Plaza Grand-Bourg, quartier de Palermo
Monumento al Abuelo Eterno (monument à l'éternel grand-père)
Troisième
de mes articles sur le programme du voyage que je vous propose, en
partenariat avec une agence de voyage (chacun son métier sur cette terre), à l'automne austral, notre printemps... Pour lire l'ensemble des articles, cliquez sur le mot-clé Viaje dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, ci-dessus.
Après
le dimanche de l'arrivée et le lundi (décrits lundi
dernier, voir mon article sous le lien), voici les mardi et mercredi
de la première semaine
Aujourd'hui, à tout seigneur, tout honneur !
La
journée sera consacrée au Prócer Máximo
(le plus grand héros) de l'histoire argentine, au Padre de la Patria : le général
José de San Martín (1778-1850) qui est présent partout dans la ville et dans tout le pays.
Rien
qu'à Buenos Aires, deux places, une avenue et une rue lui sont
consacrées, trois statues en pied, un buste, un théâtre, trois
institutions mémorielles (et même quatre à la
vérité, si l'on veut bien compter la tombe de sa femme
et celle de ses parents tout à côté...). Et dans
chacune des Provinces qui constituent la République
Argentine, il y a au moins une commune baptisée de son nom,
parfois un département tout entier, comme c'est le cas
notamment dans la Province de Buenos Aires, dans celle de Corrientes
où il est né, dans celle de Santa Fe où il a
remporté une victoire magistrale dont on a fait des chansons
patriotiques (la victoire de San Lorenzo), et dans la Province de
Mendoza qu'il a gouvernée de 1814 à 1816, y laissant un
souvenir inoubliable.
La
journée s'ouvrira donc sur ma première conférence du
voyage, dans une salle qui, en lieu et place de celle que l'hôtel
mettra à notre disposition (fort adaptée au demeurant),
pourrait bien être un endroit très particulier de Palermo
(top secret - je suis encore en train d'en discuter avec qui de
droit).
Au cours de cette première charla (conférence
en argentin, conversation en espagnol péninsulaire), je vous
présenterai donc un personnage singulier, officier brillant de
l'armée espagnole d'un côté et fils de la
Révolution française de l'autre, général
victorieux mais qui refusa de profiter de son prestige militaire pour
exercer le pouvoir politique auquel il alla jusqu'à renoncer à
la stupéfaction de ses contemporains, à l'inverse de ce
que firent ses pairs de la même époque charnière
entre Ancien Régime et Occident contemporain (George
Washington, Napoléon Bonaparte, Simón Bolívar...).
En
français, sur San Martín, les ouvrages manquent
cruellement et pourtant ce héros, qui vécut 20 ans en
France, a beaucoup à dire à notre temps. Il y a
toutefois quelques livres en anglais (et leur petit nombre est
largement compensé par leur qualité) et trop d'ouvrages
en espagnol d'Argentine, pleins de querelles spécieuses (1)
mais qui nous en apprennent long sur la postérité
politique de son action jusqu'à aujourd'hui dans un pays (et
un continent) où l'implantation des Droits de l'Homme est
encore et toujours un combat quotidien...
Après
cet exposé-débat qui suivra notre petit-déjeuner,
nous prendrons le chemin du quartier de Palermo pour visiter le Museo
del Regimiento de los Granaderos a Caballo, un régiment
d'élite que San Martín fonda en 1812, qui fut dissout
par son adversaire politique, Bernardino Rivadavia, en 1826, alors
que le général vivait à Bruxelles avec sa fille
unique qu'il avait mis en pension pour lui donner la meilleure
éducation possible (2), un régiment qui fut enfin
ré-institué comme symbole d'unité nationale et
escorte présidentielle en 1903, par un chef d'Etat très
contesté (et très contestable), le général
Argentino Justo Roca, grand massacreur d'Indiens (San Martín,
l'anti-raciste par excellence, a dû se retourner dans sa
tombe). Aujourd'hui, ce régiment, qui ne vient donc pas en
ligne directe de San Martín, n'en est pas moins l'un des
gardiens les plus fidèles de sa mémoire et l'honore,
aujourd'hui encore, comme son fondateur (3). Un accueil
impressionnant nous attend au pied du grand escalier de la caserne,
avec des soldats d'élite en tenue d'apparat (4).
Le petit
musée, installé dans le premier corps de bâtiment,
tout en haut de ces trois puissantes volées d'escalier,
possède quelques uns des documents originaux et des objets
personnels les plus précieux de San Martín, placés
sous la garde d'une jeune conservatrice très moderne et
soucieuse d'éclairer le contexte historique, si mal connu des
Argentins eux-mêmes....
Nous
continuerons notre journée en visitant les alentours, à
l'aspect très français, de l'Instituto Nacional
Sanmartiniano, installé dans le même quartier de
Palermo, sur plaza Grand-Bourg, dans une réplique de la maison
que San Martín acheta près de Paris, à Evry, qui est aujourd'hui une grosse préfecture mais était à cette époque un tout petit
village maraîcher de 500 âmes (San Martín aimait
par-dessus tout vivre à la campagne ou au bord de la mer, loin
de l'agitation de la grande ville).
La photo ci-dessus a été
prise sur cette place et nous montre un visage "différent"
de San Martín, dans une tentative honorable (mais
politiquement ratée) du fondateur de l'Institut (5)
d'humaniser le héros "pétrifié"
dans le bronze depuis 1880.
Nous
poursuivrons notre périple sur les traces de San Martín
dans le quartier de Retiro où se trouve la place qui porte son
nom et où il est bel et bien coulé dans le bronze (6),
sur l'un des plus beaux espaces verts de Buenos Aires, avec des arbres
aussi somptueux que des cathédrales.
Nous achèverons ce
parcours thématique à la Basilique Nuestra Señora
de la Merced qui accueillit probablement (7) la messe de mariage de
San Martín et Remedios de Escalada le 19 septembre 1812 (voir
mon article du 19 septembre 2012 à ce sujet).
Le
programme de la journée se clôturera sur un "espace
artistique", comme on
dit dans les Plenarios de la Academia Nacional del Tango : une
visite, en français s'il vous plaît, du très intime Museo Argentino
del Titere (musée de la Marionnette), fondé par la
marionnettiste Sarah Bianchi (voir mon article du 9 juillet 2010 à
l'occasion du décès de l'artiste), suivie d'un
spectacle (muet et musicalisé) sur des thèmes très
tangueros. Un espace artistique rien que pour nous, en plein San
Telmo... Les marionnettes sont une des grandes traditions artistiques
de Buenos Aires, comme c'est le cas aussi à Lyon et à
Bruxelles...
La
journée s'achèvera tôt, vers 20h30, pour laisser
un ample temps au repos, puisque le lendemain, nous ferons une
excursion hors de la capitale...
5ème
jour : Luján, à 70 km à l'ouest de Buenos Aires,
la première ville qui se rallia à la Junta
révolutionnaire de mai 1810.
Luján
n'est pas seulement une ville révolutionnaire. C'est aussi la
cité mariale la plus importante d'Amérique du Sud. Sa basilique, qui vous rappellera, en rose, la cathédrale
de Chartes (ville avec laquelle Luján est jumelée),
abrite la statue, réputée miraculeuse, d'une Vierge
devenue patronne majeure du pays (8).
Très bel objet cultuel
de facture brésilienne, datant du 17ème siècle, cette petite image vêtue de blanc et de bleu (les couleurs
nationales) est nimbée d'une histoire merveilleuse, où
se mêlent histoire et légende qui nous parlent d'un
saint esclave noir, thème clé des dits et non-dits de
l'élaboration de l'identité nationale : dans
l'Argentine indépendante, que sont donc devenus les noirs qui
y furent déportés au 17e et 18e
siècles ?
Et
Luján a aussi une vie très intense en dehors des
pèlerinages (en cela, ce n'est ni Lourdes, ni Banneux, ni
Knock...). Car Luján est une cité typique de la
pampa, avec sa rivière homonyme bordée de guinguettes
pleines de vie le week-end. Elle possède un beau patrimoine architectural
et culturel : la grosse bourgade a en effet conservé l'intégralité
de sa plaza mayor, en pur style colonial. Sur cette place qui constitue, comme il est d'usage, le parvis de la basilique, on trouve deux musées
que nous visiterons.
En premier lieu (photo ci-dessous), le musée de la
Révolution de 1810, dans l'ancien Cabildo mitoyen avec la
Maison du Vice-Roi (le vice-roi Santiago de Liniers). On y conserve
de nombreux objets et documents liés aux Invasion Anglaises (1806-1807),
au vice-règne de Liniers (1807-1809) et à San Martín
lui-même, qui y passa plusieurs fois dans ses allées et
venues incessantes entre Mendoza ou Santiago du Chili et Buenos
Aires (1817-1818). Les jardins sont une petite merveille où il faut
prendre le temps de flâner tranquillement...
Sur un autre côté
de la place, on trouve le Musée des Transports. Son
exposition permanente nous mènera de ce far-west argentin
que fut la pampa jusqu'aux premières années du 20e
siècle à d'improbables albums de Tintin avec un
hydravion, une brouette et deux chevaux empaillés qui nous racontent d'incroyables épopées argentines qu'en Europe nous ignorons totalement.
Ce mercredi sera donc une journée à la campagne, avant que, à la nuit tombée, nous retournions chupar el asfalto, comme disait le chanteur et bandonéoniste
Rubén Juárez
(reprendre un bon bol d'asphalte, entendez de vie citadine) et passer la nuit dans notre hôtel de la rue Salta, dans le quartier de Monserrat.
Pour
aller plus loin (sites en espagnol uniquement) :
Visitez
le site Internet de la Ville de Luján (Province de Buenos Aires, il y a d'autres Luján en Argentine)
Visitez
le site Internet de la Basilique de Luján
Voyez
aussi mon article Retour sur images du 27 septembre 2009 sur
l'excursion que j'y ai faite en compagnie de Luis Alposta, sa femme et leur fille.
Sur José de San Martín :
Reportez-vous
à l'ensemble de mes articles le concernant en cliquant sur le
mot-clé correspondant dans le bloc Pour chercher, para buscar,
to search ci-dessus (dès la dernière semaine de ce mois d'octobre, cette
rubrique s'enrichira de quelques articles sur la biographie que je prépare)
Faites le voyage de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) et visitez la Casa San Martín, où le
héros est mort le 17 août 1850, un musée argentin (gratuit) sur la Côte d'Opale, face à l'Angleterre et à quelques dizaines de kilomètres de la frontière belge (voir à ce propos mon article n° 2700 du 10 août 2012)
Ecoutez
mes interviews en français et en espagnol données en
août dernier au micro de Radio Nacional à Buenos Aires.
Magdalena Arnoux, pour les émissions en français, et
Leonardo Liberman, pour les émissions en espagnol, m'ont fait
rendre compte de mon intérêt pour cette haute figure de
leur histoire, chacun sur des thématiques distinctes, celles qui leur sont personnellement chères.
Ajout du 25 octobre 2012 : reportez-vous également à mon article de présentation de ma biographie du général, San Martín, à rebours des conquistadors, à paraître en décembre aux Editions du Jasmin (en souscription jusqu'au 3 décembre 2012).
Ajout du 25 octobre 2012 : reportez-vous également à mon article de présentation de ma biographie du général, San Martín, à rebours des conquistadors, à paraître en décembre aux Editions du Jasmin (en souscription jusqu'au 3 décembre 2012).
Luján, le Cabildo et la Casa del Virrey
(1)
Jugez-en vous-mêmes : il était franc-maçon
ou au contraire, il était un pieux catholique ; il n'était
pas le fils de ses parents mais un métisse adopté on ne
sait comment par ce couple d'hidalgos léonnais (ben voyons !) ;
il était un espion anglais (encore plus fort !) ; il a trompé
sa femme avec la future énième maîtresse de
Bolívar (tant qu'à faire !) et elle aussi, avec un des
collaborateurs de son mari qui devait être assassiné
quelques années plus tard et se trouvait à Lima avec
San Martín pendant qu'elle était censée faire
des galipettes avec lui à Buenos Aires (ça alors !)
sans parler de la ribambelle d'enfants illégitimes qui vont
avec ces fantaisies sentimentales... Il s'en serait mis plein les
poches (ignobles ragots d'un contre-amiral écossais complètement
paranoïaque). Essayez de comprendre dès lors pourquoi par ailleurs,
on lui fait la réputation d'avoir vécu 25 ans dans la
gêne (ce qui est tout aussi faux) et de s'être fait
entretenir à Paris par un ancien banquier milliardaire qui
devait, après sa mort en 1842, inspirer à Alexandre
Dumas le personnage flamboyant de Monte-Cristo ! Et je passe sur sa
prétendue addiction à l'opium (plutôt croquignol,
non ?) et sur son invraisemblable penchant pour la bouteille, inventé
par un pseudo-historien péruvien quelques années après
sa mort quand le calomnié ne pouvait même plus se
défendre, avec une confusion délibérée
avec Joseph Bonaparte, le roi usurpateur de la couronne espagnole de
1808 à 1814, que ses sujets rebelles avaient surnommé
Pepe Botella (Jojo La Bouteille). Et dire qu'il faut que certains
historiens fassent en Argentine des conférences entières
pour démonter une à une chacune de ces insondables
idioties...
(2)
Il n'y avait pas d'écoles pour les petites filles en Amérique
du Sud à cette époque-là alors et de surcroît,
il y régnait partout la guerre civile qui avait succédé
aux guerres d'indépendance. Une guerre civile à
laquelle San Martín s'était juré de ne jamais
participer... Il valait donc mieux pour lui, qui avait quitté
les affaires publiques en 1822, de confier sa "petiote"
à un couvent belge.
(3)
Ce qui m'a beaucoup touchée lors de ma récente visite
au musée et à la caserne (ça fait tout un) a été
de constater que les militaires sont bel et bien fidèles à
l'esprit du fondateur : ces hommes utilisent la bibliothèque
historique qu'abrite le musée. Or San Martín était
aussi un fondateur de bibliothèques (à Mendoza, à
Santiago, à Lima...) et un lecteur assidu, qui avait toujours
avec lui quelques livres, même en campagne, et qui allait
lui-même pendant le bivouac, dans les temps de repos, faire la
lecture des classiques à ses soldats, qui étaient
souvent illétrés en Espagne et analphabètes en
Amérique du Sud, où, sous l'Ancien Régime, la
lecture et l'écriture étaient légalement un
privilège des blancs. Une situation sociale que San Martín
ne supportait pas.
(4)
Vous en verrez d'autres allant et venant en battle-dress dans toute
la caserne et ses jardins, d'un élégant pavillon à
un autre élégant pavillon...
(5)
José Pacífico Otero (1874-1937), qui vint faire sa
thèse d'histoire à la Sorbonne pendant la première
guerre mondiale. Au cours de mes recherches, j'ai retrouvé le
texte de cette thèse sur la Révolution de 1810. En la
lisant, on reste stupéfait de constater qu'en 1917, un
étudiant quarantenaire pouvait encore soutenir à la
Sorbonne une thèse d'histoire qui n'était guère
mieux que le récit linéaire d'une succession
d'événements uniquement attribués à une
poignée de grands hommes. Bref, une histoire qui était
déjà totalement dépassée par l'Ecole des
Annales surgie dans les années 1890, une histoire qui reste
encore aujourd'hui, en Argentine, un modèle pour bien des
ouvrages à destination du grand public.
(6)
Cette statue équestre est visible sur l'une des vignette qui
rythment la Colonne de droite de ce blog.
(7)
En tout cas, c'est la thèse que je défends dans mon
prochain livre, contre la légende généralement
admise et qui veut qu'il se soit marié à la cathédrale.
Une légende que je crois être une création
postérieure pour grandir encore le personnage, en même
temps qu'on (l'oligarchie pro-britannique rivadavienne des années
1860 et suivantes) le vide de sa substance politique... Comme ça,
ni vu ni connu, je t'embrouille, on fait semblant d'honorer le Padre
de la Patria.
(8)
Luis Alposta, entre autres poètes, a consacré à
cette Vierge des vers, devenus tango grâce à une
partition de Juan Tata Cedrón : Virgencita Criolla. Je les ai
traduits dans Deux cents ans après, le Bicentenaire de
l'Argentine à travers la patrimoine littéraire du
tango, Tarabuste Editions, p 32.