mardi 16 octobre 2012

Quarante ans plus tard, la justice est passée [Actu]



Il y a quarante ans, c'est-à-dire avant l'instauration de la dernière dictature militaire, lorsque l'Argentine sombrait dans un chaos entretenu par la CIA, qui gouvernait le pays en sous-main depuis la chute de Juan Perón en septembre 1955, des prisonniers politiques furent fusillés après une mutinerie dans une prison patagonienne, dans la ville de Trelew. Ce qui est passé dans l'histoire comme la masacre de Trelew. Le 22 août 1972, seize personnes furent fusillées sans jugement sous prétexte de tentatives d'évasion.

Depuis plusieurs mois, les cinq responsables de ces fusillades étaient jugés dans le sud du pays. Le verdict vient d'être prononcé. Trois des accusés ont été condamnés à la prison perpétuelle (cadena perpetua). Deux d'entre eux ont été acquittés (absueltos). Pour entendre le verdict, les 5 militaires de la Marine à la retraite ont tourné le dos au public, en signe de mépris. La plupart du temps, ces hommes âgés qui sont poursuivis pour des violences d'Etat très anciens refusent de reconnaître la légitimité des institutions de l'actuelle démocratie et du peuple souverain au nom duquel ils sont mis en jugement...

Les familles des victimes ont applaudi à l'énoncé des condamnations et annoncé qu'elles partaient en appel sur les deux acquittements (ce qui est impossible en droit français).

C'est la première fois que des faits de terrorisme d'Etat antérieurs à la Dictature de 1976-1983 font l'objet d'une condamnation judiciaire. Pour les militants des droits de l'homme en Argentine, le massacre de Trelew fut comme la répétition générale par les forces armées du type de répression qu'elles allaient exercer une fois au pouvoir après le putsch de mars 1976.

Sur la une de Página/12 que j'ai choisie pour illustrer cet article, on voit presque la moitié de la page occupée par l'affaire de la frégate Libertad, dont je vous racontais hier (1) qu'elle a été saisie par la justice ghanéenne au nom d'un fond financier, qui a des créances privées sur la République Argentine.
Cette frégate, que le port de Boulogne-sur-Mer connaît bien et qui a même donné son nom à un café de la Basse Ville, est un navire-école de la marine nationale argentine. Sa saisie judiciaire est un affront considérable pour l'Etat argentin, en plus d'être une catastrophe économique, militaire et patrimoniale. Mais les conséquences internes n'ont pas tardé à se faire jour : le premier officier d'Etat-Major de la Marine vient d'être limogé. Il semble qu'il ait donné lui-même son accord à cette escale technique au Ghana alors que les pouvoirs publics avaient eu vent de la procédure judiciaire visant les biens nationaux qui se trouveraient à portée de saisie de ce pays africain. Et il est très probable que c'est bien au plus niveau de la hiérarchie de la Marine que le capitaine a dû demander l'autorisation car l'Argentine est parfaitement consciente du danger que courent les biens nationaux qui s'aventurent en dehors du pays (ce pourquoi les œuvres d'art ne sortent pas, c'est la raison pour laquelle il faut aller les voir sur place, dans leurs musées respectifs).
Depuis 15 jours, une série d'incidents graves et spectaculaires ont révélé publiquement un manque de compétence ou, à tout le moins, d'autorité au plus haut niveau hiérarchique dans cette arme puisqu'il y a une dizaine de jours, les Portègnes ont tremblé et cru revivre les heures les plus sinistres de leur récente histoire en voyant une importante partie du personnel militaire de la Préfecture marine se mutiner pour de simples inquiétudes sur le montant de leur solde d'octobre, inquiétudes (sans fondement semble-t-il) qui auraient dû trouver à s'exprimer dans un dialogue constructif et permanent entre la hiérarchie et les hommes du rang. Or la Marine a toujours été aux avant-postes dans les putschs et les dictatures militaires du 20ème siècle...

Pour aller plus loin :
lire l'article de La Nación, qui n'a pas jugé bon de le mettre sur la page d'accueil de son site Internet, préférant et de loin exploiter l'incident du Libertad pour tirer à boulets rouges sur le gouvernement en place.


(1) dans une note de mon article sur le programme des jours 8 et 9 du voyage culturel à Buenos Aires que je vous propose en partenariat avec Intermèdes en mai (date limite d'inscription : le 31 octobre 2012). Pour lire cet article, cliquez sur ce lien.