dimanche 10 janvier 2010

La danseuse Milena Plebs se raconte dans Clarín pour la reprise de Tramatango [à l’affiche]

Affiche tirée du blog de Milena Plebs

La danseuse Milena Plebs, formée par la danse classique et passée depuis plusieurs années désormais au tango, reprend à partir du 14 janvier 2010 son spectacle chorégraphique Tramatango, dont elle est la chorégraphe, l’une des 15 interprètes, titulaires et remplaçants confondus, et la co-productrice (MilenaTango) avec le Teatro Presidente Alvear, Corrientes 1659. Tramatango a été créé le 14 novembre dernier et s’est donné jusqu’au 13 décembre 2009. Les décors sont du fileteador Jorge Muscia et ça se voit (allez regarder les photos que propose le site du Complexe Théâtral de Buenos Aires et cette affiche, publiée par Milena Plebs, sur laquelle elle exhibe sa jambe fileteada par ce pinceau passablement reconnaissable. Vous pouvez aussi lire cet article de décembre 2008 que je lui ai consacré, pour sa participation au Festival Tango Danza Teatro dans la capitale argentine). Jorge Muscia travaille souvent pour le théâtre et pour la danse (il a récemment fait aussi un body painting sur le corps nu d’une danseuse pour la couverture du numéro 174 de El Tangauta, celui d'avril 2009, qui a mis la Buenos Aires du tango tout sens dessus-dessous). Il est aussi l’artiste qui a signé la couverture que je publie prochainement aux Editions du Jasmin en France (voir mon article sur ce livre, qui fait la part belle à la couverture réalisée par Jorge). Vous trouverez son site dans la Colonne de droite, dans la partie basse, celle des liens externes, dans la rubriques Artistes plastiques.

Tramatango, d’une durée approximative de 75 minutes, se déroule en 3 tableaux, Sintonías, Pugliese Yumba et Tango Congo et il mêle le tango et la danse contemporaine. Les trois tableaux sont comme autant de paysages, de regards et de styles différents. Le premier tableau s’attache au monde urbain d’aujoud’hui, le second à un hommage à Osvaldo Pugliese et à son orchestre, le troisième pose la question de l’origine africaine du tango. Au milieu de nombreux tangos, valses et milongas classiques, dont Ninguna, Negracha, A Evaristo Carriego, La Yumba, Milonga del 900 et la traditionnelle Cumparsita qui termine le spectacle comme de bien entendu, Milena Plebs a choisi aussi des morceaux de musiciens contemporains, comme les compositeurs Sonia Possetti et Ramiro Gallo.

Le spectacle reprend le 14 janvier et se donnera toutes les semaines du jeudi au dimanche à 21h30 au Teatro Alvear. Prix des places : de 45$ à 15$, sauf le jeudi, où les prix sont plus bas, à 25 et 10$. C’est ce qu’on appelle le día popular. Le Teatro Alvear est un théâtre public et ce prix est vraiment très bon marché. Dans les théâtres privés des alentours, vous pouvez constater la différence !

A l’occasion de cette reprise, le quotidien Clarín donne la parole à la danseuse et chorégraphe qui se raconte...

Verbatim
Comencé a tomar clases de danza a los 10 años. A los 13, comencé a viajar de Temperley al centro a tomar clases. A los 15 quería dejar la secundaria y dedicarme a bailar. Cuando bailaba era de los pocos momentos en que sentía plenitud total: los conflictos adolescentes se evaporaban. De grande, tras 20 millones de años de psicoanálisis, puedo decir que encontré plenitud en muchos otros momentos más allá de la danza.

J’ai commencé à prendre des cours de danse à 10 ans. A 13, j’ai commencé à aller de Temperley au centre de Buenos Aires pour prendre des cours. A 15 ans, je voulais laisser le lycée et me consacrer à la danse. Quand je dansais, c’était l’un de ses rares moments où je ressentais une plénitude totale : les conflits de l’adolescence s’évaporaient. Plus vieille, après 20 millions d’années de psychanalyse, je peux dire que j’ai trouvé la plénitude à beaucoup d’autres moments au-delà de la danse.

Con Tramatango lo que sucedió fue muy fuerte emocionalmente hablando: volver a estar vinculada al Complejo Teatral Buenos Aires. Estuvimos ensayando en el octavo piso del San Martín, donde tomaba clases cuando estaba en el grupo de danza contemporánea, de los 18 a los 25, y después, en los '90, con Tango x 2, también hicimos funciones en el San Martín y en el Alvear.

Avec Tramatango, ce que s’est passé a été très fort du point de vue émotionnel : me retrouver attachée au Complexe Théâtral de Buenos Aires. Nous avons répéter au 8ème étage du Complexe San Martín (1), où je prenais des cours quand j’étais dans le groupe de danse contemporaine, de 18 à 25 ans, et plus tard, dans les années 90, avec Tango x 2 (2), nous donnions aussi des spectacles au San Martín et à l’Alvear.

Copes me enseño mucho. Postura, la colocación de los pies, la dinámica. Y me decía: hay que maquillar tus piernas. Mis piernas tenían la fuerza de la danza y él las quería más elegantes: me aconsejaba medias de red y hasta el tipo de zapatos que tenía que usar. [...]

Copes (3) m’a appris beaucoup. La posture, le placement des pieds, la dynamique. Et il me disait : il faut que tu maquilles tes jambes (4). Mes jambes avaient la force de la danse et lui les voulait plus élégantes. Il m’a conseillé des bas résilles et jusqu’au type de chaussures qu’il fallait que je porte. [...]

A los once años mi mamá me llevó a ver el ballet de Oscar Araiz al San Martín, a la sala Martín Coronado. Se paró el mundo. Me acuerdo el programa: Aló, un dúo con música de Albinoni, Big Sweet con música de Cat Stevens y Casa de Puertas, una adaptación de Ana Itelman de La casa de Bernarda Alba. Yo quiero hacer eso, le dije a mi mamá, cuando salimos caminando por la avenida Corrientes.

Quand j’ai eu 11 ans, ma mère (5) m’a emmenée voir le ballet d’Oscar Araiz au San Martín, dans la salle Martín Coronado (6). Le monde s’est arrêté de tourner. Je me rappelle le programme : Aló, un duo sur une musique d’Albinoni, Big Sweet sur une musique de Cat Stevens et Casa de Puertas, une adaptation par Ana Itelman de La Casa de Bernarda Alba [de Federico García Lorca]. C’est ça que je veux faire, ai-je dit à ma mère, quand nous sommes sorties à pieds dans l’avenue Corrientes.

Estaba con Miguel Zotto, estábamos juntos. Había aprendido con él a bailar tango. Y nos ofrecen integrar Tango Argentino. Fue una enorme duda dejar el Ballet del San Martín. La obra estaba rompiendo todo y me mandé: fue una gira de ocho meses, la más larga que hice en mi vida. Todo un desafío: hacía poco que estaba con Miguel, y era un baile nuevo, y bailar con tacos, y siguiendo a un hombre. En un mundo bravísimo. En Tango Argentino eran todos unas águilas: había, la verdad, una competencia feroz.

J’étais avec Miguel Zotto. Nous étions ensemble. J’avais appris à danser le tango avec lui. Et on nous a proposé de faire partie de Tango Argentino (7). J’ai énormément hésité à quitter le Ballet du San Martín. Il s’agissait de rompre avec tout et je me suis lancée : ça a été une tournée de huit mois, la plus longue que j’ai faite dans ma vie. Un défi complet : cela faisait peu de temps que j’étais avec Miguel et c’était une danse nouvelle [pour moi] et danser avec des talons et suivre un homme. Dans un monde pas commode. Dans Tango Argentino, c’était tous des rapaces : à vrai dire, il y avait une concurrence terrible.

No es fácil explicar cómo se fragua el tango en mi cuerpo. Mi familia es de clase media, nada que ver con el bajo fondo tanguero, pero es algo que vibra en mí, que me trasciende. Yo hago una interpretación un poco delirante: mi apellido, Plebs, es una palabra en latín que tiene que ver con los plebeyos, con el pueblo. En el sentido más profundo, me siento muy cómoda en el tango. Los movimientos en espiral del cuerpo, esta cosa de acción y reacción de la pareja, siento que es como una identidad mía.

Ce n’est pas facile d’expliquer comment le tango s’installe dans mon corps. Ma famille appartient à la classe moyenne, rien à voir avec la bas-fond tanguero, mais c’est quelque chose qui vibre en moi, qui me transcende. Je donne une interprétation un peu délirante : mon nom de famille, Plebs (8), est un mot qui en latin a à voir avec les plébéiens, avec le peuple. Dans le sens le plus profond, je me sens à l’aise dans le tango. Les mouvements en spiral du corps, cette affaire d’action et de réaction du couple, je ressens que c’est comme mon identité.

Durante varios años escribí en El Tangauta sobre aspectos de la danza. Estoy en 24 artículos y empecé a pensar en un libro. No creo que lo del tango sea una moda. En tiempos de tanta redefinición de los roles masculinos y femeninos, no es casual que aparezca esta danza del abrazo, para volver a jugar en los planos activos y receptivos: porque la mujer, en el tango, no es pasiva sino receptiva.

Pendant plusieurs années, j’ai écrit dans El Tangauta (9) sur des aspects de la danse. Je figure dans 24 articles et j’ai commencé à penser à un livre. Je ne crois pas que ce qui tourne autour du tango soit une affaire de mode. Dans une époque où il y a une telle redéfinition des rôles masculins et féminins, ce n’est pas un hasard qu’apparaisse cette danse de l’étreinte pour se remettre à jouer sur les plans actifs et réceptifs : parce que la femme, dans le tango, n’est pas passive, elle est réceptive.
(Traduction Denise Anne Clavilier)




Pour aller plus loin :
Vous reporter à l’article complet de Clarín
Visiter la page consacrée à Tramatango sur le site du Complejo Teatral de Buenos Aires
Visiter le site de Milena Plebs
Visiter le blog de Milena Plebs
Lire le numéro 182 de El Tangauta de décembre de 2009 (c'est le dernier numéro publié). Pour télécharger les textes, il faut vous identifier sur le site et pour effectuer votre premier téléchargement, créer votre compte au préalable. Dans ce numéro 182, vous trouverez aussi un hommage original que Jorge Muscia a rendu à "San Pugliese", à l'occasion de l'anniversaire de naissance de Osvaldo Pugliese, "canonisé" par le peuple portègne et presque tous les musiciens populaires argentins.

(1) Un autre théâtre du Complejo teatral de Buenos Aires, situé à quelques centaines de mètres du Teatro Alvear, sur l’avenue Corrientes, un peu plus à l’est et sur le trottoir opposé...
(2) Tango par deux, tango pour deux, nom de la compagnie qu’elle avait fondée avec son compagnon, dont elle s’est récemment séparée avec pertes et fracas, le danseur Miguel Angel Zotto, dont le frère cadet vient de disparaître (voir
mon article d'hier sur Osvaldo Zotto).
(3) Il s’agit du danseur et chorégraphe Juan Carlos Copes.
(4) Elle a donc bien retenu la leçon !
(5) Quel que soit leur âge et leur rang dans la société, les Argentins parlent plus volontiers de leur mamá et de leur papá, voire de leur vieja et de leur viejo, que de leur père et mère, là où les francophones européens nous n’employons que ces derniers termes, réservant à un cercle intime les diminutifs Papa et Maman.
(6) Le théâtre San Martín a une multitude de salles. L’un des étages est même occupé par les studios des deux radios publiques de Buenos Aires, la 2x4 et Radio Ciudad, que vous pouvez écouter par streaming en direct, sur Internet. Les liens aux deux chaînes se trouvent dans la rubrique Ecouter, de la partie inférieure de la Colonne de droite.
(7) Une troupe de danse.
(8) C’est encore plus vrai qu’elle ne le croit. Plebs, -bis, en latin, c’est la plèbe, les hommes libres les plus humbles de la Rome républicaine, c'est-à-dire les artisans et paysans, qui exprimaient leur vote après les patriciens, et donc généralement dans le même sens qu’eux. Les membres de la plèbe n’avait qu’un très rare accès aux magistratures de la République et une culture distincte de celle de la classe plus aristocratique que constituaient les patriciens.
(9) Une revue de référence pour le tango danse à Buenos Aires. Vous trouverez le lien à son site dans la rubrique Eh bien dansez maintenant !, dans la Colonne de droite (partie inférieure).