dimanche 16 octobre 2011

Inquiétante sortie de route de Tabaré Vázquez [Actu]




L'ancien Président de la République uruguayenne, éminent cancérologue de son état et qui fut, de 2007 à 2010 le plus populaire de tous les chefs d'Etat de l'histoire de son pays, a déclaré mardi dernier, le 11 octobre, qu'il avait très sérieusement envisagé en 2007 de déclarer la guerre à l'Argentine dans le cadre du conflit verbal qui a opposé les deux pays au sujet de l'implantation sur la rive est du fleuve Uruguay d'une papeterie appartenant à un groupe finlandais, la désormais tristement célèbre Papelera Botnia (qui a, depuis, changé de nom et de mains).

Tabaré Vázquez a fait cette surprenante déclaration de manière accessoire, lors d'une causerie donnée devant un public universitaire pour présenter son dernier livre, un travail de sensibilisation du grand public aux dangers du tabagisme, le tout à la suite d'une question hors sujet posée par une personne présente dans la salle.

Il a reconnu avoir à plusieurs reprises convoqué les officiers supérieurs uruguayens, lesquels n'auraient d'ailleurs pas pris vraiment ses propos au sérieux (ce qui est plutôt bon signe), puis avoir demandé à Condoleeza Rice puis à George Bush lui-même l'aide des Etats-Unis en cas de déclenchement d'un conflit armé. Ce qui, de la part d'un éminent membre du Parti socialiste uruguayen, installé au coeur de la vaste coalition de gauche qu'est le Frente Amplio dont il était le premier élu porté à la magistrature suprême, en choque plus d'un. Dans les deux pays, la presse s'est emparée de l'affaire et l'a abondamment commentée avec des articles en général peu aimables pour l'auteur de telles confidences.

De part et d'autre du Río de la Plata cependant, les gouvernements ont fait semblant de n'avoir rien entendu et ni les chefs d'Etat ni les ministres n'ont émis le moindre commentaire alors que l'ancien chef d'Etat reste le candidat préféré de l'opinion publique uruguayenne pour reprendre les rênes du pays, à la fin du mandat actuel, celui du Président José Mujica.

Seule parmi les personnalités aux affaires, l'épouse de Mujica, mais en sa qualité de sénatrice et non de Première Dame, Lucía Topolansky, a publié un communiqué critiquant sévèrement les propos du prédécesseur de son mari, lequel s'est dit très affecté par ces vives critiques venant de son propre camp.


Aussi jeudi, à midi, dès le lendemain de sa malheureuse conférence, Tabaré Vázquez a-t-il envoyé à la presse un communiqué au ton très net :

"Teniendo en cuenta las repercusiones que ha tenido la respuesta que diera a la pregunta de un asistente a la reunión que se llevara a cabo con ex alumnos del Colegio Monte VI sobre el relacionamiento de nuestro país con la hermana República Argentina referida al tema Botnia, y a pesar de haber hecho un relato de lo realmente acontecido, considero que dichas declaraciones fueron inoportunas. Las hice teniendo en cuenta además las excelentes relaciones que felizmente hoy tienen nuestros dos países hermanos.
De cualquier manera, y muy lejos de mis intenciones, las mismas pueden dañar esas relaciones, al proyecto político de la izquierda uruguaya, y al propio Frente Amplio.
Por todo ello presento mis excusas y anuncio mi retiro de la actividad política pública.
Dado en Montevideo el 13 de octubre de 2011.
Dr. Tabaré Vázquez".

"Tenant compte des répercutions qu'a eues la réponse que j'ai faite à la question posée par l'une des personnes qui assistaient à la réunion qui j'ai tenue avec d'anciens étudiants du Colegio Monte VI sur les relations de notre pays avec la République soeur argentine au sujet du dossier Botnia et bien que j'aie rendu compte de ce qui s'était réellement passé, je considère que les susdites déclarations étaient inoportunes. Je les ai faites en tenant compte qui plus est des excellentes relations que par chance entretiennent aujourd'hui nos deux pays.
Dans tous les cas de figure et ce à milles lieux de mes intentions, ces mêmes déclarations peuvent être préjudiciables à nos relations, au projet politique de la gauche uruguayenne et au Frente Amplio lui-même.
Pour toutes ces raisons, je présente mes excuses et j'annonce mon retrait de l'activité politique publique.
Fait à Montevideo, le 13 octobre 2011
Dr. Tabaré Vázquez" (1)
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Ce communiqué a immédiatement été suivi d'une réaction empressée du Frente Amplio qui a supplié Tabaré Vázquez de revenir sur sa décision. Et d'une manière étonnante là-encore, cet homme qui, à la Présidence, avait fait preuve de tant de de résistance à toutes les pressions, notamment celle de ses propres partisans et électeurs, a fait savoir hier qu'il se donnait quelques jours pour réfléchir à la demande du FA et laissé entendre par conséquent qu'il pourrait se maintenir dans l'arène politique !

De tout temps, on savait que les relations entre Tabaré Vázquez et Néstor Kirchner, le précédent président argentin, étaient pour le moins houleuses. Vázquez s'était même opposé au choix de Néstor Kirchner pour le Secrétariat Général de l'UNASUR, l'Union des pays d'Amérique du Sud, dans la dernière année de son mandat, ce à quoi José Mujica, dès son accession à la Présidence, en mars de l'année dernière, avait mis bon ordre. Mais entre ces très mauvaises relations personnelles, qui étaient visibles même du grand public, et le fait d'avoir envisagé sérieusement de mobiliser l'Armée pour déclarer la guerre, tout ça pour des industriels finlandais...

Tout en prenant donc le temps de la réflexion, Tabaré Vázquez continue à assurer la promotion de son bouquin. Il était hier dans la ville de Florida où il s'est abstenu de déposer un autographe sur le drapeau du Frente Amplio que lui tendait une admiratrice, qui avait dû manquer un épisode...



Aujourd'hui, le bon climat entre l'Argentine et l'Uruguay gagne en solidité. José Mujica fait un presque sans faute au moment des obsèques de Néstor Kirchner (il a tout de même réussi à jeter un pavé dans la mar au sujet de l'absence de Julio Cobos aux cérémonies, voir mon article du 13 novembre 2011 à ce sujet). Au mois d'août dernier, les deux Présidents ont inauguré une nouvelle ligne ferroviaire qui relie les deux pays pour la première fois depuis de nombreuses décennies. Espérons que cette sortie intempestive de Vázquez ne sera rien de plus qu'un tardif et dernier rebondissement des révélations irresponsables de Wikileaks l'année dernière, si les manifestants écologistes du côté argentin, à Gualeguaychú, ne reprennent pas leur piquet de grève et leur blocage du pont international, qui relie Gualeguaychú (Province de Entre Ríos, Argentine) à Fray Bento (Uruguay) comme ils menacent presque de le faire aujourd'hui.

Pour aller plus loin :

du côté uruguayen
lire l'article du 12 octobre 2011 dans El País, le quotidien uruguayen à ne pas confondre avec son homonyme espagnol (sur les déclarations initiales de Tabaré Vázquez)
lire l'article de El País du 13 octobre 2011 (sur les réactions du lendemain)
lire l'article de El País du 14 octobre 2011 (sur la retraite politique de l'ancien mandataire et les suppliques du FA)
lire l'article de El País du 15 octobre 2011 (sur les conjectures des observateurs quant à son avenir politique)
lire l'article de El País du 16 octobre 2011 (sur le retour des écologistes argentins près du pont international)
voir le pastiche des propos du président honoraire par les Guignols locaux en vidéo (aujourd'hui, sur El País)

du côté argentin (mon retour de Bordeaux et la richesse de l'actualité durant ce week-end festivalier ne me permet pas de vous donner un panorama de l'ensemble de la presse)
lire l'article de Página/12 du 13 octobre 2011 sur les déclarations initiales de Vázquez où vous apprécierez la citation d'une comptine française en une du journal (Malborough s'en va-t-en guerre, mironton, mironton, mirontaine, etc.)
lire l'article de Página/12 du 14 octobre 2011 qui renvoie "Mambru" (transcription espagnole de l'anglais Malborough) à la niche, avec une délectation sarcastique qui ne vous échappera pas
lire l'article de Página/12 du 15 octobre 2011 sur les atermoiements de l'ancien président.

(1) En Argentine comme en Uruguay, si l'on dispose d'un titre universitaire, il est toujours apposé au nom de l'intéressé. A cette heure, les diplômés universitaires sont encore une minorité telle qu'il fait encore sens d'indiquer que quelqu'un en fait partie.