samedi 20 octobre 2012

Semaine du Goût : pour aller avec la cremona, le mate [Coutumes]


Quand on parle de mate en Argentine, on désigne d'abord un récipient dans lequel on prépare une boisson. Un récipient qui peut prendre de nombreuses formes et tailles et être constitué de matières diverses et variées. Une simple calebasse évidée et séchée, avec ou sans renfort métallique, constitue le mate le plus commun. Parfois cette calebasse est décorée d'un motif peint sur sa panse ou d'une bande de tissu collé verticalement ou horizontalement et qui permet de ne pas se brûler les doigts lorsque l'eau est vraiment très chaude. Un mate peut être creusé dans différents bois, les plus courants étant faits d'un bois rouge feu appelé algarrobo (une sorte de caroubier), qui a le mérite d'être quasiment imputrescible. Le mate peut être en bambou ou en canne (attention : l'eau chaude ou l'eau tout court peut les faire claquer et votre joli gobelet se coupe en deux en une seconde). Il peut être en cuir, en métal, en verre, en corne, en céramique, voire en porcelaine. Les plus impressionnants sont taillés dans des pieds de vache.

Par métonymie, le mate désigne ensuite la boisson qu'il contient. En l'occurrence, une boisson chaude, amère et tannique (ça tâche comme du gros rouge, mais en vert) qui se boit à toute heure du jour et même de la nuit. On la confectionne avec de la yerba mate, la feuille séchée, fermentée puis hachée d'un houx particulier, dont les jésuites au 17ème siècle ont développé la culture dans leurs missions, vaste territoire concédé par le roi d'Espagne où ces prêtres accueillaient les Indiens et les organisaient en villages industrieux où ils vivaient en hommes libres, alors que partout ailleurs, sous l'administration coloniale espagnole, ils étaient asservis et soumis à des corvées et des impôts dans la plus pure tradition féodale de la haute époque médiévale. Et de fait aujourd'hui, les zones de production de la yerba mate correspondent exactement aux territoires des anciennes Missions : le nord de l'Uruguay et de l'Argentine, le Paraguay et le sud de la Bolivie. La culture s'est aussi implantée dans le sud du Brésil. Actuellement en Argentine, une pénurie artificielle de yerba mate semble être organisée, peut-être par certains grands groupes qui collectent les récoltes auprès des producteurs, les broient et les conditionnent puis les distribuent. Les prix grimpent d'une manière vertigineuse et le choix de saveurs et de qualités se raréfie (en août, j'ai été frappée par ce phénomène dans les supermarchés, en particulier dans ceux de l'enseigne Coto d'ordinaire si bien approvisionnée). Peut-être une stratégie pour fomenter quelque mécontentement populaire contre le gouvernement national qui cherche à réglementer le marché des produits alimentaires. Or les grands exploitants argentins sont partisans du libéralisme sauvage, ils détestent qu'on leur impose la moindre restriction ou la moindre mesure pour favoriser un marché plutôt qu'un autre, même s'il s'agit du marché intérieur et de l'auto-suffisance alimentaire du pays (sur ce conflit entre le gouvernement et les grands groupes, qui s'est traduit par des mesures contre le groupe Las Marías, voir mon article du 11 mai 2012).
La yerba mate se vend en paquets comme le café, conditionnée par livre (c'est le plus fréquent). On trouve aussi des paquets d'un kilo, en général de la yerba nature, et, mais c'est vraiment plus rare, en sachets de 250 gr.

Une fois en possession de votre yerba mate, dont les prix évoluent actuellement autour de 13 - 17 $ la livre en supermarché à Buenos Aires, versez-la délicatement (pour éviter les nuages de poussière) dans le mate jusqu'à le remplir au trois-quarts de sa contenance. Retournez-le ensuite sur votre main bien fermée pour en faire tomber les micro-particules qui se déposeront en une poussière verdâtre sur votre paume. Il faut en débarrasser le mate pour que les premières gorgées ne vous paraissent pas sablonneuses en bouche...

La yerba mate se présente en deux catégories principales : avec ou sans palo (la petite tige de la feuille, qui donne un goût particulier au breuvage). Elle se décline ensuite en une multitude de sous-sortes. Une yerba peut être parfumée (aux écorces d'agrume, avec d'autres herbes comme la menthe, le fenouil, la réglisse, etc, au café comme à Córdoba, au miel, aux édulcorants ou aux arômes artificiels de fraise, de pamplemousse, de pomme qui ciblent plutôt les enfants). Une yerba peut avoir été séchée à l'ancienne, dans un four à bois, ce qui lui donne un léger goût fumé (barbacoa), qui se marie bien avec l'anis étoilé. On trouve aussi dans les supermarchés de la yerba biologique (plus chère que les autres, naturellement).

Petite recette personnelle maintenant : prendre une yerba nature, de type de campo ou de monte (marque La Merced), et y ajouter, dans le mate, une petite julienne de gingembre confit. Le parfum à peine piquant du gingembre et la toute petite touche de sucre ajoute un je ne sais quoi dans ce qui reste un mate amargo (mate nature).

Deuxième ustensile du mate : la bouilloire (les Argentins utilisent toujours la vieille bouilloire à bec, qu'on appelle là-bas la pava et que l'on chauffe sur le gaz, presque jamais nos bouilloires électriques sécurisées, que l'on trouve pourtant dans certaines grandes surfaces) ou/et le thermos (très apprécié des Uruguayens en toutes circonstances et surtout quand ils sont en voyage pour les Argentins). Car l'autre ingrédient du mate, c'est l'eau chaude, portée à 70 ou 80° C et non pas bouillie, pour ne pas brûler la yerba, ce qui en épuiserait toute la saveur dès la première eau (dans ce cas, les Argentins disent que l'on "rince" la yerba). Les Sud-Américains qui veulent adoucir le breuvage sucrent l'eau (saccharose ou édulcorant) ou puisent du miel avec la bombilla avant de la mettre dans le mate.

Car le dernier ustensile indispensable, c'est la bombilla (prononcer "bombija" en prononçant toutes les lettres). C'est une sorte de pipette percée de nombreux tout petits orifices en son extrémité, en général en métal et parfois en roseau, en bambou ou en canne (caña). Elle est munie d'un bec droit ou plus souvent  légèrement coudé, qui permet de diriger le liquide vers la gorge et non vers le palais, qui est brûlé à tout coup aux premières gorgées. La bombilla sert à boire par aspiration en filtrant le liquide à travers la yerba et les orifices de son extrémité.

Comment procéder ?
Mouiller à moitié la yerba avec un peu d'eau chaude pour l'humidifier et la laisser gonfler, enfoncer la bombilla dans la yerba humide, laisser reposer une petite minute puis verser la première eau (cebar el mate). Si le mate est mousseux, c'est signe qu'il a été bien arrosé (cebar). La mousse est produite par les protéines de la yerba mate. Elle disparaît progressivement au fur et à mesure que le mate est bu et ré-arrosé. On boit ainsi à tour de rôle à la même bombilla, sans la bouger (ce n'est pas une touillette) et le maté passe des mains de celui qui invite (él que ceba el mate) et chacun des participants. Bien entendu, les gens enrhumés évitent de participer à une rueda de mate... Je ne sais ce qui nous surprend le plus, nous les Européens, du rite qui consiste à boire en utilisant les mêmes ustensiles (comme on le faisait au Moyen-Age) ou du goût du breuvage, prononcé et étrange à nos papilles... Le mate, c'est comme le tango. Si vous n'aimez pas au deuxième ou au troisième mate, en général vous n'aimerez jamais. Mais si dans ces deux ou trois premières expériences vous appréciez, alors vous êtes cuit, vous aimez pour la vie (comme avec le café ou le thé, soit dit en passant).

Les vœux du Museo del Mate aux mères argentines, dont c'est la fête, demain, dimanche 21 octobre

Le mate se marie particulièrement bien avec la cremona dont je vous ai donné la recette il y a quelques jours (cliquez sur le lien pour accéder à l'article).

En Argentine, le mate est une tradition si importante qu'il dispose de son propre musée, avec bar de dégustation, dans la ville de Tigre, dans la banlieue chic et bucolique du nord-ouest de Buenos Aires. Les illustrations de cet article sont extraites de son site Internet.

Le mate (1) peut s'acheter en Europe. Ce n'est pas très facile à trouver mais ça existe. Depuis quelque temps, une boutique en ligne s'est ouverte en France qui expédie ses produits importés d'Argentine depuis l'Alsace, à des prix très raisonnables. Vous y trouverez l'un des choix les plus larges du marché francophone en ce qui concerne la yerba, une grande variété de mates et de bombillas, en différents métaux et en bambou.
Yerba-mate propose aussi des vins argentins, du dulce de leche, des alfajores (petits gâteaux fourrés au dulce de leche) et des infusions. Un site que je vous recommande (je ne fais pas ça tous les jours mais ce n'est pas tous les jours la Semaine du Goût).

Pour aller plus loin :
Visiter le site Internet de Yerba Mate (que je mets en lien permanent dans la rubrique Les commerçants du Barrio de Tango, dans la partie inférieure de la Colonne de droite).
Visiter le site Internet du Museo del Mate à Tigre (Gran Buenos Aires)

(1) Entre autres qualités organoleptiques, le mate est un excitant léger (comme le thé et pour la même raison : il contient une molécule proche de la théïne, la matéïne), un léger coupe-faim et il a des effets drainants qui font de la yerba mate un ingrédient entrant dans beaucoup d'infusions de régime vendues en rayon diététique de nos supermarchés et en parapharmacie.