lundi 21 février 2011

Les dettes pas très nettes de la Ville de Buenos Aires [Actu]

C'est Página/12 qui révélait hier cette nouvelle affaire surréaliste liée à la gestion de la Ville de Buenos Aires par Mauricio Macri, le leader du PRO (droite libérale), dont je vous rappelle (mais vous ne l'aviez pas oublié) qu'il envisage sérieusement de se présenter à l'élection présidentielle du printemps prochain (octrobre 2011).

Mauricio Macri avait contracté il y a un peu moins d'un an, au nom de la Ville bien entendu, un prêt de 475 millions de dollars (1), soit 1843 millions de pesos argentins, pour accroître le réseau du métro portègne (subte), sur les deux lignes historiques A et B (qui traversent Buenos Aires parallélement d'est en ouest, l'une sous Avenida Rivadavia, l'autre sous Avenida Corrientes) et la plus récente ligne H (qui traverse la ville perpendiculairement), à travers un programme financier à très haut taux d'intérêt, joliment baptisé Bono Tango S8 (2). Mais l'argent n'a pas pu être employé à cet effet, parce que les travaux sur ces lignes n'ont pas été habilités. Qu'à cela ne tienne, Mauricio Macri a alors décidé de transférer ces fonds pour partie sur des travaux dans les écoles (jamais réalisés) et pour l'autre partie, à AUSA, la société concessionnaire des autoroutes pour des mises en sécurité de certains passages à niveau (il y en a beaucoup en plein ville, qui coupent les rues et les avenues. A l'heure de pointe, je n'ai même pas besoin de vous en décrire les inconvénients et les dangers). Travaux de voirie jamais réalisés eux non plus. Résultat : l'argent ainsi emprunté a été converti en bons du trésor, pour un tiers (600 millions de pesos), au taux de 12%, et le solde sur un placement fixe de Banco Ciudad, rapportant 6,5% l'an. L'inflation nationale étant autour de 20% les bonnes années, de 25 les autres, Página/12 estime que la Ville a déjà perdu 30 millions de pesos rien que dans cette opération de trésorerie. Le tout sans que les décisions n'aient reçu toutes les autorisations législatives en bonne et due forme que prévoie pour ce type de transfert la constitution de la Ville.

Les seuls intérêts de cette dette inutilement contractée s'élèvent, toujours d'après le quotidien, à quelque 235 millions de pesos. Or le budget que la Ville consacre à l'éducation est de 107 millions et celui consacré aux programmes de logement (qui font tant défaut à Buenos Aires, comme l'ont bien montré les émeutes de décembre à Villa Soldati et dans les quartiers environnants) s'élève quant à lui à 74 millions de pesos.

Edifiant, non ?

Du coup, chauffée à blanc, la rédaction de Página/12 a décidé ce lundi de tirer à volonté sur Macri. Elle fait donc sa une sur le contenu de quelques révélations Wikileaks relatives aux relations, que les Argentins ont l'habitude de qualifier de carnales (charnelles), entre Macri, avec ses ambitions présidentielles, et l'Ambassade des Etats-Unis, dont il avait déjà annoncé en août, devant la Legislatura, qu'il avait sollicité l'autorisation, avant de nommer son chef de la Sécurité (le surnommé El Fino Palacios, Palacios l'élégant, déjà sous les barreaux depuis plusieurs mois pour le scandale des écoutes illégales des victimes de l'attentat de l'AMIA).

Le fait que le Chef du Gouvernement de la Ville de Buenos Aires en réfère à une ambassade étrangère était déjà en soi une aberration politique difficile à admettre. Mais les câbles sortis par Wikileaks indiqueraient que Macri se serait livré en plus à une véritable cabale contre le Gouvernement de son propre pays pour faire valoir ses atouts à lui de champion du marché international, du libre-échange, de la dérégulation du marché et de serviteur des intérêts économiques du géant septentrional. Ce faisant, Mauricio Macri s'inscrirait une fois de plus dans la tradition économico-politique dont l'ultra-libéralisme est solidaire en Argentine, celle de la Generación del Ochenta et de la Década Infame (voir à ce sujet mon Vademecum historique, dans les Petites chroniques de la partie médiane de la Colonne de droite), une tradition qui consiste à livrer, sans aucun scrupule ni remord de conscience, les ressources de l'Argentine aux super-puissances économico-stratégiques de l'heure, Angleterre pour la Generación del Ochenta (gouvernement oligarchique un brin maffieux des années 1880 à 1916) puis Angleterre – Etats-Unis sous la Década Infame (1930-1940/1943) et pour finir Etats-Unis tout seuls entre la chute de Juan Domingo Perón et la fin de la Dictature (1955-1983), avec une petite décennie de revenez-y sous le mandat de Carlos Menem, dan les années 1990.

Cet héritage de la Generación del Ochenta, Mauricio Macri l'avait presque revendiqué en décembre dernier, lorsqu'il a tenu des propos ouvertement xénophobes pour se dédouaner de ses responsabilités politiques et sociales concernant les émeutes qui faisaient alors rage dans le quartier sud de Villa Soldati (voir mon article du 10 décembre 2010 à ce propos et l'ensemble de mes articles sur ces émeutes).

La plupart de ces pratiques de gestion financières font actuellement l'objet de plaintes en cours d'instruction et pour certains d'entre elles, elles ont même donné lieu à condamnation du Gouvernement de la Ville de Buenos Aires. Mais peu importe : Mauricio Macri continue son chemin et prépare sa campagne électorale.

Pour aller plus loin :
lire l'article de Página/12 d'hier sur le devenir du prêt perdu
lire l'article de Página/12 de ce matin sur les fuites de Wikileaks, qui ont inspiré à ses astucieux titreurs un gros titre en forme de citation des Beattles (3) (Con una ayudita de mis amigos, With a little help of my friends, Avec un peu d'aide de la part de mes amis).

(1) Au-delà des montants de la vie quotidienne, en Argentine, on compte en dollars. C'est une monnaie plus stable que le peso argentin, affecté par l'inflation nationale, d'environ 20% par an.
(2) Pour mémoire : en annonçant le programme du 12ème Festival de Tango de Buenos Aires en août 2010, Mauricio Macri avait provoqué la colère de nombreux artistes en désignant le tango comme "la soja de la Ciudad de Buenos Aires". Quand on sait que le soja est en train d'envahir la terre arable argentine pour remplir les poches des exportateurs tout en vidant l'assiette des Argentins, faute d'élevage et de culture de céréales, de fruits et de légumes, le choix en mars et avril 2010 de ce programme et de ce nom n'est pas un pur hasard ni une fantaisie poétique. Voir mon article du 5 août 2010 sur l'annonce du Festival en août 2010 et celui du 7 août 2010 sur l'une des réactions que cette formule choc a provoquée à gauche.
(3) Le scandale Wikilieaks a aussi arrosé l'Argentine en son temps, avec la publication de câbles très grossiers à l'égard de l'actuelle présidente et de son défunt mari, et je n'en ai pas touché un seul mot dans Barrio de Tango, ce blog, parce que ces révélations n'étaient pas plus éclairantes sur la politique argentine que ne l'ont été sur nos politiques en Europe celles touchant nos gouvernants, qu'ils soient français, belges, italiens, espagnols, anglais ou allemands, pour ne pas les mentionner tous. Un tissu de banalités et de on-dit plutôt imprécis et tout aussi renseigné que n'importe quel article écrit par un bon journaliste connaissant son métier. Ce qui a montré surtout la piètre compréhension des pays étrangers qu'avait le Department of State sous la présidence de George W. Bush et peut-être encore aujourd'hui. En Argentine, des circonstances particulières et tout à fait exceptionnelles ont obligé la porte-parole de l'Ambassade des Etats-Unis à présenter des excuses publiques à la Présidente et Hillary Clinton à se manifester auprès de la Casa Rosada, puisque les câbles rendus publics portaient atteinte à la vie privée du couple Kirchner et calmoniaient Néstor Kirchner, décédé quelques semaines auparavant, le 27 octobre 2010, ce qui avait soulevé une vive émotion populaire en Argentine et provoqué de nombreux hommages de la part des pays voisins, sans parler d'un deuil personnel très douloureux pour la Chef d'Etat argentine qui n'en avait pas moins repris ses activités très vite avec une dignité que personne ne peut honorablement lui nier (voir mes articles sur le décès de Néstor Kirchner et ses développements dans le pays et le sous-continent).