mercredi 30 septembre 2009

Hommage de Página/12 à Alorsa [Actu]

C’était le mercredi 2 septembre sous la plume de Carlos Bevilacqua, lui-même vivement affecté par l’événement qui s’était produit dans la nuit du 30 au 31 août.

Je vous traduis ci-après l’intégralité de l’article, qui nous avait tous beaucoup émus (et ce n’est pas fini).

Aujourd’hui, voilà un mois qu’Alorsa nous a quittés et nous continuons à ne pas pouvoir y croire.

Miércoles, 2 de septiembre de 2009
MUSICA : MURIO JORGE PANDELUCOS, EL LIDER DE LA GUARDIA HEREJE
Alorsa, un ejemplo tanguero a seguir

Mercredi, 2 septembre 2009
Musique : Jorge Pandelucos, l’animateur de la Guardia Hereje, est mort
Alorsa, un exemple tanguero à suivre

Fue anteayer. La noticia se metió como un puñal artero por las casillas de mail y por los teléfonos celulares de tantos que habían tenido la suerte de conocerlo personalmente: “Se murió Alorsa”. A continuación, se cruzaron las preguntas teñidas de dolor tratando de entender cómo alguien sano, de 38 años, se va sin previo aviso, por un infarto como toda explicación. La tristeza se multiplica todavía en el ambiente del tango más genuino, ese que no resigna sus principios por un par de morlacos, porque Jorge Pandelucos, más conocido como “Alorsa”, fue además de un buen tipo, un artista talentoso, creativo y tesonero.
(Carlos Bevilacqua, Página/12)

C’était avant-hier. La nouvelle s’est plantée comme un poignard bien manié dans les messageries et les téléphones portables (1) de tant de gens qui avaient eu la chance de le connaître personnellement. "Alorsa est mort". Et aussitôt après, les questions imbibées de douleur ont fusé de toutes part pour tenter de comprendre (2) comment une personne en bonne santé, à l’âge de 38 ans, pouvait s’en aller sans crier gare, avec l’infarctus pour toute explication. La tristesse croît toujours dans le milieu du tango le plus authentique, celui qui ne renonce pas à ses principes pour une poignée de thunes (3), parce que Jorge Pandelucos, plus connu sous le nom de Alorsa, était non seulement un type bien, mais aussi un artiste talentueux, créatif, solide.
(traduction Denise Anne Clavilier)

La mayor exposición pública de Alorsa se dio a través de La Guardia Hereje, un cuarteto platense de guitarras, percusión y cantor que desde 2002 refrescó la letrística del tango con verdades actuales, sin perder por eso una visión poética del mundo ni enfrascarse en metáforas crípticas. Como alma mater del grupo, él escribía las letras, colaboraba en su musicalización en formas de tangos, milongas y candombes, se ocupaba personalmente de producir los discos, de armar el cronograma de conciertos y de hacer la prensa. “Hay un placer en hacerlo así, a pulmón”, decía. A pesar de llevar la pelota, Alorsa supo repartir juego al crear el Tango Criollo Club, un espacio pensado para compartir escenario con El Yotivenco, La Chicana y La Orquesta Típica Fernández Fierro, entre otros grupos del palo menos prejuicioso del tango. Luego de un año en un local de 7 y 42, el ciclo logró recalar en Buenos Aires.
(Carlos Bevilacqua, Página/12)

La plupart de ses apparitions publiques, Alorsa les a faites au sein de La Guardia Hereje (4), un quatuor de La Plata avec guitares, percussion et chanteur qui, depuis 2002, donnait un coup de jeune aux textes du tango avec des vérités actuelles, sans perdre pour autant une vision poétique du monde ni s’emprisonner dans des métaphores indéchiffrables. En sa qualité d’Alma mater du groupe, il écrivait les textes et faisait un travail collectif pour les mettre en musique sous forme de tangos, de milongas et de candombes, il se chargeait personnellement de la production des disques, de l’établissement du calendrier des représentations et assurait le service de presse. "Il y a du plaisir à faire ça de cette manière, à la force du poignet" disait-il. Le fait d’avoir le ballon (5) n’empêchait pas Alorsa de savoir distribuer le jeu lorsqu’il créa le Tango Criollo Club, un espace qui avait été conçu pour partager la scène avec el Yotivenco, La Chicana et la Orquesta Típica Fernández Fierro, entre autres groupes de la trempe la moins médiocre du tango. Au bout d’un an dans une salle située à l’angle des rues 7 et 42 (6), les concerts réussirent à se poser à Buenos Aires (7).
(traduction Denise Anne Clavilier)

La Guardia Hereje había editado en 2004 Tangos y otras yerbas, su único CD íntegramente compuesto por piezas propias que pronto parió un hermano en vivo con varios recitados como atractivos bonus tracks. Luego de siete años de trajinar por el circuito “under”, el jueves pasado se había presentado por primera vez en el marco del Festival y Mundial de Tango. Por estos días, preparaba la presentación en La Plata del material para un segundo CD que pensaba titular “Canciones para mandinga”. En el camino los herejes también llenaron dos veces el histórico Teatro Coliseo Podestá, algo así como el Colón de La Plata.
(Carlos Bevilacqua, Página/12)

La Guardia Hereje avait sorti en 2004 Tangos y otras yerbas, son unique CD intégralement composé de morceaux originaux qui très vite enfanta un frère [enregistré] en public avec en plus des paraboles racontées (8) comme autant de bonus captivants. Après 7 ans à se trimbaler à travers le circuit underground, jeudi dernier pour la première fois il s’était produit dans le cadre du Festival et du Mundial de Tango. Ces jours-ci, il préparait la présentation à La Plata du contenu de son second CD qu’il envisageait d’intituler Chansons pour Mandinga (9). En chemin, les hérétiques avaient aussi rempli deux fois l’historique Théâtre Coliseo Podestá, qui est un peu à La Plata ce que le Colón est à Buenos Aires (10).
(traduction Denise Anne Clavilier)

Como pocos, Alorsa supo aprovechar las bondades de Internet para hacerse un lugar en los oídos de la gente. Además de grabar en forma independiente, vendía sus discos a precios accesibles por canales no tradicionales y durante el último verano decidió liberarlo por Internet a través de una descarga gratuita a pedido. “Por cada disco que alguien se descarga hay diez personas que cantan nuestras canciones en diferentes lugares del mundo”, había dicho en una nota para este diario.
(Carlos Bevilacqua, Página/12)

Comme peu de gens, Alorsa avait su profiter des avantages d’Internet pour se faire une place dans les oreilles des gens. Non content d’enregistrer en toute indépendance, il vendait ses disques à des prix accessibles, hors des circuits traditionnels et l’été dernier, il avait décidé de le libéraliser sur Internet à travers un téléchargement gratuit sur demande. "Pour chaque disque que quelqu’un télécharge, il y a 10 personnes qui chantent nos chansons en différents points du monde" avait-il dit dans un entrefilet à ce journal. (11)
(traduction Denise Anne Clavilier)

Alorsa llegó al arte de una manera oblicua. Luego de estar a punto de graduarse como ingeniero electrónico, trabajar como profesor de matemática y viajar como mochilero-guitarrero por América latina, estaba manejando un taxi por la Ciudad de las Diagonales cuando sintió que tenía que hacer algo con esos papelitos que llenaba con apuntes de lo más disímiles. Nacieron entonces las primeras canciones , que después trascenderían como “La pesadilla”, “Para verte gambetear” o “Ezeiza”.
(Carlos Bevilacqua, Página/12)

Alorsa était venu à l’art par un chemin de traverse. Après avoir été à deux doigts de passer son diplôme d’ingénieur en électronique, avoir travaillé comme professeur de mathématiques et avoir voyagé sac à dos et guitare en bandoulière à travers l’Amérique Latine, il conduisait un taxi dans la Ville des Diagonales (12) quand il sentit qu’il avait quelque chose à faire avec ces bouts de papier qu’il couvrait de notes dans tous les sens. C’est ainsi que sont nées les premières chansons qui ont ensuite connu le succès comme Le Cauchemar, Pour te voir jouer, ou Ezeiza. (13)
(traduction Denise Anne Clavilier)

Así como tras perder las facturas del domingo en una de sus letras él advierte que acechan los traidores, su partida recuerda que en cualquier momento hay que dejar el puesto. Pero también que mientras se pueda continuar jugando hay un ejemplo a seguir.
(Carlos Bevilacqua, Página/12)

Comme, quand il ne retrouve plus les viennoiseries du dimanche dans un de ses textes (14), il nous avertit que les traîtres sont à l’affût, son départ nous rappelle qu’à n’importe quel moment on peut avoir à quitter le terrain (15). Mais aussi que, tant qu’on peut continuer à jouer, il y a un exemple qu’il faut suivre.
(traduction Denise Anne Clavilier)

Vous pouvez retrouver un bon nombre des spectacles auxquels Carlos Bevilacqua fait allusion dans les entrées de ce blog consacrés à Alorsa. Pour y accéder, cliquez sur le nom du chanteur dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search en haut de l’article ou dans la rubrique Vecinos del Barrio (j’ai maintenu pour le moment Alorsa en première position, comme de son vivant, et je ne sais pas quand ni si j’aurai un jour le courage ou la résignation de l’installer plus bas, dans la section Toujours là. Il le faudra bien un jour mais... on a le temps).

Pour accéder directement à l’article de Carlos Bevilacqua, sans passer par ma traduction, cliquez sur ce lien.

(1) Mes amis belges écriraient GSM...
(2) Carlos a lui-même fait partie de ces personnes sonnées qui cherchaient à comprendre. Sa question est revenue sur ma messagerie en réponse au mail que j’avais moi-même envoyé pour annuler la réunion festive que je comptais organiser la veille de mon départ, dans une pizzeria de San Telmo, où j’avais déjà réuni mon petit monde l’année dernière. Le 20 juillet de cette année, pour la fête de l’amitié (día del Amigo), j’avais publié dans ce blog une deuxième photo de cette réunion, précisément celle de la partie de la tablée où Alorsa s’était installé et où on ne voit guère que le noir de jais de ses cheveux...
(3) thunes : argot parisien pour traduire le lunfardo morlacos
(4) Guardia Hereje : la Garde Hérétique. Allusion aux deux grandes écoles-époques du tango des origines, qu’on a appelées Guardia Vieja et Guardia Nueva, laquelle commence avec Julio De Caro. Depuis, ces deux termes sont une référence permanente, qu’on met à toutes les sauces. Alorsa l’avait choisie, en référence à beaucoup de choses et en particulier à une oeuvre du poète et dramaturge populaire Evaristo Carriego, Misas Herejes.
(5) Carlos Bevilacqua utilise ici une métaphore footeuse très classique en Argentine et dont Alorsa adorait se servir.
(6) A La Plata, les rues ont plus souvent des numéros que des noms. Ce n’est pas ce qui aide le plus l’automobiliste à s’y repérer.
(7) Carlos fait ici allusion aux deux séries de shows que La Guardia Hereje a données au Conventillo de Teodoro, dans le quartier de Almagro, et dont j’ai plusieurs fois parlé dans ces colonnes... Cela avait été un travail ardu pour Alorsa de trouver ce lieu et de conclure cet accord. Cela avait commencé par un essai de 2 mois, qui avait été couronné de succès, puis il était à nouveau revenu pendant deux nouveaux mois. Il avait ensuite réussi à faire un soirée dans un café de l’avenue Corrientes. Je me souviens qu’il était en pleine négociation avec le patron du Conventillo le jour où Cucuza fêtait à El Faro le 1er anniversaire de El Tango Vuelve al Barrio. C’est pour ça que c’était Alorsa qui m’avait raccompagnée jusqu’à mon hostel, à Almagro, dans sa voiture...
(8) c’est moi qui choisis de traduire ainsi le terme recitativo. C’est en fait une notion intraduisible. C’est un mot qui s’utilise beaucoup pour parler de ces morceaux dits et non chantés qu’Horacio Ferrer a introduits dans le genre avec le début de Balada para un loco et qu’il cultive avec un admirable talent. Alorsa était et Juan Vattuone est, autant l’un que l’autre, de grands experts dans le maniement de ces temps éminemment théâtraux et très difficiles à faire passer sur scène de manière naturelle, sans artifice.
(9) Mandinga est un personnage du carnaval sur les deux rives du Río de la Plata. Il symbolise l’héritage noir présent dans la culture de cette région. Mandinga est le nom d’une ethnie d’Afrique de l’ouest à laquelle appartenait la majorité des esclaves qu’on débarquait dans le port de Buenos Aires aux 17 et 18èmes siècles.
(10) Teatro Colón : l’opéra de Buenos Aires. Dans le domaine de la musique populaire, seuls de très, très grands y ont été admis : Troilo, Pugliese, Piazzolla, Salgán... Carlos Bevilacqua fait ici allusion aux deux représentations au Teatro Coliseo Podestá, dont je vous ai présenté en juillet la deuxième.
(11) Le chroniqueur fait allusion à une interview d’Alorsa qu’il avait lui-même fait paraître dans Página/12 en juillet dernier.
(12) surnom de La Plata
(13) Les chansons citées ici (et d’autres aussi), il en sera question dans les livres que je prépare en ce moment et qui paraîtront pour l’un, je l’espère, avant Noël (je croise les doigts) sinon vers février et pour l’autre, dans le courant du premier semestre 2010. Je suis en train de faire des changements que la disparition de l’auteur impose. Quand tout est consommé, il faut présenter les choses différemment et il m’en coûte de s’y résoudre.
(14) Allusion à Te morfaste las facturas, avec lequel il avait ouvert son spectacle du 27 août, au Konex, à la stupéfaction ébahie d’un public venu pour danser et pour "écouter du tango" et qui se trouvait face à cette espèce d’ovni culturel, quelque chose de totalement inattendu mais qui fut chaleureusement applaudi.
(15) autre métaphore footballistique, si fréquente dans le langage quotidien à Buenos Aires.