dimanche 10 juillet 2011

Un grand artiste argentin assassiné à Managua : Facundo Cabral (22 mai 1937-9 juillet 2011) [Actu]

C'est un coup de tonnerre dans le ciel argentin et latino-américain : dans un scénario de film d'espionnage de la pire tradition cinématographique, l'auteur-compositeur-interprète et guitariste argentin Facundo Cabral a trouvé la mort, hier 9 juillet, jour de l'Indépendance argentine, à 6 h du matin, heure du Guatemala, en tombant dans un guet-apens, tendu par on ne sait quels barbouzes, sur le Boulevard Liberación à Managua, la capitale, alors qu'il se rendait à l'aéroport pour prendre un avion qui devait le conduire au Nicaragua.

Facundo Cabral avait 74 ans. Et peut-être est-ce le producteur de spectacle nicaraguayen, Henry Fariñas, organisateur des deux récitals de Managua, qui était visé par cette attaque insensée. Rigoberta Menchu, Prix Nobel guatémaltèque de la Paix, pense, elle, que le chanteur argentin a été abattu pour ses idées pacifistes par des militants d'extrême-droite. Elle parle même de fascistes.

Le Président guatémaltèque a immédiatement envoyé un message de condoléances à son homologue argentine et appelé les Etats de la région à s'unir pour faire la lumière sur cette affaire dans le calme. L'ambassade des Etats-Unis au Guatemala a offert son aide pour la conduite de l'enquête.

Facundo Cabral, je n'en ai jamais parlé dans les colonnes de Barrio de Tango parce qu'il ne s'agissait pas d'un artiste de tango. En fait, le musicien-poète était inclassable. Chanteur engagé, il se présentait seul sur scène, avec sa guitare pour toute compagnie. Il chantait des chansons à nette connotation autobiographique, écrite souvent à la première personne et célébrant la paix, l'entente entre les peuples, la recherche de l'identité, la lutte contre les différences sociales et raciales, le respect des pauvres et des exploités et dénonçant les causes des dictatures les plus diverses... "La peur, disait-il, c'est là le grand dictateur" (el miedo es el gran dictator). Lui-même était né dans un milieu ultra-défavorisé, pratiquement dans la rue, à La Plata, après que son père avait abandonné sa mère, enceinte de son huitième enfant, en 1937, dans la terrible Década Infame, ces dix ans de gouvernements anticonstitutionnels qui n'hésitaient pas à suspendre toutes les libertés publiques pour un oui ou pour un non, tous les quatre matins. En Terre de Feu, où sa mère alla s'établir avec les petits après sa naissance, il connut la vie des enfants des rues, la violence, l'alcoolisme, l'analphabétisme, les maisons de correction et même la prison. A neuf ans, il quitta ce foyer qui n'en était pas un pour monter à Buenos Aires où il voulait rencontrer Perón, attiré qu'il était par la réputation de ce Président providentiel qui donnait du travail aux pauvres. Il a raconté cette entrevue du bout-de-chou, capable de passer le cordon de sécurité pour s'approcher de Perón et d'Evita, une entrevue qui devait changer sa vie et celle des siens puisque sa mère se vit en effet attribuer du travail à Tandíl, dans la Province de Buenos Aires, et que la famille commença à pouvoir vivre un peu plus normalement.

Plus tard, en 1954, après la chute de Perón, il racontait qu'il avait fait une autre rencontre forte, celle d'un vagabond qui lui avait récité le Sermon sur la Montagne, un passage d'Evangile, qui allait éclairer sa vie, la vie d'un homme qui parlait souvent de Dieu mais qui se disait libre-penseur. Ce vagabond cache l'identité d'un père jésuite qui lui a appris à lire et l'a initié à la culture, à la littérature, lui a fait découvrir sa vocation artistique...

Son talent, sa carrière, sa réflexion politique et sociale lui firent rencontrer d'autres grands artistes et des personnalités aussi diverses que Mère Teresa de Calcutta et Fidel Castro.

Il a enregistré des dizaines d'albums et ses disques vont grimper dans les ventes de Zivals et des autres disquaires latino-américains en ce mois de juillet. Il est l'une de ces figures qui font rêver les Américains du nord au sud : le pauvre sorti de rien et qui a rencontré la gloire internationale, la rédemption sociale par le travail et le talent.

S'il fallait caractériser son oeuvre, on pourrait sans doute la rapprocher de celle de Atahualpa Yupanqui en Argentine, de Alfredo Zitarrosa, en Uruguay, d'un Georges Brassens en France...

Son producteur, Henry Fariñas, est à l'hôpital, gravement blessé. Les autres occupants de la voiture ont tous été blessés, plus ou moins gravement.

Son corps sera sans doute rapatrié à Buenos Aires d'ici deux ou trois jours, après les procédures policières qu'un tel assassinat exige des autorités guatémaltèques.

Tous les journaux argentins consacrent de longs articles, et parfois des dossiers entiers, à l'affaire et à l'artiste, malgré l'agenda politique très tendu de ce week-end (les élections à Buenos Aires). De très nombreux journaux d'autres pays hispanophones, en Amérique et en Europe, relatent aussi ces faits sidérants.

Facundo Cabral disposait d'un site Internet, mais celui-ci est bien entendu inaccessible actuellement. Le nombre de connexions a excédé les capacités du site.
Il existe aussi un blog consacré à ses chansons, qui rapporte qu'il a pu être confondu avec un chef de la mafia locale et aurait par conséquent fait les frais d'un règlement de compte qui ne le concernait pas. Sur ce blog, vous trouverez des vidéos reprenant des extraits de concerts du chanteur.

Le premier Vice Président de la Academia Nacional del Tango, Gabriel Soria, rend hommage à Facundo Cabral dans son blog, Tangocity (voir le lien dans la Colonne de droite, partie inférieure).