C'est une voix d'or apparue dans les
années 1940 qui s'est éteinte le 9 décembre dernier : Alberto
Podestá, qui avait travaillé avec Miguel Caló, avant d'être
débauché par Carlos Di Sarli. Il avait fait une grosse partie de sa
carrière avec beaucoup d'autres grands orchestres, avant que le
renversement de Perón en septembre 1955 sonne le glas de la grande
époque du tango, des orchestres et des cabarets. Il avait été
l'une des vedettes du Café de los Maestros, ce documentaire sur les
grands anciens, réalisé par Gustavo Santaolalla, qui a redonné du
lustre à cette génération dans les années 2000.
Página/12 lui a consacré la une de
ses pages culturelles au lendemain de sa mort, le 10 décembre, mais
le site Internet du journal faisait alors l'objet d'une attaque
pirate très élaborée qui le rendait inaccessible alors que
l'Argentine se préparait à changer d'époque politique. Le reste
des journaux nationaux ont été des plus discrets sur la question.
Je n'ai pris moi-même connaissance de l'information que ce matin en
pouvant enfin ouvrir le site de Página/12 (1).
En août 2007, j'avais eu la chance de
rencontrer Alberto Podestá. Croyant avoir affaire à une
journaliste, il m'avait donné rendez-vous dans un café de la rue
Lavalle, face aux bureaux de la Sadaic, et il m'avait servi la scène
pittoresque que l'on voit dans tous les reportages européens sur les
artistes de tango : le vieux chanteur en train de taper le
carton avec quelques vieux potes du même âge dans un décor de
bistrot. Quand il s'est rendu compte, aux propos que je lui tenais et
à mon niveau de maîtrise de l'espagnol d'Argentine, il avait tout
arrêté, s'était excusé et m'avait demandé si je pouvais revenir
le lendemain où il pourrait me recevoir ailleurs, dans de meilleures
conditions et dans une atmosphère beaucoup plus tranquille. Ce qui
fut fait. Et le lendemain, je rencontrais l'homme réel, pas ce
stéréotype à la recherche duquel il m'avait crue.
L'homme avait 91 ans. Vous verrez dans
l'entrefilet de La Nación que la date de naissance est fausse. C'est
vous dire dans quelles conditions de bâclage cette pauvre nécrologie
a été réalisée dans la folie de cette journée d'investiture
présidentielle de Mauricio Macri.
Vous lirez donc plus attentivement
l'article de Página/12.
D'ordinaire, lorsque l'Argentine pleure
l'une de ses grandes personnalités, il n'y en a dans Barrio de Tango
que pour le disparu. Aujourd'hui, eu égard au contexte politique
dans lequel se produit ce décès, je viole ma propre règle mais je
mets cet hommage à Alberto Podestá en ouverture de la page du jour.
(1) L'attaque dont a fait l'objet le
journal est sans aucun doute liée au calendrier politique
puisqu'elle cesse ou qu'elle peut être surmontée maintenant que
Mauricio Macri est en place et a déjà pris ses premières mesures,
dont une modification importante des décrets d'application de la loi
sur les médias et de celle qui organise l'organigramme de
l'Exécutif. A gauche en Argentine, on murmure qu'une société de
téléphonie serait à l'origine du problème rencontré par le titre
ces derniers jours. Qui que soit le commanditaire de l'attaque, c'est
un acte grave en démocratie.