle représenta en 2011, la création de cet
institut aurait pu être une salutaire provocation intellectuelle en
vue d'équilibrer le secteur de la recherche historique, qui n'existe
pas vraiment en Argentine où l'histoire est encore, pour une grande
part, un outil de formation de l'opinion publique et un champ de
bataille idéologique sur l'identité du pays et son avenir.
Peut-être a-t-il d'ailleurs permis à une partie du monde
intellectuel de prendre conscience de la nécessité de développer
dans le pays une recherche historique au sens scientifique du
terme... C'est ce que l'on devrait pouvoir vérifier à la rentrée
prochaine, en mars, en voyant quelle direction vont prendre les
différents instituts nationaux d'histoire puisqu'ils en existent
plusieurs, l'un consacré à José de San Martín, un autre à Manuel Belgrano, un
autre à Juan Manuel de Rosas, un autre à Hipólito Yrigoyen et un autre, enfin, à Evita Duarte de Perón (et peut-être suis-je en train
d'en oublier).
Pour aller plus loin :
lire l'article de La Nación
d'aujourd'hui
lire l'article de Clarín
consulter le site Internet de l'Institut Dorrego
consulter sa page Facebook
lire l'article de La Nación du 20 décembre 2014 (en fac-similé ci-dessus) lorsque Pacho O'Donnell proposait, en vain, de
dissoudre l'institut noyauté par l'"ennemi" (rappelons à ceux qui l'aurait oublié que l'Argentine est un pays démocratique et neutre, dont les citoyens peuvent avoir des adversaires, ou des opposants, mais certainement pas des ennemis et encore moins si ceux-ci sont des compatriotes vivant dans le même pays).
Ajout du 2 janvier 2016 :
L'INRH Dorrego vient d'annoncer sur sa page Facebook, en deux statuts distants de quelques heures, l'un daté du 31 décembre dans l'après-midi, l'autre du 1er janvier dans la matinée, la nouvelle de sa dissolution par décret présidentiel. C'est par la presse que les salariés ont pris connaissance de l'imminence de la dissolution de leur institut, ce qui est d'une violence extrême, en tout temps mais encore plus en cette période de fête et de longues vacances d'été. Quoi qu'il en soit du bien-fondé ou non de l'institut, le respect humain exigeait plus d'égard envers les gens qui, grâce à leur emploi, gagnent leur vie et de quoi subvenir aux besoins de leurs familles...
L'annonce évoque donc le sort professionnel incertain des salariés de l'Institut (ce qui est en effet un souci majeur en ce début d'année) et se conclut sur une citation de l'hymne national : "Al gran pueblo argentino salud" (au grand peuple argentin, salut !)
Pour une institution qui aurait rencontré son public et aurait prouvé son utilité et sa popularité, les partages restent limités : un peu plus de 1800 pour le premier message (à quelques heures du réveillon) et un peu plus de 220 pour le second.
Sur les sites Internet gouvernementaux, on ne trouve toujours rien sur le sujet.
Pas davantage sur Página/12, qui prend le temps de commenter assez longuement (sans toutefois le faire apparaître sur sa une) une tentative d'effraction avec violence aux petites heures du 31 décembre dans les locaux de La Voz de las Madres, la radio de Madres de Plaza de Mayo... Que signifie ce silence de la part du principal quotidien d'opposition ?
S'agirait-il d'une fuite autour d'une décision déjà envisagée mais que le ministre avait prévu d'annoncer aux intéressés, avec plus de ménagement, après les fêtes, voire à la rentrée ?
Comment une dissolution pourrait-elle être effective au 31 décembre 2015 alors que le 2 janvier 2016, aucun décret n'est encore paru au Bulletin officiel de la République argentine et qu'il n'y a aucun signe que le Président Macri ait signé un tel décret ? Et s'il s'agit bien d'une fuite, le ministre ou la Casa Rosada elle-même seraient bien inspirés, me semble-t-il, d'émettre un démenti, ou de fournir des explications, ou de présenter de toute urgence des excuses pour un tel faux pas de leurs services tout en annonçant le lancement d'une enquête interne, deux démarches qui ne sont pas encore -et de loin, hélas- entrées dans les mœurs politiques argentines...
Ajout du 2 janvier 2016 :
L'INRH Dorrego vient d'annoncer sur sa page Facebook, en deux statuts distants de quelques heures, l'un daté du 31 décembre dans l'après-midi, l'autre du 1er janvier dans la matinée, la nouvelle de sa dissolution par décret présidentiel. C'est par la presse que les salariés ont pris connaissance de l'imminence de la dissolution de leur institut, ce qui est d'une violence extrême, en tout temps mais encore plus en cette période de fête et de longues vacances d'été. Quoi qu'il en soit du bien-fondé ou non de l'institut, le respect humain exigeait plus d'égard envers les gens qui, grâce à leur emploi, gagnent leur vie et de quoi subvenir aux besoins de leurs familles...
L'annonce évoque donc le sort professionnel incertain des salariés de l'Institut (ce qui est en effet un souci majeur en ce début d'année) et se conclut sur une citation de l'hymne national : "Al gran pueblo argentino salud" (au grand peuple argentin, salut !)
Pour une institution qui aurait rencontré son public et aurait prouvé son utilité et sa popularité, les partages restent limités : un peu plus de 1800 pour le premier message (à quelques heures du réveillon) et un peu plus de 220 pour le second.
Sur les sites Internet gouvernementaux, on ne trouve toujours rien sur le sujet.
Pas davantage sur Página/12, qui prend le temps de commenter assez longuement (sans toutefois le faire apparaître sur sa une) une tentative d'effraction avec violence aux petites heures du 31 décembre dans les locaux de La Voz de las Madres, la radio de Madres de Plaza de Mayo... Que signifie ce silence de la part du principal quotidien d'opposition ?
S'agirait-il d'une fuite autour d'une décision déjà envisagée mais que le ministre avait prévu d'annoncer aux intéressés, avec plus de ménagement, après les fêtes, voire à la rentrée ?
Comment une dissolution pourrait-elle être effective au 31 décembre 2015 alors que le 2 janvier 2016, aucun décret n'est encore paru au Bulletin officiel de la République argentine et qu'il n'y a aucun signe que le Président Macri ait signé un tel décret ? Et s'il s'agit bien d'une fuite, le ministre ou la Casa Rosada elle-même seraient bien inspirés, me semble-t-il, d'émettre un démenti, ou de fournir des explications, ou de présenter de toute urgence des excuses pour un tel faux pas de leurs services tout en annonçant le lancement d'une enquête interne, deux démarches qui ne sont pas encore -et de loin, hélas- entrées dans les mœurs politiques argentines...