C’est Daniel Paz et Rudy qui régalaient hier les lecteurs de Página/12 de cette vignette érudite... Mais la faible qualité de ma connexion Internet et le travail de bénédictin qu’il me reste à faire sur mon prochain livre ne m’ont pas permis de vous en parler en direct live (comme on dit en franglais), en temps réel (comme on dit en bon français), alors même que le sujet était au programme du Plenario de la Academia Nacional del Tango d’hier, avec Lucrecia Merico et Daniel Pérez pour la partie artistique (lire mon article de samedi à ce sujet).
Lui : j’ai l’impression de ce suppositoire est périmé. (1)
Elle : Oui, mais qu’est-ce qu’il chante bien !
Le suppositoire : Je reviens périmé (1) dans la petite boîte de médicaments.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Question : à quel tango font-ils donc allusion ? Car il s’agit bien d’un tango. Et pas n’importe lequel, qui plus est. Un tango écrit par Enrique Cadícamo et composé par Juan Carlos Cobián... Tout le monde à Buenos Aires et dans toute l’Argentine a su chanter ce vers, hier, en ouvrant l’édition de Página/12. La métrique est parfaitement respectée et non seulement la métrique mais même le rythme de la phrase originale. Le jeu de mot est en prime... J’aime beaucoup quand le dessin de la Une nous sert ce genre de pastiche.
Allez, c’est mon jour de bonté, je vous donne un indice : c’est l’histoire d’un mec (2) qui revient chez ses parents, ruiné comme le fils prodigue de l’évangile. Le vieux valet de ferme (el viejo criado / el anciano) le reconnaît non à son visage (habré cambiado totalmente) mais à sa voix (por la voz tan sólo me reconoció). Dans la maison où règne un silence de mort, il retrouve sa mère très malade, qui porte sur lui un regard où il lit trois tonnes de reproches.
Cela vous dit quelque chose ? Toujours pas ? Pourtant, qu’est-ce que c’est connu, nom d’une pipe ! Quand vous allez savoir, vous allez vous exclamer que vous ne connaissez rien d’autre que ce tango-là !
Deuxième indice : le vers original parodié dans le dessin, c’est Vuelvo vencido a la casita de mis viejos... Bon sang, mais c’est bien sûr ! (3) Ça y est, vous y êtes. Mais si, je viens de vous donner la réponse...
Pour ceux qui ne trouvent toujours pas ni ci-dessus, ni derrière aucun disque de leur discothèque (il faut revoir votre discothèque, il vous manque des trucs essentiels !), ni dans la mémoire des mélodies déjà entendues (il faut manger plus de poisson !), allez donc farfouiller dans cette caverne d’Ali-Baba qu’est Todo Tango (le lien est dans la Colonne de droite, dans la partie basse, dans la rubrique Ecouter).
Et pour ceux qui, malgré toutes ces indications, n’ont toujours pas trouvé (mais c’est parce que vous avez eu la flemme d’ouvrir Todo Tango, et franchement, je serai à votre place, je ne m’en vanterais pas !) et qui, vencidos pour de vrai, donnent leur langue au chat (j’ai déjà employé cette expression dans un autre article de Jactance & Pinta, allez le lire), descendez un peu vers les notes de bas d’article... L’explication est dans le 4ème alinea. Et le lien ci-après vers Todo Tango vous donne accès à une très belle version de ce grand classique chanté par Jorge Vidal.
Après ça, Néstor Tomassini (voir son raccourci dans la rubrique Vecinos del Barrio, dans la Colonne de droite, partie supérieure) va me dire qu’il y a trop de choses dans mon blog et qu’on s’y perd comme dans un labyrinthe... Mais c’est le genre de reproche que je prends pour un compliment. Au moins, ça veut dire qu’il ne s’ennuie pas à me lire...
(1) vencido : se traduit périmé quand il s’agit de médicaments ou de produits alimentaires. Mais il s’agit du participe passé du verbe vencer, vaincre. Allusion à un trafic de médicaments récemment découvert et qui donne lieu à un maxi-scandale en Argentine.
(2) "C’est l’histoire d’un mec" : citation d’un humoristique français, très titi parisien, Michel Colucci, dit Coluche (1944-1986), dont c’était l’ouverture d’un sketch très célèbre et assez peu raffiné, où il imitait la manière de s’exprimer, imprécise et vulgaire, des loubards de banlieue (loubard dans les années 1970 et 1980 : malevo, reo, atorrante). Cette phrase est devenue un repère culturel en France et dans toute la francophonie européenne. Tout le monde sait l’attribuer à Coluche et la réciter avec l’intonation caractéristique qu’il y mettait.
(3) "Bon sang, mais c’est bien sûr !" : autre référence populaire française, ultime réplique rituelle d’un feuilleton policier intitulé Les 5 dernières minutes (56 épisodes en tout). C’était le Commissaire Bourrel, interprété par Raymond Souplex, qui se frappait le front en découvrant l’identité du criminel... au cours des 5 dernières minutes du film. La série a fait les beaux soirs de l’unique chaîne devenue première chaîne de télévision française de 1958 à 1973 (aujourd’hui la chaîne commerciale TF1).
(4) La casita de mis viejos... C’était du teasing pour mon bouquin ! Il faut bien s’occuper quand on a trop à faire...