L'information n'est relayée ce matin que par le quotidien de gauche Página/12, adversaire acharné, sur le terrain politique local, de Mauricio Macri, l'actuel Chef du Gouvernement portègne, représentant de la droite ultra-libérale candidat à sa propre succession, mais elle confirmerait bien une série de scandales juridiques et judiciaires qui ont émaillé le premier mandat de celui-ci à la tête de la Ville Autonome : Jorge Palacios, ancien chef de la police sur le territoire portègne, aurait avoué aux juges qui instruisent l'affaire dite des écoutes illégales qu'il a bel et bien recherché à travers un sytème informatique des données confidentielles sur des parlementaires et des syndicalistes de l'opposition. Il aurait justifié ces actes en prétendant qu'il voulait leur intenter un procès pour avoir dit du mal de Mauricio Macri. Il a même cherché des informations sur le premier ministre portègne en fonction, le très macriste Horacio Rodríguez Larreta, qui se serait volontiers vu succéder à son chef de file, si celui-ci avait poursuivi sa tentative de conquête de la magistrature suprême (voir mon article du 10 mai 2011 sur la renonciation de Mauricio Macri à la candidature présidentielle).
Jorge Palacios a fait de la prison dans le cadre de l'enquête sur ces écoutes téléphoniques illégales, réalisées par une cellule installée dans les services du Gouvernement de la Ville autonome de Buenos Aires, sous la présente administration. Il est inculpé pour ces faits, il a été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Le ministre de la sécurité, Guillermo Montenegro, le supérieur hiérarchique direct de Palacios, ainsi que l'ancien ministre de l'éducation, Mariano Narodowski, dont les services rétribuaient en emploi fictif un espion, Ciro James, auteur matériel des écoutes (lui aussi sous contrôle judiciaire après un séjour d'un an derrière les barreaux), sont également tous deux dans le collimateur de la justice, en compagnie de Mauricio Macri, soupçonné d'avoir commandité toute l'opération et à son bénéfice politique et peut-être même commercial (il n'est pas exclu que les produits des écoutes lui aient servi pour la gestion de la holding Macri, une société familiale à la gestion de laquelle il n'a pas renoncé pendant son mandat). Ce dont Macri se défend bien entendu en niant tout en bloc et en tentant d'échapper autant qu'il le peut aux investigations et aux interrogatoires, tant des autorités judiciaires que de la Legislatura Porteña, la Chambre législative de Buenos Aires elle-même.
Palacios, toujours selon Página/12, aurait tout fait, lors de ses aveux, pour dédouaner l'homme politique en prétendant avoir agi de sa propre initiative. Il n'en reste pas moins que l'homme a un passé plus que trouble, qu'il a été mêlé, à un degré qui n'est toujours pas clairement déterminé, à l'attentat de l'AMIA, un attentat antisémite qui a fait 85 morts à Buenos Aires en 1994 et dont il espionnait justement depuis 2008 les victimes survivantes, toujours plaignantes dans le cadre d'une instruction qui n'a toujours pas abouti à un procès en bonne et due forme (1).
Ces aveux tombent 10 jours avant le premier tour des élections pour le Gouvernement Portègne et le renouvellement par moitié de la Legislatura, qui aura lieu le 10 juillet 2011. Il n'est pas impossible (mais pas certain non plus) que leur révélation influe sur le vote d'un certain nombre d'électeurs, ce qui explique sans doute le silence de Clarín et de La Nación, qui ne souhaitent ni l'un ni l'autre la victoire électorale du challenger de Macri, le péroniste Daniel Filmus (2), leur ennemi juré. Un comportement journalistique qui serait certainement très critiqué dans nos démocraties traditionnelles européennes et qui révèle quelle marge de progrès la société argentine conserve dans ce domaine-là.
Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 (c'est glauque et nauséeux à souhait, comme tout ce qui concerne des affaires d'espionnage crapuleux). Heureusement, la rédaction ne se départit jamais de son sens de l'humour, qui brille une nouvelle fois à la une, avec cette allusion transparente à James Bond.
(1) Il faut dire que dans les semaines qui ont suivi le massacre, le président de la République, Carlos Menem, a tout fait pour empêcher la manifestation de la vérité et entraver la marche de la justice, allant même, à ce qu'il semble, jusqu'à protéger personnellement les deux poseurs de bombe, ce pour quoi il est actuellement poursuivi par la justice argentine, alors même qu'il est sénateur (voir à ce sujet mon article du 3 octobre 2009).
(2) Dans des sondages récents, Daniel Filmus est apparu comme capable d'empêcher la réélection de Mauricio Macri au premier tour, ce qui correspond à une sérieuse défiance de l'électorat en Argentine et en Amérique du Sud en général, où les clivages politiques sont si profonds qu'ils permettent aux élections uninominales de se déterminer en un seul scrutin. Selon certains sondages, il serait même en mesure de battre le Chef de Gouvernement sortant au second tour et d'une belle tête encore ! Voir mon article du 29 mai 2011 à ce sujet.