Une de Página/12 (le bandeau du bas est consacré à la distinction honorique remise à Estela de Carlotto au Paraguay hier)
Après un vote à l'unanimité à la Chambre des Députés, le Sénat argentin vient d'adopter à l'unanimité une loi qui réglemente et favorise la "Production Publique de Médicaments". Cette loi déclare "d'intérêt national" cette production, à travers le réseau des laboratoires publics, gérés par l'Etat, les Forces Armées, les Provinces et la Ville Autonome de Buenos Aires, de médicaments, vaccins et produits médicaux qu'elle définit comme des "biens sociaux", et non plus comme des marchandises quelconques.
Cette loi a pour objectif de favoriser le développement de la recherche appliquée en pharmacie en liant beaucoup plus étroitement les laboratoires existants avec les différentes universités du pays et demande aux pouvoirs publics, à tous les niveaux, national et provincial, d'appliquer dans leur politique d'achat de médicaments le principe de la préférence nationale. C'est en effet les pouvoirs publics qui achètent tous les consommables des hôpitaux publics, dont la gestion n'est pas autonome et qui sont souvent les distributeurs pharmaceutiques finaux, puisque l'hôpital en Argentine assure également le service de santé qui est en Europe confié à la médecine dite de ville.
Les décrets d'application, qui devront être pris par le ministère de la santé, réglementeront aussi les modalités de gestion des stocks dans les pharmacies publiques (c'est-à-dire majoritairement celles des hôpitaux et des dispensaires). On se souvient qu'on avait découvert il y a quelques mois à Buenos Aires des stocks de médicaments périmés, que le Gouvernement portègne avait achetés, entreposés et manifestement oubliés (volontairement ou non) au lieu de les distribuer pour les mettre à disposition des médecins dans les hôpitaux et les centres de santé de quartier. Ce qui avait défavorisé gravement de nombreux malades tout en engraissant les laboratoires privés et les grossistes d'import-export auxquels ils avaient été achetés sur des fonds publics.
Cette loi est aussi la conséquence d'un énorme scandale qui a éclaté il y a plus d'un an lorsqu'on a découvert une filière extrêmement bien organisée de distribution auprès des malades ou de leurs familles de médicaments de contrebande, contrefaits ou périmés et maquillés. Des personnes très haut placées dans le système sanitaire et social géré par des syndicats (la CGT des Routiers, une section dirigée directement par Hugo Moyano, le Secrétaire Général de la Centrale, et la Asociación Bancaria) ansi que des chefs d'entreprise ont été inculpés et certains d'entre eux sont sous les verrous, alors que la phase d'instruction est toujours en cours.
Après ce vote triomphal, reste à savoir si l'Etat argentin disposera des fonds nécessaires pour investir dans un secteur très gourmand en capitaux, même si l'ambition première s'affiche modeste et progressive, les médicaments concernés dans un premier temps étant ceux destinés à traiter les affections les plus courantes, selon les listes de traitement prioritaire définies par l'OMS en fonction des profils épidémiologiques régionaux, pour aller peu à peu, au fur et à mesure que le pays développera ses capacités scientifiques et technologiques, vers une recherche qui devrait inclure les traitements des maladies orphelines, une niche délaissée par le privé puisque non rentable à court terme mais propre à stimuler la recherche médicale et pharmacologique et donc le développement du savoir et du savoir-faire en Argentine.
Seul Página/12 parlait ce matin de cette loi votée pourtant à l'unanimité (ce qui n'est pas si fréquent). Il y consacre même sa une, avec cette image parodique qui fait pendant à celles que le même quotidien avait consacrée au scandale de la Mafia de los Medicamentos, il y a plusieurs mois. Clarín et La Nación, sur Internet en tout cas, sont muets sur le sujet.
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