dimanche 22 mai 2011

Interview de Pipi Piazzolla dans Radar, la semaine dernière [Disques & Livres]

C'est au sujet de la sortie de ce disque Piazzolla plays Piazzolla que Daniel "Pipi" Piazzolla se retrouve dans les colonnes de Radar, le supplément culturel dominical de Página/12, qui est décidément l'un des quotidiens argentins les plus intéressants pour ce qui est de la culture (les articles sont développés comme dans aucun autre titre de la presse quotidienne).

Verbatim de cette interview passionnante, rapportée par Mariano del Mazzo :

“Sí, es una presión. Y una rotura de huevos. Desde el jardín de infantes que vengo hablando de mi abuelo. Ahora por lo menos hay una excusa artística.” En su casa de Coghlan, rodeado de mujer e hijos, Daniel “Pipi” Piazzolla habla con cierta resignación del estigma del apellido, tan poderoso que ni su pueril apodo logra neutralizar. El “caso Pipi” puede ser analizado desde lo musical o desde el diván psicoanalítico. Lo concreto es que esquivó el tango como pudo, se dedicó a la batería y, recién después de cinco discos con la banda de jazz Escalandrum y casi 20 años de trayectoria en diferentes grupos [...], puede dar una entrevista él solito como lo que es: un Piazzolla.
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"Pour une pression, c'est une pression. Et un casse-couilles aussi (1). Depuis le jardin d'enfants, je me farcis de parler de mon grand-père. Maintenant, au moins, il y a une excuse artistique". Chez lui, dans le quartier de Coghlan, entouré par sa femme et ses enfants, Daniel Pipi Piazzolla parle avec une certaine résignation du stigmate de son patronyme, si puissant que même son surnom d'enfant ne parvient pas à le neutraliser. Le cas Pipi peut être analysé du point de vue musical ou depuis le divan du psychanalyste (2). Ce qui est sûr, c'est qu'il a échappé au tango comme il a pu, qu'il s'est consacré à la batterie et que seulement au bout de 5 disques avec le groupe de jazz Escalandrum et presque 20 ans de trajectoire dans des groupes différents, il peut donner un interview, lui tout seul, comme ce qu'il est : un Piazzolla.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

[...]

“La cosa empezó cuando en un ensayo tocamos un tema de mi abuelo no muy conocido, ‘Lunfardo’. Lo terminamos, nos miramos y dijimos: ‘Guau, cómo sonó’. Y lo más importante: sin traicionar el estilo y el espíritu de la banda. Hay una parte que improvisamos, otra parte que no. La versión tiene un montón de capas... Conservamos nuestro sonido y al mismo tiempo respetamos el tema tal cual fue concebido. Lo complejo fue trasladar lo que hace el violín y el bandoneón a tres saxos. El tango es muy delicado: una melodía tanguera tocada con saxo en lugar de bandoneón suena grasa. Es horrible. Precisamente elegimos temas que no tengan esas cosas atacadas, duras, del fueye. ‘Lunfardo’ fue la semilla de este disco; era principios de 2008”
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Le truc a commencé quand, pendant une répétition, nous avons joué un morceau pas très connu de mon grand-père, Lunfardo. On a été jusqu'au bout, on s'est regardé et on a dit : "Waouh ! L'effet que ça donne !" Et le plus important : sans trahir le style et l'esprit du groupe. Il y avait une partie que nous avions improvisée, une autre non. Cette mouture a des tas de couches superposées... On garde notre sonorité et en même temps on respecte le morceau tel qu'il a été conçu. Le plus difficile, c'est de transposer ce que font le violon et le bandonéon pour trois saxos. Le tango, c'est très délicat : une mélodie de tango jouée au saxo au lieu du bandonéon, ça fait poseur. C'est horrible. Justement, on a choisi des morceaux qui ne comportent pas ces attaques, ces choses dures qu'il y a au bandonéon (3). Lunfardo a été le germe de ce disque. C'était au début 2008.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

[...]

Debe haber habido más de un conflicto con todo lo que representa el apellido, su peso...
–Es increíble, pero no. Incluso ellos quieren que yo cobre más, pero me niego. En una época no quería dar notas solo, pero eso se quebró. No pude sostenerlo. Lamentablemente los periodistas quieren entrevistas conmigo. Y la banda aprovecha: de pronto hay que ir a una radio a las dos de la mañana y... ¡tengo que ir yo! La última vez en Colombia llegamos a las seis de la mañana, a las ocho me metieron en un taxi y estuve dando notas hasta las seis de la tarde. Una locura, pero bueno... así se promocionan los shows y alguien lo tiene que hacer. Volviendo: lo que ocurre entre nosotros es mágico. Cero conflicto. Es que más allá del apellido, con el que seguramente conseguimos más trabajo, yo me quemo las pestañas estudiando y los chicos también. Hace ocho años que ensayamos todos juntos. Yo siempre traté de tener las cosas claras: quería estar al nivel familiar. Mi abuelo siempre me decía: “Estudiá, estudiá”. Mi viejo hipotecó la casa para que yo me fuera a estudiar a los Estados Unidos por un año.
Astor murió en 1992, Pipi es de 1972 y entre las enseñanzas de su padre Daniel –también músico, tocó en los ’70 en el Octeto Electrónico de Piazzolla– y la fama de su abuelo, se fue consumiendo su tierna infancia. “Los últimos tres años de Astor no se cuentan: tenía hemiplejia, no podía hablar. Pero hasta mis 17 construimos un lindo vínculo.”
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Il a dû y avoir plus d'un conflit [entre les musiciens de Escalandrum] avec tout ce que représente ton patronyme, son poids...
- C'est incroyable mais non. Et même eux veulent que je touche plus mais je refuse. A une époque, je ne voulais pas donner d'interview seul mais c'est passé. Je n'ai pas pu maintenir ça. C'est regrettable mais les journalistes veulent des interviews avec moi. Et le groupe en profite : d'un moment à l'autre, il faut aller à une station de radio à deux heures du matin... et c'est moi qui dois y aller, tout seul ! La dernière fois, en Colombie, on arrive à six heures du matin, à huit, on me fourre dans un taxi et je suis resté là à donner des interviews jusqu'à 6 heures de l'après-midi. Un truc de dingue mais bon... C'est comme ça qu'on fait la promotion de nos spectacles et il faut bien que quelqu'un le fasse. Pour en revenir à ce qu'on disait : ce qui se passe entre nous est magique. Aucun conflit. C'est qu'au-delà de mon patronyme, grâce auquel c'est sûr qu'on a plus de travail, je me tue au travail et les gars aussi. Cela fait huit ans que nous répétons tous ensemble. Moi, j'ai toujours essayé que les choses soient bien claires : je voulais être comme en famille. Mon grand-père me disait toujours : "Travaille, travaille" (4). Mon père (5) a hypothéqué la maison pour que je puisse aller faire un an d'études aux Etats-Unis.
Astor est mort en 1992. Pipi est né en 1972 et il a passé sa tendre enfance entre les leçons de son père Daniel -musicien lui aussi, il a joué dans les années 70 dans le Octeto Electrónico de Piazzolla- et la célébrité de son grand-père. Les trois dernières années d'Astor, on ne les compte pas : il était hémiplégique (6), il ne pouvait pas parler. Mais jusqu'à mes 17 ans, nous avons construit un lien sympa.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

¿Qué saltó en terapia?
–Uff... tanto... La búsqueda obsesiva de la perfección. Me ocurre cuando hago un café expreso como ahora o cuando Nico Guerschberg trae un tema que es una bossa nova y yo me paso toda la noche tratando de volverlo jazz argentino... Mi abuelo también buscaba la perfección, pero no porque en su familia hubiera alguien perfecto. El era así. En fin, no es fácil...
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Qu'est-ce qui est ressorti de la thérapie ?
- Ouf... tant de choses... La quête obsessive de la perfection. Cela me prend quand je fais un expresso comme maintenant ou quand Nico Guerschberg (7) apporte un morceau de bossa nova et que toute la nuit, je me tape de le transformer en jazz argentin... Mon grand-père aussi cherchait la perfection, mais pas parce que dans sa famille, il y avait eu quelqu'un de parfait (8). C'était lui qui était comme ça. Bref, c'est pas facile...
(Traduction Denise Anne Clavilier)

¿Qué cosa no es fácil?
–Nada. Es bravo: me siento a tocar la batería y hay diez tipos que miran qué carajo voy a hacer. Yo lo sé, siempre fue así, convivo con eso. Es una presencia, una observación permanente. Después te bajás y te encaran: “Yo era amigo de tu abuelo”. ¡Siempre hay un amigo de mi abuelo! (risas). Toco 250 veces por año, te imaginás...
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Qu'est-ce qui n'est pas facile ?
- Tout. C'est vache : je m'asseois pour jouer de la batterie et il y a 10 types qui regardent quelle bourde je vais faire (9). Je le sais, ça a toujours été comme ça, je cohabite avec ça. C'est une présence, un regard qui m'observe en permanence. Après tu te lèves et les yeux dans les yeux : moi, j'étais un ami de ton grand-père. Il faut toujours qu'il y ait un ami de mon grand-père (rires). Je joue 250 fois par an, tu t'imagines... (10)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Vos sos el nieto de Astor, pero Daniel es el padre de Pipi... Claramente superaste musicalmente a tu viejo.
–Sí, él mismo lo dice. Lo que pasa es que mi papá no se dedicó más a la música. Pero no me olvido de que yo estoy en esto gracias a él... El me alentó, me dio guita. Un capo. Y mi abuelo también: tocaba el timbre y le gritaba a mi viejo: “Bajame a Danielito”. Y me llevaba a los conciertos, a los ensayos, al camarín... Estuve por ejemplo en el Colón, en el famoso concierto de 1983. La relación entre mi abuelo y mi padre fue muy profunda. Además de haber tocado con él, mi papá fue un gran apoyo. Astor se separó varias veces, tuvo muchos lapsos de soledad... Era capaz de pagarle un pasaje a mi papá a Milán porque no quería estar solo. Eran muy culo y calzón.
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Toi, tu es le petit-fils de Astor, mais Daniel est le père de Pipi... De toute évidence, tu as surpassé musicalement ton père.
- Oui, il le dit lui-même. Le fait est que mon père (11) ne fait plus de musique maintenant. Mais je n'oublie pas que moi je suis dedans grâce à lui... Il m'a encouragé, il m'a donné des sous. C'est quelqu'un. Et mon grand-père aussi. Il sonnait à la porte de la maison et il criait à mon père : Amène-moi Daniel en bas. Et il m'emmenait à ses concerts, à ses répétitions, dans sa loge.. Par exemple, j'étais au Teatro Colón, pour ce fameux concert de 1983 (12). La relation entre mon grand-père et mon père était très profonde. En plus d'avoir joué avec lui, mon père l'a beaucoup soutenu. Astor a connu de nombreuses ruptures sentimentales, il a eu beaucoup d'intervalles de solitude... Il était capable de payer un billet d'avion à mon père pour Milan parce qu'il ne voulait pas rester seul (13). Ils étaient comme cul et chemise.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Pipi Piazzolla raconte alors ses premiers pas en musique et de premières études de piano.

¿Cómo llegaste a la batería?
–Por la hinchada de River... Nosotros vivíamos sobre Libertador, cerca de la cancha. Yo soy fanático, de local voy siempre. Bueno, la cosa es que la primera vez que fui a la cancha vi esos bombos, esos platillos... ¿viste cuando entran Los Borrachos del Tablón? Esos bombos, ese sonido, me llevaron a la percusión. Siempre me interesó y me movilizó lo popular. Un día fui a ver un recital de Rod Stewart y en el solo de batería me di cuenta de que estaban todos los elementos de la hinchada de River. Me saltó la ficha. Mirá que yo había visto de al lado tocar al Zurdo Roizner en los conciertos de mi abuelo... Pero me atacó por ahí. Dije: “Basta de piano, yo quiero eso”. Empecé a estudiar con un tipo muy grosso, Rolando “Oso” Picardi. Iba tres veces por semana. Yo pintaba para batero de rock, me gustaba Pink Floyd, The Police... pero el Oso me dio para escuchar Four & More, el disco en vivo de Miles Davis de 1964. Y me partió la cabeza. Tony Williams estaba sacado ese día. Ahí me metí de lleno en el jazz. Estaba juntando la guita para comprarme la batería, pero no llegaba más. Al final me la regaló mi abuelo.
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Comment es-tu venu à la batterie ?
- Par le club des supporters de River... (14). J'ai pété les plombs. Imagine-toi que depuis les coulisses j'avais vu jouer Roizner le Gaucher au cours des concerts de mon grand-père... Mais ça m'a pris là-bas. J'ai dit : "Marre du piano, c'est ça que je veux". J'ai commencé à travailler avec un type qui était un géant, Rolando Oso Picardi. J'y allais trois fois par semaine. Je me voyais batteur de rock, j'aimais les Pink Floyd, The Police... mais el Oso [l'ours] m'a fait écouter Four & More, le disque enregistré en public de Miles Davis en 1964. Et ça m'a emporté la tête. Tony Williams n'était pas de la partie ce jour-là. Là, je me suis fourré à plein dans le jazz. Je mettais de côté des sous pour m'acheter une batterie mais je n'y arrivais pas. Pour finir, c'est mon grand-père qui me l'a offerte.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

¿Para vos existe el “nuevo jazz argentino”?
–Por supuesto. Un turista que viene a Buenos Aires no compra un disco de Miles Davis... porque es absurdo. Compra un disco nuestro y nos va a ver a nosotros o a otros grupos de acá. Es así. Aquí se compone, se cita al folklore, al rock... qué sé yo, me parece tan obvio. Creo que finalmente hay músicos que les da vergüenza ser argentinos. Un jazz compuesto por argentinos, que no tiene el groove típico de jazz de los Estados Unidos, ¿qué es? Algunos sectores lo discuten... Son los que también piensan que el jazz latino es una mierda. Andá, sentate a tocarlo. En fin, hay tipos que leen muchos libros, que son muy intelectuales... A mí me interesa lo que piensan, no sé, Guillermo Klein, Richard Nant, Juan Cruz de Urquiza.
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D'après toi, ça existe le nouveau jazz argentin ?
- Bien sûr. Un touriste qui vient à Buenos Aries n'achète pas un disque de Miles Davis... parce que c'est absurde. Il achète un disque à nous et il vient nous voir nous ou à d'autres groupes d'ici. C'est comme ça. Ici, on compose, on fait référence au folklore, au rock et tout ce que tu veux. Cela me paraît tellement évident. Je crois que en définitive, il y a des musiciens qui ont honte d'être argentins. Un jazz composé par des Argentins, qui n'a pas le groove typique du jazz des Etats-Unis, c'est quoi ? Il y a des endroits où on conteste ça... Ce sont aussi les mêmes qui pensent que le jazz latino c'est nul. Essaye donc, tiens, assieds-toi et joue. Et puis, il y a des types qui lisent beaucoup, qui sont très intellectuels... Moi ça m'intéresse, ce qu'ils pensent, tu vois, Guillermo Klein, Richard Nant, Juan Cruz de Urquiza.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Después de “Lunfardo”, ¿cómo completaron el disco?
–Por votación: cada uno eligió sus quince temas preferidos de mi abuelo. Y quedó un mix entre temas no muy conocidos como “Vayamos al diablo” y clásicos como “Adiós, Nonino” y “Libertango”. Quedaron muchos afuera. A mí me hubiera gustado hacer “Fracanapa”, “La Camorra I”, “Decarísimo”.

¿Pensás en un Piazzolla plays Piazzolla II?
–No. De hecho ya estamos empezando a componer para nuestro noveno disco y va a ser con temas propios, tal vez un poco más urbanos. Vamos a ver. Escalandrum es un grupo de jazz. Yo escucho a Davis, a Shorter, a Mehldau... no escucho Troilo. Lo de mi abuelo lo tomo como una excepción. Aunque lo de él fue distinto.

A Astor Piazzolla sí lo escuchás...
–Sí.

¿Todavía?
–Sí. En el auto siempre llevo dos CDs de él.

¿Y qué te pasa cuando lo escuchás?
–¿La verdad? Se me pone la piel de gallina.
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En plus de Lunfardo, comment avez-vous complété le disque ?
- On a voté. Chacun a choisi ses 15 morceaux préférés de mon grand-père. Et il en est résulté un mix parmi des morceaux pas très connus comme Vayamos al diablo et des clasiques comme Adiós Nonino (15) et Libertango. Il y en a beaucoup qui sont restés au vestiaire. Moi, j'aurais aimé jouer Fracanapa, La Camorra I, Decarísimo.

Tu penses faire un Piazzolla plays Piazzolla 2 ?
- Non. En fait, on est en train de commencer à composer pour notre neuvième disque et ce sera un disque de morceaux originaux, peut-être un peu plus urbains. On va voir. Escalandrum est un groupe de jazz. Moi, j'écoute Davis, Shorter, Mehldau... Je n'écoute pas Troilo. La musique de mon grand-père, je la prends à titre d'exception. Encore que la sienne était autre chose.

Astor Piazzolla, lui, tu l'écoutes ?
- Oui.

Maintenant encore ?
- Oui. En voiture, j'ai toujours deux CD de lui.

Et qu'est-ce qu'il se passe quand tu l'écoutes ?
- Tu veux que je te dise ? Çe me donne la chair de poule.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Escalandrum présentera officiellement son nouveau disque, Piazzolla plays Piazzolla, le 15 juin prochain, au Gran Rex, sur Avenida Corrientes, à quelques pas de l'Obélisque, avec comme invité le saxophoniste cubain Paquito D'Rivera pour 7 morceaux et la chanteuse Susana Rinaldi, pour une chanson (qui pourrait bien être Oblivión ou Libertango, mais je n'ai pas d'information privilégiée, c'est juste un jeu de devinette en fonction du contenu du disque).

Pour en savoir plus :
lire l'article de Página/12 in extenso
Se reporter à mon article de présentation du disque paru dans Barrio de Tango le 4 mai 2011.

(1) Le parler populaire argentin est beaucoup plus gaillard que le nôtre. En français, une telle expression sonne tout à fait vulgaire. Sans être particulièrement élégante ni susceptible de bien passer dans les dîners en ville, dans la bouche de Pipi Piazzolla, elle n'a pourtant rien de vulgaire. Mais elle est bien plébéienne !
(2) Un peu plus bas, le journaliste rappelle que l'artiste a fait une véritable analyse à trois séances la semaine pendant 5 ans, jusqu'en 2008.
(3) ici, Piazzolla n'emploie pas le terme courant de bandoneón, mais la synecdoque (la partie pour le tout) ultra-familière à Buenos Aires qui le désigne : fueye (soufflet).
(4) En fait le verbe utilisé ici est estudiar (étudier, au sens du musicien qui se pose toujours en posture d'apprentissage). En français, pour cela, on utilise le verbe travailler, ce qui est ambigu parce qu'on peut l'entendre dans l'acception économique. Ce qui n'est pas le cas ici.
(5) Je traduis ici mon père pour une expression intraduisible et typiquement portègne, mi viejo. L'argot mon vieux correspond littéralement mais n'a rien à voir avec la couleur familière, affectueuse et respecteuse du mot à Buenos Aires. C'est le caractère respectueux qui fait le plus défaut dans l'expression argotique. Le père dont il parle ici est Daniel Piazzolla, né en 1944, le fils que Astor Piazzolla a eu avec sa première femme, dont il a divorcé assez tôt. Daniel Piazzolla s'est essayé lui-même comme compositeur et arrangeur de tango mais le personnalité artistique de son père l'a totalement écrasé. Il est le compositeur d'un hommage que Horacio Ferrer a écrit en 1994, deux ans après la mort de Piazzolla, Mi viejo Piazzolla, dont le titre est en soi un jeu de mot (mi viejo est à comprendre de deux façons différentes selon qu'on le met dans la bouche du poète, auquel cas il s'agit d'un bon vieux pote, ou dans la bouche du compositeur, auquel cas il s'agit de "mon père", presque de "Papa"). J'ai traduit Mi viejo Piazzolla dans un cahier consacré à Ferrer paru aux éditions Tarabuste, dans le n° 20 de la revue Triages, et je me souviens que Horacio Ferrer, pour les 75 ans duquel c'était une forme de cadeau, a été touché que j'aie pu penser à inclure ce texte, qui lui est visiblement cher.
(6) Astor Piazzolla a fait un AVC en 1990, après plusieurs alertes cardiaques depuis les années 70.
(7) Nicolás Guerschberg est le pianiste du groupe Escalandrum.
(8) Si on en croit néanmoins Diana Piazzolla, la fille de Piazzolla, donc la tante du musicien dont nous lisons l'interview, Astor Piazzolla avait néanmoins subi pendant toute son enfance la tyrannie des ambitions que son père avait pour et sur lui, son père qui voulait faire de son fiston le plus grand bandonéoniste qui ait jamais foulé le sol de la planète. Et qui s'est vu exaucé. Non sans que le fiston en question ait beaucoup regimbé jusqu'à ses 16 ans, jusqu'à ce déclic grâce à un passage à la radio du violoniste Vardaro qui réconcilie l'adolescent turbulent et velléitaire avec le tango adoré par ses parents. Lire à ce propos Astor, par Diana Piazzolla, traduit en français par Françoise Thanas aux Editions Atlantica, Anglet, 2002, ou en version originale, chez Corregidor, Buenos Aires, 2005 (l'ouvrage a connu une 1ère édition en 1987, l'édition de 2005 est celle augmentée à l'occasion de la parution en France, après la disparition de Piazzolla). Diana est elle-même décédée en juillet 2009 (voir mon article du 19 juillet 2009, publié ce matin-là, après que j'avais appris la nouvelle en consultant ma messagerie. Le soir même, c'est ma grand-mère qui s'en allait à son tour, à près de 101 ans. Ce jour-là, c'était le premier anniversaire de ce blog...)
(9) carajo : le vocabulaire est plus proche de connerie que de bourde. Mais là encore, il y a dans l'expression française un degré de vulgarité qui n'existe pas dans l'expression argentine, même si le terme appartient à l'origine au vocabulaire désignant les parties génitales, ce qui ne l'apparente donc pas au registre distingué du langage admis dans les salons bien fréquentés (ici, celles de l'homme et non pas de la femme).
(10) Bien entendu, il ne s'agit pas d'amis véritables mais de gens qui tâchent de se donner de l'importance. Mutatis mutandis, j'ai moi-même connu ça à Buenos Aires avec des gens qui m'approchaient en me faisant croire qu'ils avaient intimement connu un tel ou un autre tel. C'est déjà assez difficilement supportable quand c'est rare, alors j'imagine ce que ça peut être lorsque ça se produit tous les soirs où vous êtes avec le public. D'autant que ces gens n'ont bien entendu rien d'intéressant à dire sur la personnalité dont ils ont paraît-il été l'intime. Alors aller faire ça à un membre de la famille... On comprend qu'il ait eu besoin d'une cure analytique de 5 ans...
(11) Impossible de traduire littéralement. En français, "mon papa", c'est une expression réservée au fils de Sarkozy quand il avait 6 ans. Rien d'infantile dans l'expression de Pipi Piazzolla, alors que la même expression, mi papá, ferait un brin nunuche dans la bouche d'un adulte en Espagne. En Argentine, non. C'est une manière tout à fait ordinaire de s'exprimer, très adulte, très affectueuse et très respectueuse.
(12) Ce concert a donné lieu à l'édition d'un disque, actuellement en réapprovisionnement sur la boutique en ligne de Zivals (Tangostore, à trouver en lien dans la Colonne de droite) mais sans doute disponible dans des éditions européennes chez de nombreux disquaires par chez nous. De nombreux grands du tango ont eu leur soirée de consécration au Teatro Colón, qui est l'opéra de Buenos Aires, et qui se porte si mal en ce moment : Osvaldo Pugliese, Aníbal Troilo, Leopoldo Federico, Horacio Salgan, la Gran Orquesta de Tango de la Ciudad de Buenos Aires, El Cafe de los Maestros...
(13) Après sa rupture avec Amelita Baltar, en 1975, alors que l'Argentine basculait peu à peu dans ce qui allait bientôt être une véritable dictature, Astor Piazzolla est allé s'installer à Milan et de là, il a rayonné dans le monde entier.
(14) L'équipe de River Plate (Río de la Plata en anglais) est l'équipe résidente du quartier plutôt huppé de Palermo. Le stade, le stade monumental, qui abrita la finale de la coupe du monde 1978, se situe à l'extrêmité ouest de Avenida del Libertador, une énorme avenue, d'une dizaine de couloirs dans les deux sens, bordée d'immeubles cosus qui font face au Parque del 3 de Febrero. Horacio Ferrer y fait une allusion mordante dans Don Quijote del Arrabal (Don Quichotte de la Zone ou des Faubourgs), une transposition dans la mythologie urbaine que le tango a créé à Buenos Aires du roman de Cervantes. Je l'ai présenté et traduit dans Deux cents ans après, le Bicentenaire de l'Argentine à travers le patrimoine littéraire du tango, Tarabuste Editions, revue Triages supplément 2010, janvier 2011.
(15) Adiós Nonino est le morceau que Astor Piazzolla a composé à la mort de son père. Nono, c'est le nom affectueux que les Italiens donnent à leur grand-père. Et le père de Piazzolla était un fils d'immigrants napolitains. Il avait donc reçu ce surnom sans doute à la naissance de Diana. L'article où apparaît cette interview de son petit-fils s'intitule Hola Nonino (Salut Pépé !)