vendredi 19 octobre 2012

L'ONJ nous sert du "Piazzolla !" [ici]


Ce sera le nouveau spectacle et le prochain disque (le troisième) de l'Orchestre National de Jazz, ici, en France. Un répertoire de Astor Piazzolla, revu et corrigé par des musiciens européens, avec des arrangements du Nord-Américain Gil Goldstein, qui a travaillé avec tout ce que le jazz des Etats-Unis compte de grandes pointures (et zéro pointé de musiciens de tango).

Comme souvent avec les Européens, qui étudient le compositeur argentin comme ils étudient Mozart, Chopin, Richard Strauss ou Stravinsky, c'est un Piazzolla déraciné, détaché de son contexte tanguero argentin, vaguement exotique (ah, le bandonéon !) qu'annonce le service de presse de la formation française sur son site Internet (mais Piazzolla y survivra).
Certes, on y mentionne bien Carlos Gardel (qui est loin d'avoir été le musicien le plus influent sur Piazzolla) et Alberto Ginastera (un compositeur classique auprès duquel il prit quelques leçons après son retour en Argentine en 1955), mais ils ne nous sont présentés que comme des "ombres" qui "se mêlent à l'univers" de Piazzolla (1). Pas un mot sur les grands musiciens de tango qui l'influencèrent puissamment et qui s'appellent Pedro Maffia, Pedro Laurenz, Osvaldo Pugliese, Aníbal Troilo, Julio De Caro, Elviro Vardaro ou Orlando Goñi... Pas un mot non plus sur Horacio Ferrer, le poète dont les œuvres (Balada para un loco notamment) (2) sont pourtant présentes dans le nouveau disque et dont la collaboration, dans les années 70, a été si importante pour l'évolution de l'esthétique du Maestro.
Bref du Piazzolla sans doute détanguisé et étatsunifié (3) par un orchestre français de grand talent (4), sous la direction musicale de Daniel Yvinec.

On nous annonce un "portrait audacieux" (5) de Piazzolla et un "voyage détonnant et fascinant".


Logo de l'ONJ (extrait de son site Internet)

L'Orchestre National de Jazz présentera ce nouveau répertoire à Paris, au théâtre de la Gaité Lyrique, 3 bis rue Papin, dans le 3ème arrondissement, la semaine prochaine, les 24 et 25 octobre 2012, à 20h.
Réservations au guichet du théâtre ou en ligne, sur son site Internet.

Prix des places : 20 € en plein tarif (16 € pour les adhérents).

Pour aller plus loin :
visiter le site Internet de la Gaité Lyrique (qui reprend mot à mot le texte de présentation du site de l'ONJ)
écouter la musique de Piazzolla, par Piazzolla, sur Todo Tango, l'encyclopédie tanguera en ligne de Buenos Aires.
La fille de Piazzolla, décédée il y a deux ans, avait écrit et publié sur son père une biographie très aimante et rudement bien informée, aux Editions Corregidor à Buenos Aires. Le livre a été traduit en français : Astor, Diana Piazzolla, traduction Françoise Thanas, édtions Atlantica, 2002.


(1) Typiquement une de ces formules toute faites qui s'appliquent à peu près tout et n'importe quoi. La langue de bois insidieuse des communicants sachant communiquer envahit peu à peu le secteur de la culture, les théâtres, les festivals, les orchestres, les maisons d'édition, bientôt les musées eux-mêmes, à l'imitation des entreprises à but lucratif. Quelle misère que cette standardisation qui gagne des territoires dont on pourrait espérer qu'ils se défendent bec et ongles pour y échapper et préserver leur originalité et leur authenticité.
(2) J'ai traduit Balada para un loco dans Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, ed. du Jasmin, mai 2010, p 316
(3) Et pourtant, en soi, l'étatsunification de Piazzolla, ça peut se tenir car Piazzolla, qui avait passé une bonne partie de son enfance à New York, a été profondément marqué par l'esthétique de cette ville en tout domaine, y compris bien sûr en musique. Mais justement il n'est devenu lui-même que lorsqu'il a réussi à dépasser sa fascination pour la musique new-yorkaise et est parvenu, percé à nu par le professeur de composition Nadia Boulanger, à Paris, à assumer et se réapproprier son héritage argentin. Ce serait donc un contresens de le ramener de cette manière-là à New York, en tournant le dos à Buenos Aires ! Or c'est ce que la présentation écrite laisse entendre. Il me reste un doute, car ces textes pourraient n'être pas fidèles à la démarche artistique de Daniel Yvinec. Mais en ce cas, pourquoi laisse-t-il ce service de communication lui attribuer une attitude aussi ordinaire et banale ?
(4) Le talent de cette formation ne souffre aucune contestation. Ce qui m'agace profondément dans ce type d'affaire, c'est l'ignorance de la musique argentine (et en général de toute la culture de ce pays et de ce continent) que cultivent, avec une bonne conscience confondante, tant de musiciens européens et qu'ils dissimulent ensuite, toujours dans une parfaite bonne foi, sous des flots de faux sens et de contresens avec lesquels ils se bâtissent des théories fantaisistes qui séduisent un public aussi ignorant qu'eux au lieu de lui ouvrir des horizons nouveaux et aussi authentiques que la plus authentique tradition du jazz nord-américain, bien mieux connue, elle, en revanche. Et pourtant, c'est si simple d'aller sur place, à Buenos Aires, à Mar del Plata, pour étudier sérieusement ce qu'il faut étudier, en se mettant en cheville avec Fernando Suárez Paz, pour citer un nom comme au hasard, pour la composante tango de l'œuvre piazzollienne et avec Daniel Pipi Piazzolla, le petit-fils, pour citer un autre nom tout autant au hasard, pour le jazz aujourd'hui en Argentine, étant bien certain que le seul ancrage de cet orchestre dans sa propre tradition jazz et la solide formation de ses musiciens pour lesquels les différentes écoles du genre n'ont plus de secret auraient suffi à donner au répertoire choisi cette couleur jazzy qui circule bien réellement dans la musique de Piazzolla, comme y circulent aussi les influences de la musique classique et de la comédie musicale de Broadway. Partir travailler à Buenos Aires aurait coûté nettement moins cher que le voyage à New-York, le résultat serait vraiment sorti des sentiers battus et les musiciens auraient fait une expérience musicale tout aussi féconde que celle de New York mais autrement plus originale et inattendue.
(5) Audacieux, il faut y croire !