Devant les perspectives sombres auxquelles nous
soumet le Sars-Cov-2 et le peu de vraisemblance de revenir à un mode
de vie en présentiel dans toutes sortes de domaine, à commencer par
l’enseignement, le président argentin, Alberto Fernández vient de
décréter que la téléphonie, fixe et mobile, la fourniture d’accès
à Internet (1)
et la télévision par câble deviennent des services publics. Les
tarifs sont par conséquent gelés jusqu’au 31 décembre 2020, ce
qui montre que pour l’heure il n’est pas envisagé un retour à
la normale avant la fin de l’année. Ces tarifs ne pourront être
révisés qu’avec l’accord des pouvoirs publics. Le décret est
titré : l’Argentine numérique (Argentina
digital). Les pouvoirs publics
reprennent en main l’ensemble de la réglementation du secteur,
largement libéralisée par Mauricio Macri qui a favorisé à fond
les groupes privés dans ce domaine. Le gouvernement va mettre en
place des cahiers des charge pour des services de base à prix
réglementés que les fournisseurs devront obligatoirement proposer.
"Internet, la télé et la téléphonie déclarés service indispensable" dit le gros-titre au-dessus d'un début d'article grinçant et acide Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Cette
nouvelle a fait grosse impression. D’abord parce que c’est une
surprise complète (bien joué, de la part du gouvernement). Ensuite
parce que la grogne des fournisseurs, via leurs porte-flingues
médiatiques (les organes de presse étant souvent liés à eux par
des participations capitalistiques croisées, voire des
investissements massifs), n’a pas tardé à se faire entendre :
les fournisseurs d’accès en téléphonie, Internet et télévision
par câble sont en effet des filiales de grands groupes
internationaux (USA, Espagne, Grande-Bretagne, etc.) qui n’ont
investi en Argentine que pour enrichir leurs actionnaires. Le gel des
tarifs menace par conséquent leurs résultats et les dividendes
qu’ils pourront distribuer à la fin de l’exercice. Dans les
circonstances présentes, il est toutefois difficile de trouver des
arguments qui portent dans l’opinion publique, alors que tant de
gens, notamment dans le secteur tertiaire (70 %, commerce
compris, de l’activité à Buenos Aires), à commencer par les
journalistes eux-mêmes, sont contraints de télétravailler et ne
peuvent avoir de vie sociale et prendre des nouvelles de leurs
parents que grâce à la téléphonie vidéo (Skype, Zoom, Meetup,
Facebook, etc.).
Pour
Alberto Fernández - ce n’est pas nouveau dans son discours ni dans
ses actes - c’est l’État qui doit désormais devenir le moteur
de la transformation économique (et sociale) du pays et de ce que
sera la relance. Le développement national passe par des services
publics performants qui offrent tout ce dont tous les Argentins ont
besoin pour vivre, pour apprendre et pour travailler au milieu de
cette pandémie qui partout met à nu les failles et les défauts de
nos systèmes : les outils numériques sont indispensables au
télétravail et à l’école à distance ; les transports en
commun sont la solution au changement climatique et à la lutte
contre la pollution ; l’hôpital met la santé à portée de
tous (alors qu’avant-hier, on a encore découvert un stock
considérable de vaccins que le précédent gouvernement avait
achetés et qu’il a laissé se périmer au lieu de les distribuer
dans les centres de santé qui s’en seraient servi pour vacciner
des enfants), etc.
Dans
la presse mainstream,
on voit déjà fleurir les thématiques du contentieux judiciaire des
groupes privés contre l’État argentin, de la limitation de la
liberté d’entreprendre, du spectre de la désindustrialisation
dans le secteur et du chantage qui va avec et même (rien que ça !)
de la violation des traités internationaux.
L'information n'est pas traitée en gros-titre mais en haut dans la colonne de droite La photo relève elle aussi de la tragédie familiale à Córdoba. Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
C’est
dire à quel point ces groupes étrangers se comportent en Argentine
(et en Amérique du Sud) comme en pays conquis, sans jamais se
solidariser avec les peuples dans lesquels ils recrutent leur
clientèle (2)
et les territoires sur lesquels ils se sont installés. Comme s’ils
avaient le droit de faire fi de la législation locale là où ils
opèrent. Les unes des journaux sont assez instructives sur ce point
ce matin !
Pour
en savoir plus :
lire
l’article de La Prensa
lire
l’article de La Nación
lire
le texte du décret dans le Bulletin officiel de la République Argentine (BORA).
Ajout du 24 août 2020 :
Ajout du 24 août 2020 :
La querelle au sujet de l’inscription des
services numériques au rang des services publics a continue à
alimenter l’actualité tout au long du week-end :
lire
cet article de Página/12
sur les véritables enjeux pour lesquels l’opposition combat le
décret présidentiel
lire
cet article de Clarín
qui défend les arguments officiels de l’opposition (ce
qui se résume à « non au modèle vénézuélien », le
même sur tous les sujets depuis dix ans)
Hier,
le président a accordé une interview à Radio 10 qui est commentée
hier soir ou ce matin sur les sites des quotidiens argentins :
lire
l’article de Página/12
sur l’appel téléphonique de Mauricio Macri au président en mars
pour tenter de le convaincre d’abandonner le confinement (ses
arguments révèlent le cynisme de ses vues, un cynisme qui est
apparu très clairement à l’occasion de son voyage en Europe au
milieu de la pandémie)
lire
l’article, quelque peu gêné aux entournures, de Clarín, qui ne
pouvait pas passer sous silence la phrase odieuse de Macri mais la
fait passer pour une invention de la propagande de la majorité
Le
président a très bien résumé la différence politique entre Macri
et lui avec une formule simple : « moi, je crois que la
politique, c’est prendre soin des gens ».
Ajout du 25 août 2020 :
Mauricio
Macri a répondu en adressant (depuis Zurich) une lettre ouveerte aux « chers
Argentins ». Il y réfute les propos de son successeur dans un texte bref où il accuse celui-ci d’avoir menti sur le
contenu de leur conversation téléphonique de mars et où il omet de rapporter sa propre version des
faits tout en étalant, d'un ton grandiloquent et moralisateur, quelques banalités politiques prétendument consensuelles, en parfaite contradiction avec son comportement et ses prises de position publics
depuis que le pays a versé dans la crise sanitaire.
Pour
en savoir plus :
lire
l’article de Página/12
lire
l’article de La Prensa
(1)
En Argentine, le Wifi est accessible gratuitement dans n’importe
quelle agglomération du territoire et dans une bonne partie des
campagnes avec un niveau de service de base qui permet le courrier
électronique, les réseaux sociaux (hors vidéo) et la consultation
des sites de service public mais rarement l’accès à du streaming
de bonne qualité. Pour ce genre de service, il faut prendre un
abonnement auprès d’un fournisseur d’accès commercial, avec
prélèvement mensuel ou facture à acquitter dans ces bureaux ad
hoc, comme ceux dont le groupe Macri a
couvert le territoire.
(2)
Il faut lire les slogans publicitaires dont ils nous abreuvent à
longueur d’année pour se rendre compte du mensonge de la formule
« le client est au cœur de notre activité », bien plus
profond qu’il n’est en Europe, où pourtant, l’incohérence est
déjà assez visible !