lundi 14 septembre 2009

De Buenos Aires a Horacio Ferrer poeta au Teatro Avenida [à l'affiche]

Rédigé à Buenos Aires le 23 août 2009

Superbe hommage conçu et monté par Gabriel Soria et présentant, grâce à des nombreux artistes invités, différentes facettes de l'oeuvre du poète avant-gardiste que fut et qu'est toujours Horacio Ferrer.

(Photo ajoutée le 26 septembre 2009)
Susana Rinaldi en train de lire la préface de Castillo à Romancero Canyengue, en présence de Horacio Ferrer (assis à droite)

Horacio Ferrer était lui-même sur scène pour réciter, dans son style si particulier, différentes pièces (souvent fort longues) de sa composition (de su autoría, comme on dit en Argentine). C'est lui qui a ouvert le spectacle sous un tonnerre d'applaudissements avec Moriré en Buenos Aires, un texte sublime entre tous... Le choix qui a été fait m'a touchée à de nombreuses reprises : je retrouvais dans sa voix (en su voz) des textes que j'ai moi-même traduits et publiés dans un petit cahier d'hommage que je lui avais fait consacrer pour ses 75 ans, dans le numéro de juin 2008 de la revue Triage (Editions Tarabuste, cf. mon profil, en bas de la Colonne de droite). Parmi ces poèmes : Existir, qu'il récita avec une interprétation chorégraphiée sans musique de Miguel Angel Zotto avec beaucoup de sobriété et une technique impeccable, Mi viejo Piazzolla, un poème écrit à Paris deux ans après la mort du compositeur et mis en musique ensuite par le fils de ce dernier, Daniel Piazzolla.

Participèrent à la soirée : Guillermo Fernández, avec un Chiquilín de Bachin qu'ils finirent tous les deux en duo, Raúl Lavie avec son interprétation de La Bicicleta Blanca, l'un des morceaux phares de ce chanteur, Julia Zenko avec Preludio por el año 3001, Susana Rinaldi qui ne devait faire qu'une apparition de courtoisie, pour saluer le public et le Maestro, et qui arriva tenant à la main son exemplaire de la première édition de Romancero Canyengue, le recueil initial de Horacio Ferrer, en 1967. Elle entreprit alors de lire in extenso la préface que Cátulo Castillo avait rédigée sous forme d'une lettre puis elle enchaîna, de manière improvisée, avec une interprétation a capella de La última grela, un poème de Romancero Canyengue, mis un peu plus tard en musique par Astor Piazzolla (il était prévu en fait qu'Horacio Ferrer récite ce texte après son départ). Ce fut époustoufflant. D'abord pour la beauté de la voix. Susana Rinaldi est une des plus grandes chanteuses actuelles (n'hésitez pas à ce propos à vous reporter à son interview d'avril dernier dans Página/12, lire mon article à ce sujet). Ensuite pour la sobriété de l'interprétation en contraste absolu avec ce que j'avais pu voir dans ce même théâtre l'année dernière, une version de Che bandoneón (Troilo-Manzi), qu'elle avait chantée accompagnée du seul Leopoldo Federico avec un jeu de scène exacerbé (cf. mon article sur le concert d'ouverture du Festival 2008).

La plupart du temps, c'était Juan Trepiana qui accompagnait tous ces chanteurs, seul au piano. Là aussi, la sobriété était au rendez-vous, pour laisser tout l'espace à la poésie. Et c'était très puissant, car cette poésie n'a besoin d'aucun effet de manche, contrairement à ce que trop de chanteurs, dont le talent n'est peut-être pas à la hauteur, se sentent obligés de faire lorsqu'ils chantent Chiquilín de Bachin, Balada para un loco o Mi loco bandoneón.

En dernier lieu, vint le Maestro Raúl Garello avec qui Horacio Ferrer rendit hommage à sa femme, Lulú Michelli, présente dans une baignoire du second étage : la valse Lulú, un texte atypique et très touchant, lui aussi, sur une mélodie infiniment délicate (tout cela s'écoute sur Homenaje a Woody Allen chez Melopea, ou Diálogo de poeta y bandoneón, chez Pichuco Records). Et ils ont fini le spectacle avec un Balada para un loco, récité-chanté par Horacio Ferrer accompagné d'un solo de bandonéon du Maestro Garello... Une splendeur, qui fut applaudie à tout rompre.

Par le biais d'archives filmées participèrent aussi à la soirée Amelita Baltar dont on admira la création (mouvementée, façon bataille d'Hernani) de Balada para un loco (on en fêtera en novembre le quarantième anniversaire comme on fêtait l'année dernière les 40 ans de María de Buenos Aires) et feu Gustavo Nocetti (un grand chanteur uruguayen que vous pouvez retrouver dans cet Homenaje a Woody Allen, déjà cité). Ce chanteur, grand ami personnel du Maestro Horacio Ferrer, a trouvé la mort dans un accident de voiture à 42 ans en 2002. L'artiste a laissé le souvenir d'une présence rayonnante sur scène et il a laissé sur le disque la trace d'une voix très particulière, à l'esthétique très caractéristique du Río de la Plata.

En sortant de cette soirée tous très émus, nous avons été un petit groupe de grupies et pour quelques uns d'amis personnels du Maestro à aller dîner ou tenter de le faire dans un restaurant de la rue Montevideo, un peu plus au nord, à l'angle avec l'avenue Corrientes (le teatro Avenida se trouve lui sur Avenida de Mayo). Quelques uns se sont perdus en route et pour ma part et avec trois autres personnes, dont le directeur du festival international de Granada (que je ne pouvais rencontrer qu'à Buenos Aires, c'est tellement plus simples pour des Européens !), j'ai fini cette soirée chez Ramos, un resto de quartier à une cuadra de Chiquilín. Après ce dîner très animé, j'ai pris mon taxi devant l'enseigne lumineuse de cette parilla (grill) qui occupe l'emplacemetn de ce qui fut le Bachín, le grill où toutes les nuits Piazzolla voyait passer entre les tables un petit vendeur de roses, sale et pouilleux, un enfant des bidonvilles d'au-delà du Riachuelo. Cet enfant (ou plutôt ces enfants, car il y a eu plusieurs), c'est celui dont parle Chiquilín de Bachin. Après cette soirée poétique et musicale, il y avait là un bon paquet d'émotions...

Le lundi précédent, malgré un énorme rhume, j'avais pu assister au Plenario de la Academia Nacional del Tango, où Horacio Ferrer avait reçu des mains de Julio Maffia, au bord des larmes, le bandonéon du Maestro Pedro Maffia. J'ai entendu jouer Gabriel Chula Clausi, 98 printemps et un jeu de jeune homme. Raúl Garello était là lui aussi. Et j'ai pris des photos...

Pour aller plus loin : consultez dans la Colonne de droite les raccourcis Festival de Tango de Buenos Aires (rubrique Grands Rendez-vous du Tango) et Festivals (rubrique Tangoscope), voir aussi le raccourci rassemblant mes articles sur les poètes (rubrique Les artistes) et celui consacré à Horacio Ferrer (rubrique Vecinos del Barrio, sections Les Poètes).


Dès que je dispose à nouveau d'une connexion convenable, normale, j'ajoute une de mes photos sur cet article. Pour le moment et ce depuis mercredi 9 au petit matin, un incident technique indépendant de ma volonté, une rupture complète de service de mon fournisseur d'accès à mon domicile, m'empêche de tenir ce blog dans des conditions acceptables. Je n'ai en particulier guère de possibilité pour publier des photos (la manipulation à effectuer est assez gourmande en temps) ni celle de publier mes articles à mon rythme normal, ce qui me fait différer les hommages à Alorsa que je vous annonçais mardi dernier, juste avant l'incident qui me prive d'internet...


Pour aller plus loin, lire l'article de Carlos Bevilacqua dans Página/12 du 24 août 2009