Jeu de mot habituel à la une de Página/12 (24.12) : aguante signifie résistance et comporte le mot agua (eau) |
A
peine deux semaines après sa prise de fonction, le nouveau
gouverneur radical (1) de Mendoza et sa majorité à la chambre
provinciale (coalition Juntos por el Cambio (2), ex-Cambiemos,
désormais dans l’opposition nationale) ont déclenché une
guerre-éclair de l’eau qu’ils viennent de perdre dans les
grandes largeurs. Sans doute avaient-ils cru que tout leur était
permis parce que le président Alberto Fernández avait dit, dans son
discours inaugural, le 10 décembre, que l’activité minière avait
toute sa place dans l’économie nationale.
Gros titre : "Secteur minier : le gouvernement assurera les contrôles et promet qu'on veillera sur l'eau" Cliquer sur l'image pour une haute résoluton |
Par
le biais de la suppression de la loi 7722, qui réglemente l'activité minière et protège l’environnement contre les pollutions industrielles, il s’agissait d’autoriser, par la loi
9209, les exploitants de mines d’or, de véritables puissances
financières, à utiliser des produits dangereux, entre autre du
cyanure, pour extraire les métaux dans des gisements à ciel ouvert,
au risque de polluer l’air, le sol et surtout l’eau, que ces
poisons auraient pu rendre impropre à la consommation humaine et à
l’agriculture... Le tout dans une province semi-désertique et très
agricole, largement couverte de vignobles qui produisent des vins qui
sont, avec les splendides paysages andins, l'un des atouts
économiques et touristiques de la région et une source non
négligeable de devises (hélas complètement privatisées)
favorablement accueillie par la balance commerciale argentine !
Et reconnaissons qu’avec la crise que traverse l’Argentine, cet
atout n’est pas un luxe dont ni le pays ni la province ne peuvent
se passer...
"Suárez traître !" affirme la pancarte à Mendoza Derrière, sur le pont, une banderole noire : "Pas touche à la loi 7722" Photo Uno |
De
surcroît, le problème de l’eau est lié au réchauffement
climatique et à la raréfaction planétaire de l’or bleu puisque,
depuis de nombreuses années, malgré de nombreuses retenues d’eau
sur les rivières provenant de la cordillère, Mendoza est en stress
hydrique presque continu et peine à vivre sans restriction.
Le
23 décembre, une foule considérable s’est rassemblée à Mendoza,
sous les fenêtres du gouverneur Rodolfo Suárez, pour exiger qu’il
mette son veto à cette mesure imbécile, égoïste et dangereuse.
Cela n’a pas empêché celui-ci de promulguer cette loi scélérate
dès le lendemain, avec un cynisme, un aplomb et une arrogance qui
peuvent rappeler quelque chose ici, en France. Malgré les
préparatifs du réveillon, cette décision qui ignorait délibérément
la volonté populaire manifestée la veille dans la rue a provoqué
de nouvelles manifestations monstres, cette fois-ci, dans plusieurs
villes de la province, et des prises de position de nombreux secteurs
sociaux et militants, y compris de la part des reines de la Vendange.
Prenant très à cœur leur mission de représentantes des enjeux
culturels et économiques de leur ville, reçue au moment de leur
élection l’année dernière, ces jeunes femmes, organisées en
commission officielle, la Corenave (voir sa page Facebook), ont
suggéré d’annuler la Fiesta de la Vendimia, temps fort culturel
et touristique pour toute la province pendant tout l’été.
"Une loi qui fait eau" En haut, le ministre de l'Éducation nationale en interview |
Depuis
Buenos Aires, le ministre fédéral du développement durable a
commenté cette actualité provinciale en signalant que si la
province était libre de légiférer comme elle le souhaitait, l’eau
était le bien de tous les Argentins et que son devenir ne pouvait
pas dépendre d’un revirement législatif d’une seule province
(3). En inaugurant ainsi l’action politique de son ministère, Juan Candambié a reconnu que l’accès à l’eau était un droit
de l’homme, il en a fait par conséquent un droit inaliénable, ce
qui n’est pas encore acté dans la législation nationale mais le
sera peut-être un jour.
"San eau, il n'y a pas de Vendange" L'écharpe rouge barre toutes les dates des festivals ville par ville Le tract numérique de la Corenave repris par Uno |
Avant-hier,
en conférence de presse, défait et entouré d’une partie de son
gouvernement, Suárez a reculé en faisant des déclarations en pure
langue de bois, du caroubier massif 40 carats au moins (4).
Invitation au dialogue si insincère que les organisations
écologistes ont refusé de jouer un jeu qu’elles estimaient
truqué. La Corenave a maintenu son appel à annuler les fêtes (au
cours desquels les reines sont élues). Un appel entendu par au moins
six villes, dont Maipú, San Carlos et Tuñuyán, dont les vignobles
sont parmi les plus prestigieux du pays.
Les reines, reçues par le gouverneur. La réunion n'a pas abouti et elles ont maintenu leur appel à l'annulation |
Hier
enfin, en réunion avec l’ensemble des maires de la province, qui
ont pouvoir de décider de maintenir ou non le programme des
festivités sur leur commune (5), le gouverneur a dû annoncer qu’il
ne promulguerait pas la loi ainsi votée par son assemblée godillot
puisque « les Mendocins sont contre les mines » (6) et
qu’il enverrait lundi un nouveau projet de loi à la chambre
provinciale pour rétablir les dispositions de la loi 7722.
"Suárez a suspendu la loi sur le secteur minier et le PJ demande maintenant son annulation" Los Andes, 27 décembre Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
La
loi 9209 est donc morte. Paix à son âme. Les écologistes et le
peuple mendocin ont gagné la guerre. Quant à Suárez, il entame
son
mandat sur
un échec cuisant accompagné d’un
scandale qui risque d’être son sparadrap du capitaine Haddock
pendant les quatre ans
à venir
et qui expose
à la lumière la plus crue son
inféodation dénuée
de sens moral
à des capitalistes d’une
cupidité sans fond.
Les
villes qui avaient annulé leur festival le reprogramment
normalement.
Los Andes ce matin « Suárez annule la loi du secteur minier : "Ecoutons le peuple !" » Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Curieusement,
alors que l’affaire retient depuis mardi toute l’attention de
Página/12, quotidien de gauche favorable à l’actuelle majorité
nationale. La Prensa ne s’y est intéressée qu’à partir
d’avant-hier, quand le pouvoir politique (certes contraint et
forcé) a enfin résisté devant les exigences d’un grand capital
sans aucune éthique, ni dans le domaine de l’écologie ni dans
celui de la justice sociale et économique. La Nación, quant à
elle, a réagi dès le 26 mais uniquement sur son site Internet et il
a fallu attendre de longues heures après le bouclage de l’édition
papier du 27 pour voir un article sur celui de Clarín.
"Cou-lée" Página/12 ce matin |
Pour
en savoir plus :
Depuis
Buenos Aires
lire
l’article de Página/12 du 24 décembre 2019
lire
l’article de Página/12 du 26 décembre sur la seconde
manifestation
lire
l’article de Página/12 d’hier
lire
l’article de Página/12 de ce matin
lire
l’article de La Prensa d’avant-hier soir, après le recul de
Suárez
lire
l’article de Clarín d’hier
lire
l’article de Clarín de ce matin
lire
l’article de La Nación du 26 décembre
lire
l’article de La Nación de ce matin
A
Mendoza
le
24 décembre
lire
l’article de Los Andes sur les opposants à la loi déterminés à
continuer la lutte pendant les deux réveillons
lire
l’article de Los Andes sur le premier appel de la Corenave, la commission des
reines
hier
lire
l’article de Los Andes sur la Corenave, qui maintient son appel à
annuler les fêtes de la Vendange qui se succèdent tout l’été à
travers la province pour aboutir en mars à celle de la capitale qui
se tient en mars
lire
l’article de Los Andes sur les six villes qui avaient décidé d'annuler leur fête
pour continuer de faire pression sur le gouverneur
lire
l’article de Uno sur le même sujet
lire
l’analyse politique de Uno sur la pression exercée sur le
gouverneur à travers les menaces pesant sur les fêtes de la
Vendange (« Le principal missile contre Suárez s’appelle
Vendange »)
aujourd’hui
(1)
Petit rappel historique : le parti radical, l’UCR, est né en
1891 pour lutter contre la corruption des grands propriétaires
fonciers et grands détenteurs de capital qui confondaient les
intérêts de la République argentine avec ceux de leurs comptes en
banque.
(2)
Ce qui signifie « Ensemble pour le changement » au lieu
de « Changeons ». Slogan que les électeurs semblent
avoir pris au pied de la lettre en s’unissant pour changer en effet
de gouvernement.
(3)
D’ailleurs au moins deux provinces andines, Salta au nord et Chubut
au sud, sont venues à la rescousse des manifestants et ont épousé
leurs exigences contre le racket des lobbies miniers.
(4)
Il appelait au dialogue sur la question pour garantir la paix civile.
Y croyait-il seulement lui-même ?
(5)
En Argentine, on parle de départements.
(6)
Ce qui n’est pas exact. Ils sont contre le fait de les autoriser à
détruire le pays. Ce qui est assez différent.