Une des pages spectacles de La Nación aujourd'hui Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Aux yeux du public, Marcos Mundstock, c’est ce Monsieur Loyal qui,
plein d’une pédante componction, intervenait pour présenter les
différents numéros des récitals du groupe humoristique Les
Luthiers : en habit ou en smoking, avec nœud-papillon,
sérieux comme un pape, il
suffisait qu’il entre en scène pour que la salle éclate de
rire. Il portait un dossier à reliure de cuir rouge, visible depuis
les derniers rangs, même dans les plus grandes salles du monde
hispanophone, que le groupe remplissait régulièrement, et il
l’ouvrait avant de se lancer dans des parodies hilarantes de
discours musicologiques cuistres, dignes de ces commentateurs qu’on
a pu connaître sur les ondes de France Musique (1), dont la fonction
essentielle était sans doute de dégoûter la majeure partie de
l’humanité de la musique classique et de l’opéra, cette musique
élitiste qu’il ne fallait pas donner à la plèbe. Très pince
sans rire, au milieu des fous rires de la salle, Mundstock dissertait
sur un grand compositeur de son invention, Johann Sebastián
Mastropiero, qui avait touché à tout : du classique, du
baroque, du folklore argentin, de la salsa cubaine, du jazz de la
Nouvelle-Orléans, de la chanson sentimentale française, du rock
anglosaxon (avec des paroles en espagnol, bien sûr), de la musique
religieuse, du sitar indien et bien sûr du tango.
Pieza en forma de tango
On entend le commentaire de Mundstock en voix off
Marcos Mundstock avait
77 ans et il y a un an, il s’était retiré de la scène en faisant
savoir qu’il souffrait d’une tumeur cérébrale. Il avait fait,
par visioconférence, une dernière apparition publique quelques
jours plus tard à un congrès de la langue espagnole organisé par
la Real Academia de España à Córdoba, en Argentine. Dans leurs
fauteuils d’amphithéâtre académique, il avait laissé tous les
congressistes morts de rire et pour longtemps (Página/12 republie
cette prestation dans ses pages de ce jour).
Mundstock n’était
pas musicien de formation mais animateur radiophonique (locutor). Au
groupe Les Luthiers, il a apporté son jeu, sa diction, sa voix et
ses textes ciselés. Allez sur le site Internet du groupe et sur sa chaîne You Tube et régalez-vous de ces présentations insensées, faussement
assommantes et interrompues par des apartés hors sujet qui
s’enchaînent les uns aux autres...
Educación sexual moderna
Pour une fois, le compositeur n'est pas Mastropiero mais un franciscain,
qui a composé un cantique en grégorien
Sa disparition
aujourd’hui est d’autant plus triste que la pandémie interdit à
ses compagnons de scène, aux artistes et au public de lui rendre
hommage, lui dont, en d’autres temps, la veillée funèbre se
serait tenue au Congrès, à Buenos Aires.
Le groupe Les Luthiers
lui rend lui-même hommage sur sur son site Internet dont la page
d’accueil se compose d’un fond noir sur lequel se détache un
texte très simple, plein d’amitié et de tendresse.
El regreso del Indio
Je vous laisse découvrir la traduction en français
qui déraille au fur et à mesure que la chanson se déroule
Et cette fois-ci, il
n’y a pas de fausse note dans la presse (2). Marcos Mundstock est à
la une de tous les quotidiens qui lui consacrent tous, sauf La
Prensa, plusieurs articles dans l’édition de ce matin (j’en ai
compté cinq dans La Nación).
Une des pages culturelles de Página/12 dessinée par Miguel Rep "La voix" dit le gros titre en route |
La plus belle phrase
est sans doute celle, à l’écriture très mundstockienne, qui
conclut l’article principal de Página/12 :
"La carpeta roja queda
en el atril. Johan Sebastián Mastropiero se queda mudo. Y nosotros,
con este nudo en la garganta."
Le dossier rouge reste
sur le pupitre. Johan Sebastián Mastropiero ne dit pas un mot. Et
nous, nous avons ce nœud dans la gorge.
(Traduction © Denise Anne Clavilier)
Pour en savoir plus :
En Uruguay :
lire l'article de El País
lire l'entrefilet de La República
lire l'article de El Observador (avec beaucoup de vidéos incluses)
lire l'article de El País
lire l'entrefilet de La República
lire l'article de El Observador (avec beaucoup de vidéos incluses)
(1) Heureusement,
France Musique a abandonné ce ton insupportable il y a plusieurs
années.
(2) Il faut reconnaître
aussi qu’il n’était pas suspect de pencher à gauche ! En
2015, il avait appelé à voter Mauricio Macri, comme une petite
minorité d’artistes et d’intellectuels.