mardi 30 octobre 2012

Toute la vie de San Martín en une seule case ! Un exploit de Rep- Article n° 2800 [Disques & Livres]


Ce n'était pas facile à faire et il l'a fait...

En piquant l'idée à un tableau ultra-kitch où l'on voit le vieux soldat, tel que nous l'a montré un daguerrotype réalisé à Paris dans l'hiver 1848 (ci-contre), dans une pose méditative, plus ou moins reprise dans la case, avec, en arrière-fond, des images nébuleuses ou floues rappelant quelques combats et batailles mémorables, Miguel Rep, qui est peintre autant que dessinateur de presse (dans les colonnes de Página/12), a réussi à résumer, de manière incontestablement plus complète que l'original (et beaucoup plus drôle), la vie très intense de José de San Martín (1778-1850) que vous racontera mon prochain livre, à paraître le 4 décembre 2012, aux Editions du Jasmin (et en souscription d'ici là, voir mon article du 23 octobre à ce sujet).


Ainsi donc, voici la traduction du texte bulle à bulle (les explications en français, vous les trouverez dans le bouquin !
Merci à Rep de m'avoir offert un si somptueux support pour ma promotion et celle de mon éditeur.


Titre en rouge à gauche (sous la silhouette très reconnaissable du San Martín du Passage des Andes, avec son bicorne caractéristique) : le rêve du Libérateur
J'aimerais ouvrir une agence de voyage et offrir du tourisme-aventure aux Français
Une visite du circuit franc-maçon de Londres
Navigation sur l'Atlantique et le Pacifique
Vive Baylén by night !
Nous avons récréé [pour vous] l'aventure du clocher et du vieil arbre de San Lorenzo sur la rive du Paraná
Consultez-nous pour les modalités de paiement (1)
Une traversée épique de la Cordillère des Andes
Respirez l'air pur de Córdoba : idéal pour les asthmatiques de Boulogne-sur-Mer
Voyages Merceditas : maximes et conseils
Traversée unique en frégate pour observer les guerres intestines. Sans débarquer à Buenos Aires !
Week-end à Guayaquil : la route de l'échec n'a pas le même goût
Chili et Pérou : deux pays pour le prix d'un.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Vu comme ça, eu égard à l'ignorance qui est la nôtre en Europe francophone sur la vie de cet homme (2), je vous l'accorde, ce n'est pas très folichon. Mais quand vous refermerez San Martín, à rebours des conquistadors, revenez sur cet article et là, je vous promets le fou-rire de votre vie.

Ce qui tombe bien : San Martín avait lui-même beaucoup d'humour, ce que sa légende se garde bien de laisser jamais apparaître. A tel point que même les acteurs les plus conscients du fossé entre légende officielle et réalité historique jouent un personnage arrogant, autoritaire, éructant, insultant à tout bout de champ ses subordonnés, tel qu'il apparaît sous les traits de Rodrigo de La Serna dans Revolución, el cruce de los Andes, film magnifique pour ses paysages, ses reconstitutions historiques d'une armée multiraciale et ses cadrages mais très mitriste pour ce qui touche la construction psychologique des personnages (voir mon article sur le tournage, le 17 juillet 2009, lorsque le film ne portait pas encore son titre définitif, et la page du long-métrage sur le site de Canal Encuentro, la chaîne de télévision qui a assuré une bonne part de la production).

Ici, Rep jongle avec les polémiques et les stéréotypes qui abondent autour de la figure du Libertador.

Du côté des polémiques, en voici deux magnifiques :

- Les liens de San Martín avec la franc-maçonnerie. L'affaire est très complexe : d'un côté, il y a la droite catholique qui s'évertue à nier ce caractère franc-maçon de San Martín, avec des arguments aussi fragiles que ceux des uruguayennistes au sujet de la naissance de Carlos Gardel (voir mon dernier article sur cette question), de l'autre, il y a une découverte récente (1980), d'un document écossais lié aux réseaux maçonniques britanniques et qui aurait inspiré San Martín dans son parcours entre Buenos Aires, Mendoza, Santiago et Lima, mais cette source d'inspiration est très contestée. D'autres éléments tendraient à montrer que c'est avec son ami Tomás Guido qu'il conçut ce plan, pendant une célèbre convalescence à Córdoba en 1814.

- Des liens sulfureux et supposés avec Londres. Ici, on a une allusion à une querelle ignominieuse contre laquelle bataillent les historiens révisionnistes (entendez péronistes) du côté desquels Rep, de la rédaction de Página/12, se trouve. Cette querelle remonte à Bartolomé Mitre (1821-1906) qui laissa entendre en son temps, dans les années 1860, que San Martín avait inféodé son action politique aux intérêts de la Grande-Bretagne (il prêtait à San Martín une attitude qui était en fait la sienne et celles des hommes de droite de sa génération). Il y a quelques années, cette invraisemblable version a été remise au goût du jour par un pseudo-historien dans un livre, délibérément scandaleux, qui a déclenché une belle bagarre d'experts sans que les historiens aient pu faire éclater aux yeux de tous l'épouvantable supercherie d'une telle lecture de l'histoire. Cette faribole correspond en Argentine à ce qui existe en France autour de Jeanne d'Arc (liens de parenté supposés avec le Dauphin, le fait qu'elle était en réalité un homme, sa non-exécution en place publique à Rouen et toutes les fables du même acabit).

Du côté des images d'Epinal, on en a aussi deux belles dans ce dessin :

- Le clocher et l'arbre de San Lorenzo, la tarte à la crème de tous les livres scolaire, comme en France Saint-Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes, du temps où l'on apprenait encore la vie de Saint-Louis à l'école élémentaire (je suis assez vieille pour m'en souvenir).

- Les "maximes pour ma fille", Mercedes. Ces notes griffonnées pour lui seul sur une simple feuille de papier en 1825, quand la petite avait à peine neuf ans, sont souvent interprétées, à tort, comme une théorie sur l'éducation des filles (inutile de vous dire qu'il s'agit alors d'une théorie ultra-réactionnaire, qui n'était pas du tout dans l'esprit de San Martín mais bien dans celle de cette Argentine victorienne des années 1860-1910 qui l'a fait prisonnier du bronze des statues).

Et puis il y a une petite phrase que nous pouvons prendre pour une pique à notre égard mais qui, bien sûr, n'en est pas une. C'est l'allusion à Baylén (ou Bailén), la première défaite napoléonienne, infligée à l'armée d'occupation française en Espagne.
L'un des deux généraux vainqueurs, le marquis de Coupigny, avait San Martín lui-même pour aide-de-camp. Le soir même de ce 19 juillet et les jours qui suivirent, le jeune et brillant capitaine de trente ans eut droit, comme tous ses camarades de combat, à des réceptions sans nombre, des Te Deum à perdre souffle, une médaille, des cadeaux de toute sorte (il conserva par devers lui un petit chapelet offert par une religieuse). Les vainqueurs furent longuement acclamés par la population qui, en juillet 1808, était encore très massivement anti-française. Mais épuisé par son travail harassant d'instruction intensive des très nombreux volontaires qui s'étaient enrôlés dans l'armée patriote dès le début du mois de mai, San Martín ne profita pas longtemps des festivités : il se retrouva vite cloué au lit par sa première crise d'asthme, particulièrement spectaculaire, et ne put revenir au service actif, en opération, qu'au début de l'année 1809.

Quand ce dessin est paru sur la page d'accueil de Página/12, le 18 août dernier, j'étais à Buenos Aires où je me bagarrais avec mon agenda et les disponibilités de mes interlocuteurs pour enchaîner tous mes rendez-vous avec les musées que j'ai finalement pu mettre au programme de Buenos Aires, roman national argentin et culture populaire, auquel je mettais alors la dernière main avec l'agence Intermèdes, par mail interposé et en jonglant avec le décalage horaire.
C'était un samedi, lendemain de la date officielle du Día de San Martín, le 17 août, anniversaire de sa mort à Boulogne-sur-Mer en 1850, une fête patriotique qui, depuis quelques années, est célébrée le lundi suivant (jour férié) pour que le long week-end d'hiver favorise un peu le tourisme intérieur.

Pour en savoir plus sur José de San Martín, cliquez sur son nom dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus.
Ecoutez mon interview en français, donnée en août 2012 à Magdalena Arnoux au micro de RAE (Radio Nacional)
Ecoutez mon interview en espagnol, donnée le même jour à Leonardo Liberman à ce même micro
Pour en savoir plus sur la biographie qui sort tout prochainement aux Editions du Jasmin, cliquez sur le mot-clé SnM bio Jasmin, dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search.
Pour en savoir plus sur Rep et ses dessins toujours si instructifs sur l'histoire argentine, ses réalités et ses clichés battus en brèche, cliquez sur son nom dans le même bloc Pour chercher.


(1) Vu la connaissance très fine de la vie de San Martín que révèle cette case, je soupçonne fort que Rep fasse là une allusion subtile aux graves difficultés financières qui assaillirent le général pendant les six premières années de son exil en Europe, notamment à Bruxelles.
(2) Rassurez-vous, même en Espagne, on connaît mal. Et parfois en Argentine, on est surpris de constater que certains épisodes sont inconnus, que les gens ne savent pas bien situer ni dans le temps ni dans l'espace les grandes batailles que furent Chacabuco et Maipú, qui baptisent pourtant un nombre considérable de rues et même de villes en Argentine. L'affaire de Londres est elle aussi loin d'être claire pour tout le monde, non pas tant à cause des inventions d'historiens mal intentionnés que parce que la plupart des Argentins ignorent que San Martín a séjourné à Londres à deux époques distinctes de sa vie (en 1811 et en 1824) et il en va de même pour son séjour à Bruxelles qui dura pourtant de 1825 à 1831. Dans une biographie de Sarmiento en BD, signée de l'historien Felipe Pigna, j'ai même vu San Martín installé à Boulogne-sur-Mer dès 1843 (alors qu'il n'y a pas mis un seul pied avant mars 1848)... Ce qui ne fait que rendre encore plus admirable le dessin très habile de Rep !