Une de ce jour "On ne peut pas aborder l'urgence sociale à travers la sécurité" |
Dans sa première interview depuis sa prise de
fonction mardi dernier, la nouvelle ministre de la Sécurité, Sabina
Frederic, a abordé tous les sujets brûlants de son ministère,
antérieurement tenu par une militariste obtuse et droitière,
partisane à la limite du fanatisme de la violence institutionnelle
dans un pays où la police n’a que trop tendance à avoir la
gâchette facile (gatillo fácil) et un lourd passif en matière de mauvais usage de
la force.
Alberto
Fernández a choisi pour ce poste l’exact opposé de la revêche Patricia Bullrich. La nouvelle ministre est une
anthropologue distinguée, qui a fait son doctorat aux Pays-Bas, elle
est enseignante à l’Université nationale de Quilmes (dans la
banlieue sud et populaire de Buenos Aires) (1) et chercheuse au
CONICET (le centre national de recherche et de technologie) et dans
d’autres gouvernements, sous Néstor Kirchner puis sous Cristina
Kirchner, elle a travaillé au sein du ministère de la Défense sur
diverses questions techniques. La dame est souriante et naturelle
comme on le voit sur la photo portée à la une de Página/12 ce
matin. De belles manières dont Bullrich nous a trop longtemps
privés.
A
son programme, plus long que le bras : renforcer et moderniser
la formation des effectifs de police pour implanter des mœurs un peu
plus civilisées et dignes d’un État
de droit, supprimer la "doctrine Chocobar"(2), instituée par le
gouvernement précédent et qui consistait à donner aux policiers le
droit de faire feu n’importe quand et n’importe comment, y
compris dans le dos des personnes visées, en les exemptant en prime
de toute poursuite judiciaire, améliorer les statistiques et les
instruments de suivi et de gestion de l’action des forces de police
et de gendarmerie (3), lancer la réflexion sur les modalités pour
légaliser et réguler le marché des drogues douces (4) et modifier
les règles d’usage des pistolets Taser que l’ancien gouvernement
avait commandés pour le maintien de l’ordre sur la voie publique
(et dont les effectifs ne sont toujours pas équipés parce que les
armes n’ont pas encore été livrées par le fabricant).
Autre
caractéristique qui différencie la nouvelle ministre de
l’ancienne : tout au long de l’article, alors que le
journaliste, Nicolás Romero, cherche à lui faire émettre des
condamnations bien senties de l’action de la majorité antérieure,
Sabina Frederic reste mesurée et nuancée dans toutes ses réponses,
veillant soigneusement à éviter la polémique et la bagarre
idéologique.
Pour
aller plus loin :
(1)
De ces universités installées en zone populaire dont la précédente
gouverneure de la province de Buenos Aires avait dit qu’elles
étaient inutiles « puisque les pauvres n’arrivent jamais à
l’université ».
(2) Chocobar est un policier de la Province de Buenos Aires qui a tué dans le dos un délinquant très violent dans une rue de la Ville Autonome de Buenos Aires. Reçu avec tous les honneurs au lendemain de son crime par le président Macri et les ministres national et provincial de la Sécurité, il n'en a pas moins été inculpé par la Justice et on attend que se tienne enfin son procès.
(3)
Le ministère de la Sécurité chapeaute quatre corps : la
police fédérale qui a compétence sur tout le territoire, la
gendarmerie qui ne travaille que sur le territoire limitrophe aux
frontières, la préfectorale, qui est compétente sur les fleuves et
les rivages et en particulier sur le Río de la Plata, et la police
aéroportuaire.
(4)
L’Uruguay a déjà légalisé la vente du cannabis et il semblerait
que ce ne soit pas la catastrophe socio-sanitaire que les opposants à
cette loi pouvaient craindre.