Un spectacle du Festival que je n’aurais sans doute pas remarqué dans la liste à la Prévert de ces deux semaines todo tango à Buenos Aires, si je n’avais eu la chance –ahurissante- de dîner vendredi dernier, après le concert d’ouverture du Festival au Teatro Avenida, à la même table que l’une des protagonistes du concert...
Grande chanteuse dont je connais fort mal la carrière et la discographie ténue (vu la brièveté de la première, les documents audio encore accessibles aujourd’hui sont rarissimes).
Nina Miranda, la "Tita Merello oriental" comme me l’a présentée, d’un souffle, Walter Piazza, le Secrétaire de la Academia, qui a joué auprès de moi les cicerones de luxe tout au long de cette mémorable soirée, commencée à la tombée du jour devant le Café Tortoni, pour l’inauguration d’une nouvelle plaque-souvenir, et achevée devant un vinito (1) offert par Tango Porteño, imposant et somptuaire Cena-show pour touristes 100% Art Déco qui faisait ainsi sa pub en accueillant avec un faste indéniable le Ministre de la Culture himself et en personne et les invités de l’ouverture du Festival (majoritairement des artistes de tango, dont plusieurs de ceux qui avaient participé au concert, et des journalistes spécialisés).
Nina Miranda, revenons à elle, est née à Montevideo il y a 82 ans (mais elle ne les paraît pas). Elle est donc non pas argentine mais uruguayenne (orientale, dit-on sur les rives du Río de la Plata. Regardez une carte, vous comprendrez pourquoi). Faites bien la différence, elle est très importante. Imaginez un peu que quelqu’un vous dise que Jacques Brel (que era belga) ou François Balmer (que es un actor suizo) était, pour l’un, et est, pour l’autre, français... Vous y êtes ? D’autant qu’elle y tient, à sa nationalité, Nina Miranda. Il n’a fallu que cinq minutes d’une discussion pourtant on ne peut plus informelle sur le concert dont nous sortions pour qu’elle glisse dans la conversation cette information capitale. Avec discrétion, certes, mais efficacité (reçue 5 sur 5)...
Nina Miranda a fait une carrière éclair : quelque deux ans seulement à Buenos Aires. Elle chantait déjà bien sûr de l’autre côté du Río de la Plata mais pour se faire connaître, pour pouvoir enregistrer des disques, il est préférable d’aller à Buenos Aires où toute cette infrastructure de show business (agences artistiques, studios, radios, labels discographiques et maisons d’édition) est très développée et donc beaucoup plus performante, surtout dans les années 50... Ainsi donc passa-t-elle à l’ouest en 1956 et elle mit fin à sa carrière juste après son mariage, à la demande pressante de son mari, en 1958... Dans ces années-là encore, la profession de chanteuse populaire (cancionista) n’était guère bienséante et ce monsieur bien sous tous rapports tenait à préserver l’honarabilité de son nom. Nina Miranda quitta donc l’univers tanguero pour se faire maîtresse de maison...
Ce sont deux de ses amis personnels, Gabriel Soria et Cecilia Orrillo, mari et femme, qui lui offrent donc, à 82 printemps, l’occasion de remonter sur scène, ce qu’elle fait avec un plaisir et une coquetterie non dissimulés...
Le spectacle, auquel Horacio Ferrer a tenu à assister en compagnie de son épouse et alter-ego Lulú Michelli, a été baptisé par ses deux organisateurs El retorno de las cancionistas. Plus personne ne parle aujourd’hui de cancionistas. Une chanteuse c’est "una cantante". Un chanteur, quant à lui, c’est le plus souvent "un cantor" (chanteur populaire), le cantante étant davantage un artiste passé par une formation plus académique que ce qui est nécessaire pour le tango. Outre Nina Miranda, le show rassemble deux autres grandes voix féminines de la même époque : Elsa Rivas (82 ans) et María de la Fuente (91 ans), toutes deux si heureuses elles aussi de retrouver les planches et les projecteurs et le public et les applaudissements et le proclamant haut et fort sur scène.
Un récital court : 3 morceaux chacune et un dernier qu’elles chantent ensemble (Cantando, d’une autre grande chanteuse, feu Mercedes Simone) et avant l’entrée en scène de chacune d’elles, un montage de documents sur sa carrière, projeté sur écran, avec quelques extraits sonores et plein de photos. Les trois morceaux qu’elles chantent en direct, accompagnées la première et la troisième, par les guitares de Hugo, Néstor et Osvaldo Rivas et pour María de la Fuente par le piano de Néstor Schiavone, furent leurs plus importants succès, dont Besos Brujos pour Elsa Rivas, Fuimos pour María de la Fuente (qui, mardi, a ajouté à son programme un Ave Maria de Gounod avec un texte en espagnol assez pieusard, très éloigné de la splendide et ascétique prière latine), et Garufa pour Nina Miranda. Bien entendu, Nina Miranda chante le répertoire uruguayen, en particulier celui de cette fine équipe de joyeux drilles qu’était la Troupe Ateniense (on leur doit du tango drôle, plein d’un humour mordant, dont Maula et Garufa sont d’excellents exemples).
Des trois chanteuses, elle est la seule à avoir conservé une voix intacte avec son timbre tel qu’en lui-même. Avec elle, on avait l’émotion du souvenir et de cette belle interprétation en direct, comme avec ces deux compagnes, et la sûreté vocale en prime... Raison de plus pour ne pas louper le film El Café de los Maestros qui sort -en France en tout cas- le 10 septembre : elle en est. Sinon, attendez le DVD qui va sortir à Buenos Aires à la fin de l’exploitation en salle toujours en cours (Zivals le commercialisera certainement très vite après). Et d’ores et déjà, vous pouvez acquérir le double CD tiré du film. En Europe, il est vendu dans une version collector assez chère mais qui a l’avantage d’être disponible tout de suite et pour ceux, surtout en France, à qui l’espagnol fait peur, cet autre avantage non négligeable d’une jacquette toute en français. (2)
El retorno de las cancionistas a été créé au Festival de Tango de La Falda, en Argentine, comme un hommage à des chanteuses dont peu d’enregistrements nous sont parvenus mais qui firent pourtant de très belles carrières radiophoniques, ce qui n’a guère laissé de traces. Il est vrai aussi que de nombreuses matrices de 78 et de 35 tours ont été passées au pilon par les maisons de disques dans les années 70, qui virent un véritable culturocide qui allait de pair avec la répression politique et économique de toutes les expressions de l’identité sud-américaine durant la coalition des dictatures pro-CIA dont l’ignoble opération Condor restera le symbole le plus cruel.
Grande chanteuse dont je connais fort mal la carrière et la discographie ténue (vu la brièveté de la première, les documents audio encore accessibles aujourd’hui sont rarissimes).
Nina Miranda, la "Tita Merello oriental" comme me l’a présentée, d’un souffle, Walter Piazza, le Secrétaire de la Academia, qui a joué auprès de moi les cicerones de luxe tout au long de cette mémorable soirée, commencée à la tombée du jour devant le Café Tortoni, pour l’inauguration d’une nouvelle plaque-souvenir, et achevée devant un vinito (1) offert par Tango Porteño, imposant et somptuaire Cena-show pour touristes 100% Art Déco qui faisait ainsi sa pub en accueillant avec un faste indéniable le Ministre de la Culture himself et en personne et les invités de l’ouverture du Festival (majoritairement des artistes de tango, dont plusieurs de ceux qui avaient participé au concert, et des journalistes spécialisés).
Nina Miranda, revenons à elle, est née à Montevideo il y a 82 ans (mais elle ne les paraît pas). Elle est donc non pas argentine mais uruguayenne (orientale, dit-on sur les rives du Río de la Plata. Regardez une carte, vous comprendrez pourquoi). Faites bien la différence, elle est très importante. Imaginez un peu que quelqu’un vous dise que Jacques Brel (que era belga) ou François Balmer (que es un actor suizo) était, pour l’un, et est, pour l’autre, français... Vous y êtes ? D’autant qu’elle y tient, à sa nationalité, Nina Miranda. Il n’a fallu que cinq minutes d’une discussion pourtant on ne peut plus informelle sur le concert dont nous sortions pour qu’elle glisse dans la conversation cette information capitale. Avec discrétion, certes, mais efficacité (reçue 5 sur 5)...
Nina Miranda a fait une carrière éclair : quelque deux ans seulement à Buenos Aires. Elle chantait déjà bien sûr de l’autre côté du Río de la Plata mais pour se faire connaître, pour pouvoir enregistrer des disques, il est préférable d’aller à Buenos Aires où toute cette infrastructure de show business (agences artistiques, studios, radios, labels discographiques et maisons d’édition) est très développée et donc beaucoup plus performante, surtout dans les années 50... Ainsi donc passa-t-elle à l’ouest en 1956 et elle mit fin à sa carrière juste après son mariage, à la demande pressante de son mari, en 1958... Dans ces années-là encore, la profession de chanteuse populaire (cancionista) n’était guère bienséante et ce monsieur bien sous tous rapports tenait à préserver l’honarabilité de son nom. Nina Miranda quitta donc l’univers tanguero pour se faire maîtresse de maison...
Ce sont deux de ses amis personnels, Gabriel Soria et Cecilia Orrillo, mari et femme, qui lui offrent donc, à 82 printemps, l’occasion de remonter sur scène, ce qu’elle fait avec un plaisir et une coquetterie non dissimulés...
Le spectacle, auquel Horacio Ferrer a tenu à assister en compagnie de son épouse et alter-ego Lulú Michelli, a été baptisé par ses deux organisateurs El retorno de las cancionistas. Plus personne ne parle aujourd’hui de cancionistas. Une chanteuse c’est "una cantante". Un chanteur, quant à lui, c’est le plus souvent "un cantor" (chanteur populaire), le cantante étant davantage un artiste passé par une formation plus académique que ce qui est nécessaire pour le tango. Outre Nina Miranda, le show rassemble deux autres grandes voix féminines de la même époque : Elsa Rivas (82 ans) et María de la Fuente (91 ans), toutes deux si heureuses elles aussi de retrouver les planches et les projecteurs et le public et les applaudissements et le proclamant haut et fort sur scène.
Un récital court : 3 morceaux chacune et un dernier qu’elles chantent ensemble (Cantando, d’une autre grande chanteuse, feu Mercedes Simone) et avant l’entrée en scène de chacune d’elles, un montage de documents sur sa carrière, projeté sur écran, avec quelques extraits sonores et plein de photos. Les trois morceaux qu’elles chantent en direct, accompagnées la première et la troisième, par les guitares de Hugo, Néstor et Osvaldo Rivas et pour María de la Fuente par le piano de Néstor Schiavone, furent leurs plus importants succès, dont Besos Brujos pour Elsa Rivas, Fuimos pour María de la Fuente (qui, mardi, a ajouté à son programme un Ave Maria de Gounod avec un texte en espagnol assez pieusard, très éloigné de la splendide et ascétique prière latine), et Garufa pour Nina Miranda. Bien entendu, Nina Miranda chante le répertoire uruguayen, en particulier celui de cette fine équipe de joyeux drilles qu’était la Troupe Ateniense (on leur doit du tango drôle, plein d’un humour mordant, dont Maula et Garufa sont d’excellents exemples).
Des trois chanteuses, elle est la seule à avoir conservé une voix intacte avec son timbre tel qu’en lui-même. Avec elle, on avait l’émotion du souvenir et de cette belle interprétation en direct, comme avec ces deux compagnes, et la sûreté vocale en prime... Raison de plus pour ne pas louper le film El Café de los Maestros qui sort -en France en tout cas- le 10 septembre : elle en est. Sinon, attendez le DVD qui va sortir à Buenos Aires à la fin de l’exploitation en salle toujours en cours (Zivals le commercialisera certainement très vite après). Et d’ores et déjà, vous pouvez acquérir le double CD tiré du film. En Europe, il est vendu dans une version collector assez chère mais qui a l’avantage d’être disponible tout de suite et pour ceux, surtout en France, à qui l’espagnol fait peur, cet autre avantage non négligeable d’une jacquette toute en français. (2)
El retorno de las cancionistas a été créé au Festival de Tango de La Falda, en Argentine, comme un hommage à des chanteuses dont peu d’enregistrements nous sont parvenus mais qui firent pourtant de très belles carrières radiophoniques, ce qui n’a guère laissé de traces. Il est vrai aussi que de nombreuses matrices de 78 et de 35 tours ont été passées au pilon par les maisons de disques dans les années 70, qui virent un véritable culturocide qui allait de pair avec la répression politique et économique de toutes les expressions de l’identité sud-américaine durant la coalition des dictatures pro-CIA dont l’ignoble opération Condor restera le symbole le plus cruel.
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Et puis tant qu’on y est, un mot aussi sur Gabriel Soria, l’un des grands sauveteurs de tout ce patrimoine matériel, éditorial, discographique, manuscrit et historique sur le tango. Journaliste de profession et véritable expert dans son domaine (ce qui ne va pas toujours de pair), il a longtemps animé une formidable émission que l’on pouvait facilement écouter en Europe (grâce au streaming en direct sur le site de Radio Patricios et à l´heure de diffusion, en début de soirée pour nous). Cela s’appelait Siempre Aníbal Troilo (Aníbal Troilo toujours), c’était une émission quotidienne de musique et d’actualité du tango, diffusée du lundi au vendredi et produite par le petit-fils de Troilo, Francisco Torné, directeur de Pichuco Records et du site web sur Aníbal Troilo. L’émission n’a malheureusement pas été reprise dans la grille des programmes 2008 à la rentrée de mars (3).
Gabriel Soria est aussi le Vice-Président de la Academia Nacional del Tango, il est le créateur et le directeur du Museo Mundial del Tango situé au 1er étage du Palacio Carlos Gardel (siège de la Academia, sur la Avenida de Mayo, mais entrée avenida Rivadavia, de l’autre côté du bâtiment).
Si un jour vous allez à Buenos Aires, le Museo veut vraiment le détour. Il est ouvert tous les après-midi, du lundi au vendredi, et l’entrée est gratuite. Dans un espace très haut de plafond mais avec une superficie au sol assez réduite, avoir déployé d’une manière aussi claire, aussi lisible, autant de matériel, c’est miraculeux... Anciens disques, originaux de partition, un beau vieux poste de radio, une victrola (ce phonographe légendaire de la maison de disques Víctor), le bandonéon ouvert d’Aníbal Troilo, des souvenirs de Carlos Gardel, un portrait double d´Horacio Ferrer et cette dernière vitrine, dans le Salón de los Angelitos, tout près de la scène, à gauche de celle-ci, où vous verrez, entre autres documents aussi intéressants les uns que les autres, le Libro Fundacional de la Academia Nacional del Tango. Vous ne pourrez en admirer que la couverture, qui protège et met en valeur le texte écrit par Horacio Ferrer pour présenter, comme déjà existante, la Academia Nacional del Tango au Président de la République, en 1990. Cette couverture somptueuse, avec son logo style 18e siècle espagnol, a été peinte entièrement à la main (et le texte à l’intérieur soigneusement calligraphié). Elle est l’oeuvre d’un artiste fileteador ami d´Horacio Ferrer, Jorge Muscia.
Le site de Jorge (voir les liens) mérite un bon petit coup de souris... Et puis un autre jour, je vous raconterai la saga de la création de la Academia, elle vaut son pesant de bandonéons.
En Buenos Aires son las 20:15
(1) Litteralement : petit vin. Entendez quelque chose comme verre de l’amitié en Europe. Et bien rempli, le verre... Ils avaient dû compter un demi-litre par personne. De vins argentins. Excellents. Accompagnés de mini-empenadas délicieuses.
(2) Personnellement, je préfère la jacquette en espagnol. C’est plus dans la note. D’autant qu’il ne faut pas avoir peur de l’espagnol. Il est pas méchant. Je ne l’ai jamais vu mordre personne...
(3) Ah oui, je sais, la rentrée de mars, ça fait un choc... Mais ça fait encore plus drôle quand vous allez sur le site de la radio et que vous découvrez qu’il n’y a plus d’émission...
(2) Personnellement, je préfère la jacquette en espagnol. C’est plus dans la note. D’autant qu’il ne faut pas avoir peur de l’espagnol. Il est pas méchant. Je ne l’ai jamais vu mordre personne...
(3) Ah oui, je sais, la rentrée de mars, ça fait un choc... Mais ça fait encore plus drôle quand vous allez sur le site de la radio et que vous découvrez qu’il n’y a plus d’émission...