
Par
métonymie, le mate désigne ensuite la boisson qu'il
contient. En l'occurrence, une boisson chaude, amère et
tannique (ça tâche comme du gros rouge, mais en vert)
qui se boit à toute heure du jour et même de la nuit. On
la confectionne avec de la yerba mate, la feuille séchée,
fermentée puis hachée d'un houx particulier, dont
les jésuites au 17ème siècle ont
développé la culture dans leurs missions, vaste
territoire concédé par le roi d'Espagne où ces
prêtres accueillaient les Indiens et les organisaient en
villages industrieux où ils vivaient en hommes libres, alors
que partout ailleurs, sous l'administration coloniale espagnole, ils
étaient asservis et soumis à des corvées et des
impôts dans la plus pure tradition féodale de la haute
époque médiévale. Et de fait aujourd'hui, les
zones de production de la yerba mate correspondent exactement aux
territoires des anciennes Missions : le nord de l'Uruguay et de
l'Argentine, le Paraguay et le sud de la Bolivie. La culture s'est
aussi implantée dans le sud du Brésil. Actuellement en
Argentine, une pénurie artificielle de yerba mate semble être
organisée, peut-être par certains grands groupes qui
collectent les récoltes auprès des producteurs, les broient et les conditionnent puis les distribuent. Les prix grimpent d'une
manière vertigineuse et le choix de saveurs et de qualités
se raréfie (en août, j'ai été frappée
par ce phénomène dans les supermarchés,
en particulier dans ceux de l'enseigne Coto d'ordinaire si bien
approvisionnée). Peut-être une stratégie pour
fomenter quelque mécontentement populaire contre le
gouvernement national qui cherche à réglementer le
marché des produits alimentaires. Or les grands exploitants
argentins sont partisans du libéralisme sauvage, ils détestent
qu'on leur impose la moindre restriction ou la moindre mesure pour
favoriser un marché plutôt qu'un autre, même s'il
s'agit du marché intérieur et de l'auto-suffisance
alimentaire du pays (sur ce conflit entre le gouvernement et les
grands groupes, qui s'est traduit par des mesures contre le groupe
Las Marías, voir mon article du 11 mai 2012).
La
yerba mate se vend en paquets comme le
café, conditionnée par livre (c'est le plus fréquent).
On trouve aussi des paquets d'un kilo, en général de la
yerba nature, et, mais c'est vraiment plus rare, en sachets de 250 gr.
Une
fois en possession de votre yerba mate, dont les prix évoluent
actuellement autour de 13 - 17 $ la livre en supermarché à
Buenos Aires, versez-la délicatement (pour éviter les
nuages de poussière) dans le mate jusqu'à le
remplir au trois-quarts de sa contenance. Retournez-le ensuite sur votre main bien fermée pour en faire tomber les
micro-particules qui se déposeront en une poussière
verdâtre sur votre paume. Il faut en débarrasser le mate
pour que les premières gorgées ne vous paraissent pas
sablonneuses en bouche...
La
yerba mate se présente en deux catégories principales :
avec ou sans palo (la petite tige de la feuille, qui donne un goût
particulier au breuvage). Elle se décline ensuite en une
multitude de sous-sortes. Une yerba peut être parfumée
(aux écorces d'agrume, avec d'autres herbes comme la menthe,
le fenouil, la réglisse, etc, au café comme à
Córdoba, au miel, aux édulcorants ou aux arômes
artificiels de fraise, de pamplemousse, de pomme qui ciblent plutôt
les enfants). Une yerba peut avoir été séchée
à l'ancienne, dans un four à bois, ce qui lui donne un
léger goût fumé (barbacoa), qui se marie bien
avec l'anis étoilé. On trouve aussi dans les
supermarchés de la yerba biologique (plus chère que les
autres, naturellement).
Petite
recette personnelle maintenant : prendre une yerba nature, de type de
campo ou de monte (marque La Merced), et y ajouter, dans le mate, une
petite julienne de gingembre confit. Le parfum à peine
piquant du gingembre et la toute petite touche de sucre ajoute un je
ne sais quoi dans ce qui reste un mate amargo (mate nature).
Deuxième
ustensile du mate : la bouilloire (les Argentins utilisent toujours
la vieille bouilloire à bec, qu'on appelle là-bas la
pava et que l'on chauffe sur le gaz, presque jamais nos bouilloires
électriques sécurisées, que l'on trouve pourtant
dans certaines grandes surfaces) ou/et le thermos (très
apprécié des Uruguayens en toutes circonstances et
surtout quand ils sont en voyage pour les Argentins). Car l'autre
ingrédient du mate, c'est l'eau chaude, portée à
70 ou 80° C et non pas bouillie, pour ne pas brûler la
yerba, ce qui en épuiserait toute la saveur dès la
première eau (dans ce cas, les Argentins disent que l'on
"rince"
la yerba). Les Sud-Américains qui veulent adoucir le breuvage
sucrent l'eau (saccharose ou édulcorant) ou puisent du miel
avec la bombilla avant de la mettre dans le mate.
Car
le dernier ustensile indispensable, c'est la bombilla (prononcer "bombija" en prononçant toutes les lettres). C'est une sorte de
pipette percée de nombreux tout petits orifices en son
extrémité, en général en métal et
parfois en roseau, en bambou ou en canne (caña). Elle est munie d'un bec droit ou plus souvent légèrement coudé, qui permet de diriger le liquide vers la gorge et non vers le palais, qui est brûlé à tout coup aux premières gorgées. La bombilla sert à boire par
aspiration en filtrant le liquide à travers la yerba et les orifices de son extrémité.
Comment
procéder ?
Mouiller
à moitié la yerba avec un peu d'eau chaude pour
l'humidifier et la laisser gonfler, enfoncer la bombilla dans la
yerba humide, laisser reposer une petite minute puis verser la
première eau (cebar el mate). Si le mate est mousseux, c'est signe qu'il a été bien arrosé (cebar). La mousse est produite par les protéines de la yerba mate. Elle disparaît progressivement au fur et à mesure que le mate est bu et ré-arrosé. On boit ainsi à tour de
rôle à la même bombilla, sans la bouger (ce n'est
pas une touillette) et le maté passe des mains de celui qui
invite (él que ceba el mate) et chacun des participants. Bien
entendu, les gens enrhumés évitent de participer à
une rueda de mate... Je ne sais ce qui nous surprend le plus, nous
les Européens, du rite qui consiste à boire en
utilisant les mêmes ustensiles (comme on le faisait au
Moyen-Age) ou du goût du breuvage, prononcé et étrange
à nos papilles... Le mate, c'est comme le tango. Si vous
n'aimez pas au deuxième ou au troisième mate, en
général vous n'aimerez jamais. Mais si dans ces deux ou
trois premières expériences vous appréciez,
alors vous êtes cuit, vous aimez pour la vie (comme avec le
café ou le thé, soit dit en passant).
Les vœux du Museo del Mate aux mères argentines, dont c'est la fête, demain, dimanche 21 octobre
Le
mate se marie particulièrement bien avec la cremona dont je
vous ai donné la recette il y a quelques jours (cliquez sur le
lien pour accéder à l'article).
En
Argentine, le mate est une tradition si importante qu'il dispose de
son propre musée, avec bar de dégustation, dans la
ville de Tigre, dans la banlieue chic et bucolique du nord-ouest de
Buenos Aires. Les illustrations de cet article sont extraites de son site Internet.
Le
mate (1) peut s'acheter en Europe. Ce n'est pas très facile à
trouver mais ça existe. Depuis quelque temps, une boutique en
ligne s'est ouverte en France qui expédie ses produits
importés d'Argentine depuis l'Alsace, à des prix très
raisonnables. Vous y trouverez l'un des choix les plus larges du
marché francophone en ce qui concerne la yerba, une grande
variété de mates et de bombillas, en différents
métaux et en bambou.
Yerba-mate
propose aussi des vins argentins, du dulce de leche, des alfajores
(petits gâteaux fourrés au dulce de leche) et des
infusions. Un site que je vous recommande (je ne fais pas ça
tous les jours mais ce n'est pas tous les jours la Semaine du Goût).
Pour
aller plus loin :
Visiter
le site Internet de Yerba Mate (que je mets en lien permanent dans la
rubrique Les commerçants du Barrio de Tango, dans la partie
inférieure de la Colonne de droite).
Visiter
le site Internet du Museo del Mate à Tigre (Gran Buenos Aires)
(1)
Entre autres qualités organoleptiques, le mate est un excitant
léger (comme le thé et pour la même raison : il
contient une molécule proche de la théïne, la
matéïne), un léger coupe-faim et il a des effets
drainants qui font de la yerba mate un ingrédient entrant dans
beaucoup d'infusions de régime vendues en rayon diététique
de nos supermarchés et en parapharmacie.