Il y
a quarante ans, c'est-à-dire avant l'instauration de la
dernière dictature militaire, lorsque l'Argentine sombrait
dans un chaos entretenu par la CIA, qui gouvernait le pays en
sous-main depuis la chute de Juan Perón en septembre 1955, des
prisonniers politiques furent fusillés après une
mutinerie dans une prison patagonienne, dans la ville de Trelew. Ce
qui est passé dans l'histoire comme la masacre de Trelew. Le
22 août 1972, seize personnes furent fusillées sans
jugement sous prétexte de tentatives d'évasion.
Depuis
plusieurs mois, les cinq responsables de ces fusillades étaient
jugés dans le sud du pays. Le verdict vient d'être
prononcé. Trois des accusés ont été
condamnés à la prison perpétuelle (cadena
perpetua). Deux d'entre eux ont été acquittés
(absueltos). Pour entendre le verdict, les 5 militaires de la Marine à la
retraite ont tourné le dos au public, en signe de mépris. La plupart du temps, ces hommes âgés qui sont poursuivis pour des violences d'Etat très anciens refusent de
reconnaître la légitimité des institutions de
l'actuelle démocratie et du peuple souverain au nom duquel ils
sont mis en jugement...
Les
familles des victimes ont applaudi à l'énoncé
des condamnations et annoncé qu'elles partaient en appel sur
les deux acquittements (ce qui est impossible en droit français).
C'est
la première fois que des faits de terrorisme d'Etat antérieurs
à la Dictature de 1976-1983 font l'objet d'une condamnation
judiciaire. Pour les militants des droits de l'homme en Argentine, le
massacre de Trelew fut comme la répétition générale
par les forces armées du type de répression qu'elles allaient
exercer une fois au pouvoir après le putsch de mars 1976.
Sur
la une de Página/12 que j'ai choisie pour illustrer cet
article, on voit presque la moitié de la page occupée
par l'affaire de la frégate Libertad, dont je vous racontais
hier (1) qu'elle a été saisie par la justice ghanéenne au nom d'un fond financier, qui a des créances privées sur la
République Argentine.
Cette frégate, que le port de
Boulogne-sur-Mer connaît bien et qui a même donné
son nom à un café de la Basse Ville, est un
navire-école de la marine nationale argentine. Sa saisie judiciaire est un
affront considérable pour l'Etat argentin, en plus d'être
une catastrophe économique, militaire et patrimoniale. Mais les conséquences
internes n'ont pas tardé à se faire jour : le premier officier d'Etat-Major de
la Marine vient d'être limogé. Il semble qu'il ait donné
lui-même son accord à cette escale technique au Ghana alors que les pouvoirs publics avaient eu vent de la
procédure judiciaire visant les biens nationaux qui se
trouveraient à portée de saisie de ce pays africain.
Et il est très probable que c'est bien au plus niveau de la hiérarchie de la Marine que le capitaine a dû demander l'autorisation car l'Argentine est parfaitement
consciente du danger que courent les biens nationaux qui s'aventurent
en dehors du pays (ce pourquoi les œuvres
d'art ne sortent pas, c'est la raison pour laquelle il faut aller les voir sur
place, dans leurs musées respectifs).
Depuis
15 jours, une série d'incidents graves et spectaculaires ont
révélé publiquement un manque de compétence
ou, à tout le moins, d'autorité au plus haut niveau
hiérarchique dans cette arme puisqu'il y a une dizaine de
jours, les Portègnes ont tremblé et cru revivre les
heures les plus sinistres de leur récente histoire en voyant
une importante partie du personnel militaire de la Préfecture
marine se mutiner pour de simples inquiétudes sur le montant
de leur solde d'octobre, inquiétudes (sans fondement
semble-t-il) qui auraient dû trouver à s'exprimer dans
un dialogue constructif et permanent entre la hiérarchie et
les hommes du rang. Or la Marine a toujours été aux avant-postes dans les putschs et les dictatures militaires du 20ème siècle...
Pour
aller plus loin :
lire
l'article de Clarín
lire
l'article de La Nación, qui n'a pas jugé bon de le
mettre sur la page d'accueil de son site Internet, préférant
et de loin exploiter l'incident du Libertad pour tirer à
boulets rouges sur le gouvernement en place.
(1)
dans une note de mon article sur le programme des jours 8 et 9 du
voyage culturel à Buenos Aires que je vous propose en
partenariat avec Intermèdes en mai (date limite d'inscription
: le 31 octobre 2012). Pour lire cet article, cliquez sur ce lien.