jeudi 23 avril 2020

Marcos Mundstock est parti après une longue maladie [Actu]

Une des pages spectacles de La Nación aujourd'hui
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Aux yeux du public, Marcos Mundstock, c’est ce Monsieur Loyal qui, plein d’une pédante componction, intervenait pour présenter les différents numéros des récitals du groupe humoristique Les Luthiers : en habit ou en smoking, avec nœud-papillon, sérieux comme un pape, il suffisait qu’il entre en scène pour que la salle éclate de rire. Il portait un dossier à reliure de cuir rouge, visible depuis les derniers rangs, même dans les plus grandes salles du monde hispanophone, que le groupe remplissait régulièrement, et il l’ouvrait avant de se lancer dans des parodies hilarantes de discours musicologiques cuistres, dignes de ces commentateurs qu’on a pu connaître sur les ondes de France Musique (1), dont la fonction essentielle était sans doute de dégoûter la majeure partie de l’humanité de la musique classique et de l’opéra, cette musique élitiste qu’il ne fallait pas donner à la plèbe. Très pince sans rire, au milieu des fous rires de la salle, Mundstock dissertait sur un grand compositeur de son invention, Johann Sebastián Mastropiero, qui avait touché à tout : du classique, du baroque, du folklore argentin, de la salsa cubaine, du jazz de la Nouvelle-Orléans, de la chanson sentimentale française, du rock anglosaxon (avec des paroles en espagnol, bien sûr), de la musique religieuse, du sitar indien et bien sûr du tango.

Pieza en forma de tango
On entend le commentaire de Mundstock en voix off

Marcos Mundstock avait 77 ans et il y a un an, il s’était retiré de la scène en faisant savoir qu’il souffrait d’une tumeur cérébrale. Il avait fait, par visioconférence, une dernière apparition publique quelques jours plus tard à un congrès de la langue espagnole organisé par la Real Academia de España à Córdoba, en Argentine. Dans leurs fauteuils d’amphithéâtre académique, il avait laissé tous les congressistes morts de rire et pour longtemps (Página/12 republie cette prestation dans ses pages de ce jour).

La photo principale est pour les chiffonniers qui ont retrouvé
le droit de parcourir Buenos Aires pour récupérer les cartons
des commerces alimentaires et faire fonctionner
leurs coopératives dans les bidonvilles où ils habitent.
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Mundstock n’était pas musicien de formation mais animateur radiophonique (locutor). Au groupe Les Luthiers, il a apporté son jeu, sa diction, sa voix et ses textes ciselés. Allez sur le site Internet du groupe et sur sa chaîne You Tube et régalez-vous de ces présentations insensées, faussement assommantes et interrompues par des apartés hors sujet qui s’enchaînent les uns aux autres...

Educación sexual moderna
Pour une fois, le compositeur n'est pas Mastropiero mais un franciscain,
qui a composé un cantique en grégorien

Sa disparition aujourd’hui est d’autant plus triste que la pandémie interdit à ses compagnons de scène, aux artistes et au public de lui rendre hommage, lui dont, en d’autres temps, la veillée funèbre se serait tenue au Congrès, à Buenos Aires.

Au-dessus, le scandale d'un hospice gériatrique
où on déplore de nombreux morts du covid-19
dans le quartier chic de Belgrano (à Buenos Aires)
En bas : "Cette belle voix intelligente"
La photo montre Mundstock en Espagne
lorsque Les Luthiers ont reçu le prix Princesse des Asturies
il y a trois ans
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Le groupe Les Luthiers lui rend lui-même hommage sur sur son site Internet dont la page d’accueil se compose d’un fond noir sur lequel se détache un texte très simple, plein d’amitié et de tendresse.

El regreso del Indio
Je vous laisse découvrir la traduction en français
qui déraille au fur et à mesure que la chanson se déroule

Et cette fois-ci, il n’y a pas de fausse note dans la presse (2). Marcos Mundstock est à la une de tous les quotidiens qui lui consacrent tous, sauf La Prensa, plusieurs articles dans l’édition de ce matin (j’en ai compté cinq dans La Nación).

Une des pages culturelles de Página/12 dessinée par Miguel Rep
"La voix" dit le gros titre en route

La plus belle phrase est sans doute celle, à l’écriture très mundstockienne, qui conclut l’article principal de Página/12 :
"La carpeta roja queda en el atril. Johan Sebastián Mastropiero se queda mudo. Y nosotros, con este nudo en la garganta."

Le dossier rouge reste sur le pupitre. Johan Sebastián Mastropiero ne dit pas un mot. Et nous, nous avons ce nœud dans la gorge.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)

Pour en savoir plus :
En Uruguay :
lire l'article de El País
lire l'entrefilet de La República
lire l'article de El Observador (avec beaucoup de vidéos incluses)



(1) Heureusement, France Musique a abandonné ce ton insupportable il y a plusieurs années.
(2) Il faut reconnaître aussi qu’il n’était pas suspect de pencher à gauche ! En 2015, il avait appelé à voter Mauricio Macri, comme une petite minorité d’artistes et d’intellectuels.