Ce
n'était pas facile à faire et il l'a fait...
En
piquant l'idée à un tableau ultra-kitch où l'on
voit le vieux soldat, tel que nous l'a montré un daguerrotype
réalisé à Paris dans l'hiver 1848 (ci-contre), dans une pose
méditative, plus ou moins reprise dans la case, avec, en arrière-fond,
des images nébuleuses ou floues rappelant quelques combats et batailles
mémorables, Miguel Rep, qui est peintre autant que dessinateur
de presse (dans les colonnes de Página/12), a réussi à
résumer, de manière incontestablement plus complète
que l'original (et beaucoup plus drôle), la vie très
intense de José de San Martín (1778-1850) que vous
racontera mon prochain livre, à paraître le 4 décembre
2012, aux Editions du Jasmin (et en souscription d'ici là,
voir mon article du 23 octobre à ce sujet).
Ainsi
donc, voici la traduction du texte bulle à bulle (les
explications en français, vous les trouverez dans le bouquin !
Merci à Rep de m'avoir offert un si somptueux support pour ma
promotion et celle de mon éditeur.
Titre
en rouge à gauche (sous la silhouette très reconnaissable du San Martín du Passage des Andes, avec son bicorne caractéristique) : le rêve du Libérateur
J'aimerais
ouvrir une agence de voyage et offrir du tourisme-aventure aux
Français
Une
visite du circuit franc-maçon de Londres
Navigation
sur l'Atlantique et le Pacifique
Vive
Baylén by night !
Nous
avons récréé [pour vous] l'aventure du clocher
et du vieil arbre de San Lorenzo sur la rive du Paraná
Consultez-nous
pour les modalités de paiement (1)
Une
traversée épique de la Cordillère des Andes
Respirez
l'air pur de Córdoba : idéal pour les asthmatiques
de Boulogne-sur-Mer
Voyages
Merceditas : maximes et conseils
Traversée
unique en frégate pour observer les guerres intestines. Sans
débarquer à Buenos Aires !
Week-end
à Guayaquil : la route de l'échec n'a pas le même
goût
Chili
et Pérou : deux pays pour le prix d'un.
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Vu
comme ça, eu égard à l'ignorance qui est la
nôtre en Europe francophone sur la vie de cet homme (2), je
vous l'accorde, ce n'est pas très folichon. Mais quand vous
refermerez San Martín, à rebours des conquistadors,
revenez sur cet article et là, je vous promets le
fou-rire de votre vie.
Ce
qui tombe bien : San Martín avait lui-même beaucoup
d'humour, ce que sa légende se garde bien de laisser jamais
apparaître. A tel point que même les acteurs les plus
conscients du fossé entre légende officielle et réalité
historique jouent un personnage arrogant, autoritaire, éructant,
insultant à tout bout de champ ses subordonnés, tel
qu'il apparaît sous les traits de Rodrigo de La Serna dans
Revolución, el cruce de los Andes, film magnifique pour ses
paysages, ses reconstitutions historiques d'une armée
multiraciale et ses cadrages mais très mitriste pour ce qui touche la
construction psychologique des personnages (voir mon article sur le tournage, le 17 juillet 2009, lorsque le film ne portait pas encore
son titre définitif, et la page du long-métrage sur le
site de Canal Encuentro, la chaîne de télévision
qui a assuré une bonne part de la production).
Ici,
Rep jongle avec les polémiques et les stéréotypes
qui abondent autour de la figure du Libertador.
Du
côté des polémiques, en voici deux magnifiques :
- Les
liens de San Martín avec la franc-maçonnerie. L'affaire
est très complexe : d'un côté, il y a la
droite catholique qui s'évertue à nier ce caractère
franc-maçon de San Martín, avec des arguments aussi
fragiles que ceux des uruguayennistes au sujet de la naissance de
Carlos Gardel (voir mon dernier article sur cette question), de
l'autre, il y a une découverte récente (1980), d'un
document écossais lié aux réseaux maçonniques
britanniques et qui aurait inspiré San Martín dans son
parcours entre Buenos Aires, Mendoza, Santiago et Lima, mais cette
source d'inspiration est très contestée. D'autres
éléments tendraient à montrer que c'est avec son
ami Tomás Guido qu'il conçut ce plan, pendant une
célèbre convalescence à Córdoba en 1814.
- Des
liens sulfureux et supposés avec Londres. Ici, on a une
allusion à une querelle ignominieuse contre laquelle
bataillent les historiens révisionnistes (entendez péronistes)
du côté desquels Rep, de la rédaction de
Página/12, se trouve. Cette querelle remonte à
Bartolomé Mitre (1821-1906) qui laissa entendre en son temps, dans les
années 1860, que San Martín avait inféodé
son action politique aux intérêts de la Grande-Bretagne
(il prêtait à San Martín une attitude qui était
en fait la sienne et celles des hommes de droite de sa génération). Il y a quelques années, cette invraisemblable version a été remise au goût du jour par un pseudo-historien
dans un livre, délibérément scandaleux, qui a
déclenché une belle bagarre d'experts sans que les
historiens aient pu faire éclater aux yeux de tous
l'épouvantable supercherie d'une telle lecture de l'histoire.
Cette faribole correspond en Argentine à ce qui existe en
France autour de Jeanne d'Arc (liens de parenté supposés avec le Dauphin, le fait
qu'elle était en réalité un homme, sa
non-exécution en place publique à Rouen et toutes les
fables du même acabit).
Du
côté des images d'Epinal, on en a aussi deux belles dans
ce dessin :
- Le
clocher et l'arbre de San Lorenzo, la tarte à la crème
de tous les livres scolaire, comme en France Saint-Louis
rendant la justice sous le chêne de Vincennes, du temps où
l'on apprenait encore la vie de Saint-Louis à l'école
élémentaire (je suis assez vieille pour m'en souvenir).
- Les
"maximes pour ma
fille", Mercedes. Ces
notes griffonnées pour lui seul sur une simple feuille de
papier en 1825, quand la petite avait à peine neuf ans, sont
souvent interprétées, à tort, comme une théorie
sur l'éducation des filles (inutile de vous dire qu'il s'agit
alors d'une théorie ultra-réactionnaire, qui n'était
pas du tout dans l'esprit de San Martín mais bien dans celle
de cette Argentine victorienne des années 1860-1910 qui l'a
fait prisonnier du bronze des statues).
Et
puis il y a une petite phrase que nous pouvons prendre pour une pique
à notre égard mais qui, bien sûr, n'en est pas
une. C'est l'allusion à Baylén (ou Bailén), la
première défaite napoléonienne, infligée
à l'armée d'occupation française en Espagne.
L'un
des deux généraux vainqueurs, le marquis de Coupigny,
avait San Martín lui-même pour aide-de-camp. Le soir
même de ce 19 juillet et les jours qui suivirent, le jeune et
brillant capitaine de trente ans eut droit, comme tous ses camarades
de combat, à des réceptions sans nombre, des Te Deum à perdre souffle,
une médaille, des cadeaux de toute sorte (il conserva par
devers lui un petit chapelet offert par une religieuse). Les
vainqueurs furent longuement acclamés par la population qui,
en juillet 1808, était encore très massivement
anti-française. Mais épuisé par son travail
harassant d'instruction intensive des très nombreux volontaires qui
s'étaient enrôlés dans l'armée patriote
dès le début du mois de mai, San Martín ne
profita pas longtemps des festivités : il se retrouva vite
cloué au lit par sa première crise d'asthme,
particulièrement spectaculaire, et ne put revenir au service
actif, en opération, qu'au début de l'année
1809.
Quand
ce dessin est paru sur la page d'accueil de Página/12, le 18
août dernier, j'étais à Buenos Aires où je
me bagarrais avec mon agenda et les disponibilités de mes
interlocuteurs pour enchaîner tous mes rendez-vous avec les
musées que j'ai finalement pu mettre au programme de Buenos
Aires, roman national argentin et culture populaire, auquel je
mettais alors la dernière main avec l'agence Intermèdes,
par mail interposé et en jonglant avec le décalage
horaire.
C'était
un samedi, lendemain de la date officielle du Día de San
Martín, le 17 août, anniversaire de sa mort à
Boulogne-sur-Mer en 1850, une fête patriotique qui, depuis
quelques années, est célébrée le lundi
suivant (jour férié) pour que le long week-end d'hiver
favorise un peu le tourisme intérieur.
Pour
en savoir plus sur José de San Martín, cliquez sur son
nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus.
Ecoutez
mon interview en français, donnée en août 2012 à
Magdalena Arnoux au micro de RAE (Radio Nacional)
Pour
en savoir plus sur la biographie qui sort tout prochainement aux
Editions du Jasmin, cliquez sur le mot-clé SnM bio Jasmin,
dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search.
Pour
en savoir plus sur Rep et ses dessins toujours si instructifs sur l'histoire argentine, ses réalités et ses clichés battus en brèche, cliquez sur son nom dans le même bloc Pour
chercher.
(1)
Vu la connaissance très fine de la
vie de San Martín que révèle cette case, je
soupçonne fort que Rep fasse là une allusion subtile
aux graves difficultés financières qui assaillirent le
général pendant les six premières années
de son exil en Europe, notamment à Bruxelles.
(2)
Rassurez-vous, même en Espagne, on connaît mal. Et
parfois en Argentine, on est surpris de constater que certains
épisodes sont inconnus, que les gens ne savent pas bien situer
ni dans le temps ni dans l'espace les grandes batailles que furent
Chacabuco et Maipú, qui baptisent pourtant un nombre
considérable de rues et même de villes en Argentine.
L'affaire de Londres est elle aussi loin d'être claire pour
tout le monde, non pas tant à cause des inventions
d'historiens mal intentionnés que parce que la plupart des
Argentins ignorent que San Martín a séjourné à
Londres à deux époques distinctes de sa vie (en 1811 et
en 1824) et il en va de même pour son séjour à
Bruxelles qui dura pourtant de 1825 à 1831. Dans une
biographie de Sarmiento en BD, signée de l'historien Felipe Pigna, j'ai même
vu San Martín installé à Boulogne-sur-Mer dès
1843 (alors qu'il n'y a pas mis un seul pied avant mars 1848)... Ce
qui ne fait que rendre encore plus admirable le dessin très
habile de Rep !