jeudi 18 octobre 2012

L'Uruguay dépénalise l'avortement dans la gravité [Actu]


A la lecture des journaux uruguayens, ce qui frappe ce matin, c'est l'absence de jugement de valeur, de liesse et d'envolée polémique sur les unes alors que le Sénat vient d'approuver, par 17 voix sur 31, une loi qui permettra aux femmes d'avorter dans la limite de 12 semaines d'aménorrhée, aux frais de l'Etat, et au terme d'un accompagnement social et psychologique. Le projet de loi avait été voté par la Chambre des Députés le 25 septembre dernier.Aussitôt le résultat sénatorial officiel, le président Mujica a annoncé qu'il ne mettrait pas de veto à cette loi, qui faisait partie depuis longtemps du programme de gouvernement du Frente Amplio, la vaste coalition de gauche dont il est issu.

En novembre 2008, son prédécesseur, le président Tabaré Vázquez, médecin oncologue lui-même issu du Frente Amplio, s'était opposé à la mise en oeuvre d'une première loi sur ce thème, déclenchant un tohu-bohu politique au sein de son parti, qui avait néanmoins voulu par la suite le voir tenter de se représenter, alors que la Constitution interdit deux mandats successifs à la tête de l'Etat (voir mon article du 3 novembre 2008 sur ce veto présidentiel).

La société uruguayenne reste profondément divisée sur cette question. Ces unes toutes retenues et ce vote à  majorité si étroite en font foi, comme le choix très surprenant de cette photo de militants catholiques plongés dans leurs prières alors qu'ils assistent à la séance et l'absence d'images des militants de la dépénalisation, qu'on avait montré il y a quatre ans, et qui ont manifesté bruyamment leur joie au moment où le président du Sénat, qui est aussi le vice-président du pays, a énoncé le résultat.

Un certain nombre de groupes de pression exigent maintenant que la loi soit présentée au peuple sous la forme d'un référendum avant d'être sanctionnée par le pouvoir exécutif, qui soutient qu'il s'agit là d'un progrès social incontestable puisqu'il mettra fin à une cause de mortalité féminine, une des constatations tragiques qui avaient conduit les pays d'Europe atlantique à dépénaliser l'avortement les uns derrière les autres dans les années 70 et 80.

Le gouvernement uruguayen affirme avoir fait former à ces interventions à risque deux mille personnels de santé, médecins et infirmiers, pour que le système hospitalier soit en mesure de réagir en toute sécurité pour les femmes lorsque la loi entrera en vigueur. Le corps médical et les auxiliaires de santé n'en restent pas moins très partagés sur cette pratique et il y a fort à parier que l'opposition de conscience d'un bon nombre de ces professionnels rendra cette loi inopérante dans un certain nombre de zones du pays, probablement et comme toujours celles qui sont déjà les moins bien pourvues en tout.

A noter aussi que tout le monde parle bien d'avortement et que presque personne ne parle la langue de bois du politiquement correct, avec cette palanquée de termes délibérément insipides, comme nous en avons pris l'habitude en Europe et en français, avec ce sigle d'IVG qui technicise l'intervention et en neutralise la dimension morale et psychique comme on le fait pour de nombreuses autres réalités qui nous dérangent, tant nous avons de mal à vivre la tolérance que nous portons pourtant en écharpe ("non voyant" pour "aveugle", "mal entendant" pour "sourd" et le pire de tous, "personne à verticalité contrariée" pour "nain", qu'on avait déjà transformé en "personne de petite taille", et je passe sur les "techniciens de surface" et les "SDF").

Avec ce vote, l'Uruguay devient le 145ème pays au monde à autoriser l'avortement et le second en Amérique latine, puisque le premier qui l'ait fait et c'est très particulier, c'est Cuba.
Dans l'Amérique latine démocratique, l'Uruguay vient de transgresser, pour la seconde fois, un véritable tabou qui reste très fort, en sachant que cette fois-ci il n'y aura pas de filet de sécurité (1) et cela se voit dans la presse de ce jour...

Pour aller plus loin :
En Uruguay (chaque journal consacre plusieurs articles à la nouvelle. Je n'ai retenu ici que l'article que je considère comme principal).
lire l'article de La Red 21 (ex-La República – par facilité pour les recherches, je garde le même mot-clé pour le bloc Pour chercher, para buscar, to search)
En Argentine :
lire l'article de Página/12 (lui aussi fait profil bas, ce qui est pour le moins inattendu dans les colonnes de ce quotidien plutôt très favorable à ce genre de réformes)
lire l'article de La Nación (très hostile à toute loi de ce type, et qui classe le Guyana et le Costa-Rica parmi les pays qui autorisent l'avortement)


(1) Tout se passe comme si, en son temps, le veto annoncé à l'avance par Tabaré Vázquez avait permis aux militants de tous poils de s'affronter verbalement et violemment, affranchis qu'ils étaient tous de s'interroger sur de nombreux points bien réels puisque, de toute manière, rien ne se concrétiserait cette fois-là (puisque la loi, même votée, ne serait pas appliquée, faute d'une signature présidentielle et ministérielle). Autant de questions qui aujourd'hui se rappellent à tous avec leur lot de difficultés de tous ordres (techniques, réglementaires, économiques, éthiques, déontologiques, démocratiques). Il y a quatre ans, on a fait un tour de piste pour s'échauffer. Cette année, plus personne ne rigole, la chose est devenue très sérieuse.