Buenos Aires dispose de quatre universités intéressantes sur le plan historique et culturel. La UBA, comme l'appellent les Argentins, est l'Université d'Etat. La UCA est l'université catholique, dont les bâtiments bordent le vieux por, à Puerto Madero. Il s'agit d'une institution privée. La Universidad del Salvador est aussi une université privée, confessionnelle comme l'indique son nom, elle a été fondée et elle est gérée par la Compagnie de Jésus, qui joua historiquement un rôle-clé dans le développement culturel et intellectuel de tout le sud du sous-continent hispanophone, grâce à son implantation dans les réductions qui étaient situées dans ce qui est aujourd'hui le nord de l'Argentine, le Paraguay et le sud de la Bolivie. Enfin la UPMPP, qui vient de se voir décerner la dignité d'Université de plein droit, habilitée à décerner des diplômes d'Etat, est l'Université Populaire fondée par l'ONG des droits de l'homme, Madres de Plaza de Mayo, d'où son sigle imprononçable...
Or, à partir d'aujourd'hui, la UBA fête les 190 ans de sa fondation, le 12 août 1821, par la volonté du Gouverneur de la Province de Buenos Aires d'alors (qui comprenait la capitale, devenue autonome en 1880), Bernardo Rivadavia, celui qui a donné son nom à l'artère qui détermine la numération des rues dans Buenos Aires, qu'elle traverse d'est en ouest. La UBA est donc contemporaine de l'indépendance, qui fut déclarée le 9 juillet 1816 mais ne fut pas effective avec 1820. Ce qui veut dire que très tôt dans l'histoire du pays, les Argentins ont eu conscience de la nécessité d'équiper leur pays d'institutions intellectuelles. Son cachet est plus récent, on le doit à l'un des peintres argentins les plus prestigieux aux yeux de ses compatriotes, Ernesto de la Cárcova (1866-1927), dont le nom a été donné à l'Institut des Beaux-Arts qui appartient à l'Université.
Aujourd'hui, s'ouvre un mois de festivités académiques et populaires, avec conférences et visites guidées d'accès libre et gratuit. Du 26 juillet au 28 août, de 15h à 20h, un certain nombre de lieux ouvrent leurs portes au public et proposent des parcours historiques pour repasser les presque deux siècles de vie universitaire : le Colegio Nacional de Buenos Aires (un grand lycée public dans lequel on entre sur concours très exigeant et qui compte parmi les 4 lycées qui dépendent pédagogiquement de la UBA) (1), l'église San Ignacio, qui, l'année dernière, était fermée pour travaux de restauration (on va voir ce que cela donne maintenant), la Salle des Représentants et l'un des plus beaux patios de la Manzana de las Luces, qui fut la Maison Provinciale de la Compagnie de Jésus, avant que le Roi d'Espagne n'expulse cette congrégation qui jouait un peu trop les poils à gratter contre l'absolutisme que la monarchie espagnole avait fini par mettre en place, notamment avec l'arrivée sur le trône des Bourbons. Aujourd'hui, la Manzana de las Luces (2) accueille les célébrations d'anniversaire. C'est là en effet, dans cette très belle église de style colonial qu'est San Ignacio, qu'il y a 190 ans, Rivadavia avait fondé la UBA.
La Manzana de las Luces : c'est ici que tout a commencé il y a 190 ans
Aujourd'hui, la UBA, c'est 320 000 étudiants, 22 600 enseignants et 12 000 agents administratifs et techniques. Elle décerne 112 diplômes dans le premier cycle et 350 dans l'équivalent de nos 2èmes et 3èmes cycles. La UBA, c'est 13 facultés différentes, dont certaines sont installées dans des bâtiments très réputés, 6 hôpitaux, 4 grands lycées dont un technique et une école de commerce de niveau secondaire (le fameux Carlos Pellegrini, dont vous ne pourrez pas ne pas entendre parler si vous visitez Buenos Aires), 20 sites d'enseignement de première année, qui reste encore très peu spécialisé et une maison d'édition universitaire. Elle compte aussi un centre culturel (le CC Ricardo Rojas, du nom d'un de ses recteurs), un cinéma, 15 musées et un nombre considérable de centres essaimés en banlieue et dans tout le pays. C'est environ le tiers de la recherche scientifique du pays qui s'y réalise, souvent dans des unités de recherche partagées avec le CONICET, l'organisme national de recherche scientifique, en sciences expérimentales et non expérimentales et en sciences humaines.
La UBA s'enorgueillit de compter parmi ses étudiants quatre des cinq Prix Nobel argentins, qui y étaient ou y avaient été enseignants au moment de leur élection à cette récompense suprême, et 15 chefs d'Etat argentins, dont 5 appartiennent à la Generación del Ochenta de triste mémoire (le régime oligarchique, ultra-véreux, qui dirigea l'Argentine de 1880 à 1916, juste avant que le pays se dote d'une loi instituant le droit de vote universel masculin, pour tous les Argentins de naissance, en 1912), les deux présidents radicaux des années 1916-1930, Hipólito Yrigoyen et Marcelo T. de Alvear (celui qui a donné son nom au théâtre public de l'avenue Corrientes), trois affreux jojos de la Década Infame (la décennie ignomineuse, entre 1930 et 1940, que l'on peut prolonger jusqu'en 1943) et Raúl Alfonsín, le plus prestigieux de tous, l'avocat qui ramena l'Argentine dans le giron de la démocratie à partir du 10 décembre 1983 et qui fit là ses études de droit, en un temps où la faculté n'était pas encore à la Recoleta...
Le dernier week-end d'août, la Manzana de las Luces sera le siège du bouquet final des célébrations, avec spectacles, concerts et expositions, le tout avec entrée libre et gratuite. Ce sera aussi l'occasion pour les étudiants de s'inscrire pour le second quadrimestre de l'année, l'année scolaire et universitaire argentine s'organisant autour de 2 quadrimestres, de mars à juillet et de septembre à Noël.
Ailleurs en Argentine, il existe de nombreuses universités. Au total, le pays en compte 47, pour 23 Provinces fédérées et une Ville Autonome. Pour un pays émergent, c'est déjà une bonne infrastructure, même si les chiffres montrent que la proportion d'étudiants est faible par rapport à la population globale (moins d'un million d'étudiants pour plus de 40 millions d'Argentins) (3).
Ne serait-ce que dans la ceinture de Buenos Aires, chaque chef-lieu de partido (département) dispose de sa petite université ou de son centre d'enseignement supérieur dépendant de la UBA. Après la UBA, les universités les plus connues sont sans doute celle de Córdoba, qui fut la toute première fondée sur le territoire national, fondée en 1610 (ou 1613 ou 1621, selon l'acte que l'on considère comme rééllement fondateur), par... -je vous le donne en mille ?- la Compagnie de Jésus (comme d'hab !), 115 000 étudiants l'année dernière, et l'Université de La Plata, environ 90 000 étudiants, qui viennent d'un peu partout dans le pays. C'est à l'Université de La Plata que se sont formés (et connus) Néstor et Cristina Kirchner.
La UBA est la seule université argentine citée par le classement de Shanghaï, lequel est un classement contesté pour beaucoup de ses paramètres, qui ne sont pertinents que dans certaines disciplines et pour les critères politiques retenus par la République Populaire de Chine.
Pour aller plus loin :
visiter le site Internet de l'Université.
(1) La manzana, c'est le pâté de maisons, le quadrilatère que délimitent 4 rues qui se coupent à angle droit, dans le schéma général à la romaine des villes de l'Empire espagnol. La manzana, c'est aussi la pomme en espagnol, d'où le jeu de mot en image qu'a signé Daniel Paz pour illustrer l'article de Página/12. Vous remarquerez qu'en Argentine, les lumières sont associées aux Jésuites, alors qu'en Europe, le mouvement intellectuel qu'on appelle les Lumières, au 18ème siècle, s'est construit majoritairement contre l'Eglise catholique et notamment contre la Compagnie de Jésus dans tous les pays de majorité catholique...
(2) Il fait aussi partie des lycées régulièrement occupés par les élèves parce que le plafond leur tombe sur la tête pendant les cours. Administrativement, le personnel enseignant et les murs dépendant du Ministère de l'Education portègne, dont on sait qu'il n'entretient pratiquement pas le parc scolaire public. Les règles de gestion sont, elles, déterminées par le Gouvernement national, comme pour tout ce qui touche l'enseignement public, qui est obligatoire jusqu'à l'âge de 14 ans, depuis 1883.
(3) A titre de comparaison, avec 65 millions d'habitants, la France compte 2,23 millions d'étudiants (tous sytèmes confondus, alors qu'en Argentine, tout l'enseignement supérieur est dispensé dans un cadre universitaire).