samedi 14 décembre 2019

Vers la normalisation de l’avortement - Article n° 6000 [Actu]

"Le premier pas", dit le gros titre d'hier
avec le symbole du ruban vert
(les pro-légalisation arborent un foulard vert)
A gauche : l'arrivée de Evo Morales en Argentine
où il a obtenu le statut de réfugié politique avec consigne de se faire discret
En haut : la remise en lumière du grand portrait d'Evita Perón
sur le bâtiment de la CGT

Jeudi dernier, le ministre argentin de la santé, Ginés González García, a promulgué un nouveau protocole, d'application immédiate, sur l’interruption légale de grossesse (ILE), qui reprend la mesure-clé du protocole publié puis annulé dans la journée par Mauricio Macri et son ministre de la santé il y a deux semaines : la possibilité pour les femmes d’accéder à un avortement légal en déclarant simplement sur l’honneur avoir été violée, puisque c’est un motif valide depuis près d’un siècle (1).

Gros titre intraduisible :
la verdolaga, c'est le pourpier en français
clair allusion en Argentine au foulard vert.
Traduit en français, ça nous oriente vers le rouge !
On pourrait dire "Salade verte"
Cliquez sur l'image pour une haute résolution

Le document se présente comme purement médical et même ultra-technique. Il permet aux femmes de recourir à l’IVG sans passer devant un juge jusqu’à ce que la loi change, ce qui se fera sans doute prochainement, au cours de la présente législature, et le débat sera sans doute alors moins violent qu’il ne l’a été ces dernières années.

A gauche, Michelle Bolsonaro, à droite, Fabiola Yáñez
à Rome, hier

Le gouvernement y va avec prudence et sagacité. Comme la mesure peut l’éloigner de l’Église, dont il est proche du fait de son attention aux plus vulnérables, l’Argentine a envoyé la première dame, au surlendemain de la prestation de serment de son compagnon, à Rome, assister à l’inauguration du nouveau siège de la fondation Scholas Occurentes, une initiative du pape François, quand il était encore archevêque de Buenos Aires, inauguration qui marquait par ailleurs le jubilé d’or de son ordination. Fabiola Yáñez a rejoint le groupe des conjoints de chef d’État latino-américains qui participait à la fête. Elle a ainsi rencontré le Saint-Père qui l’a visiblement accueillie avec chaleur et à qui elle a offert le calice qui a été utilisé dimanche dernier à la messe de l’Immaculée Conception à Luján à laquelle ont assisté côte à côte Alberto Fernández et Mauricio Macri en signe de paix civile, au-delà des différences politiques. Le lien est donc noué d’emblée avec Rome et la une de La Prensa s’en fait l’écho avec son gros titre et la choix de la photo. Fabiola Yáñez en a même profité faire la connaissance de Michelle Bolsonaro, l’épouse du président brésilien, qui vient tout juste de mettre de l’eau dans son vin et a cessé d’insulter et de menacer l’Argentine et son président de gauche, qu’il vomissait jusqu’à il y a quelques semaines.

Le gros titre ressemble à une des formules liturgiques du gloria de Noël :
Paz en la tierra a los hombres que ama el Señor
(paix sur la terre aux hommes qu'il aime)
"Paix au Vatican, guerre à Buenos Aires"
sur une photo qui montre Fabiola Yáñez recevant l'accolade du pape
Cliquez sur l'image pour une haute résolution

Hélas, en Argentine, le prélat à la tête de la pastorale de la Santé a réagi avec des propos très tranchés et peu pacificateurs, prétendant que la majorité des Argentins sont contre le dépénalisation de l’avortement, ce que soi-disant on aurait vu en 2018 lors du débat parlementaire. Gros mensonge car le débat parlementaire rend témoignage de l’opinion des élus et non pas de l’ensemble de tous les citoyens. Pour ces derniers, on ne sait pas où se trouve la majorité : il n’y a pas eu de référendum sur le sujet.

Clarín traite le sujet en bandeau supérieur et en manchette inférieure
"Collision entre l'Eglise et le gouvernement :
elle l'a accusé d'installer l'avortement libre"
Cliquez sur l'image pour une haute résolution

Lorsque le gouvernement de Pepe Mujica, en Uruguay, avait légalisé l’avortement, le primat du pays avait réagi avec beaucoup plus de prudence : il avait déclaré qu’après l’adoption de cette loi, l’Église allait « s’occuper des blessés », c’est-à-dire prendre en charge les dégâts psychiques, éthiques et spirituels que ce type de législation entraîne dans une société judéo-chrétienne. Cela lui avait permis de redire l’opposition de l’Église à cette solution mais sans déterrer la hache de guerre. Dommage que cet évêque argentin n’ait pas pris modèle sur son homologue de Montevideo… Cette violence verbale a été remarquée et soulignée par tous, y compris par les journalistes de Clarín et de La Nación, d’habitude très prompts à soutenir les militant(e)s du foulard bleu (anti-foulard vert).


Le schéma de la procédure à suivre, extrait du dossier de présentation du protocole
Cliquez sur l'image pour une haute résolution

Pour aller plus loin :
dans la presse d’hier
lire l’article de La Prensa (hostile mais pas autant que ce qu’on aurait pu imaginer mais il est vrai qu’il y a encore eu une morte à la suite d’un avortement clandestin la veille des prestations de serment, donc au lendemain de l’Immaculée Conception)
dans la presse de ce matin
lire l’article de La Prensa sur la réaction du président de la commission pastorale de la Santé
lire l’article de Clarín sur la réaction de l'évêque
lire l’article de Clarín sur Fabiola Yáñez à Rome
lire l’article de La Nación

Ajouts du 19 décembre 2019 :
Le président a reçu une délégation de l'épiscopat à la Casa Rosada. Les prélats ont montré leur désaccord devant la politique du ministère de la Santé sur l'avortement mais ils ont indiqué leur accord devant la politique de redistribution et de soutien aux plus vulnérables que le gouvernement vient de lancer.
Lire l'article de Página/12
Lire l'article de La Prensa
Lire l'article de Clarín
Lire l'article de La Nación



(1) L’autre motif rendu valable par la jurisprudence est la santé et la survie de la mère.