vendredi 12 octobre 2012

Le dessin de Rep pour la Fête de la Diversité culturelle américaine [Histoire]

Le peintre et dessinateur de presse Miguel Rep a beaucoup d'humour mais parfois ça s'approche plus de l'esprit provocateur de Charly Hebdo que de l'humour en demi-teinte traditionnel à Buenos Aires...

Ici, pour la fête de la Diversité culturelle américaine, le nouveau nom donné à l'anniversaire, célébré dans toute la communauté hispanique, de la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb le 12 octobre 1492, Rep mêle des positions politiques très critiques du passé (il n'est que de regarder la tête vraiment patibulaire dont il a gratifié le grand navigateur) avec une noble intention prophylactique. Le mélange de ces deux genres-là passe-t-il bien la rampe ? A vous de voir !

Extrait du site Internet de Página/12

L'interprête : Ils disent qu'ils savaient que ce jour allait arriver, que c'était écrit dans les étoiles. Ils savent ce qui les attend. Il me demande de vous informer que la terre est ronde, que vous venez de découvrir un nouveau continent et que vous essayiez de mettre des préservatifs avec eux.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

C'est en effet en Amérique que les Européens contractèrent la syphilis, une maladie sans gravité pour les populations précolombiennes qui disposaient d'une immunité innée alors que pour les Européens, en particulier à la Renaissance qui fut une période de fort relâchement des mœurs dans les classes sociales privilégiées (lisez la poésie de Ronsard ou de Shakespeare pour vous en persuader), cette maladie fut et reste une catastrophe sanitaire puisqu'elle est sexuellement transmissible (il n'y a pas que le VIH !)et qu'elle détruit certaines connexions neurologiques, provoquant peu à peu un état de démence généralisé dans lequel le malade mourrait jusqu'à il n'y pas si longtemps. En revanche, certaines de nos maladies respiratoires, la plupart du temps bénignes pour un Européen, ont ravagé ces populations et sont peut-être une des raisons de leur très rapide décroissance démographique dès le début du 16ème siècle. La contagion aurait fait plus de morts que la politique de persécution et d'asservissement mise en place par les blancs dès les premières années de la colonisation.

Cette vignette mordante me rappelle un tableau, daté de 1993, de Ricardo Carpani (1930-1997) exposé au Museo Nacional del Bicentenario (1) dans sa toute première salle. Ce tableau (illustration ci-dessous) reconstitue la scène de la fondation de Buenos Aires par Juan de Garay (la seconde fondation, celle de 1580). Les Indiens y assistèrent parce que les Espagnols, dans leur naïveté et leur conviction qu'ils apportaient la Vérité et la Civilisation, exigeaient qu'une fondation reçoive l'agrément des populations autochtones, qui venaient donc assister à l'étrange spectacle sans bien comprendre de quoi il s'agissait. Derrière un des représentants indiens, debout au milieu d'animaux locaux qui firent si peur aux Européens, on voit un Portègne typique du 20ème siècle qui lui parle à l'oreille pour l'avertir de ce qui se trame contre son peuple... Une manière très intéressante qu'a la gauche argentine, depuis très longtemps, depuis les courants populaires de la Révolution de Mai 1810 (Revolución de Mayo), de contester ce qui est pourtant, qu'on le veuille ou non, à l'origine même des pays actuels en Amérique du Sud. C'est dur de se constituer en nation quand on n'adhère si peu à l'acte fondateur du pays, or c'est bien la gauche qui porte depuis mai 1810 cette élaboration de la Nation. Cela nous permet de comprendre un peu mieux pourquoi l'histoire nationale est si mal traitée, si déguisée par les historiens, eux-mêmes pris dans un maelström de positions antagonistes les unes des autres. Or les artistes sont aux avant-postes de la dénonciation de la mascarade. Miguel Rep ne fait pas exception à la règle...

Image extraite du site Internet du Museo Nacional del Bicentenario

(1) Le Museo Nacional del Bicentenario (www.museo.gov.ar), situé partiellement dans les fondations historiques de la Casa Rosada, actuel palais présidentiel mais ancienne forteresse vice-royale, est l'un des musées que je ferai visiter aux participants du voyage Buenos Aires, le roman national argentin et la culture populaire que je propose jusqu'au 31 octobre 2012 en partenariat avec l'agence Intermèdes (voir l'ensemble de mes articles sur ce sujet).