mercredi 3 février 2010

Vers une réconciliation au sommet de l’Etat ? [Actu]


La Une de ce matin
Mes lecteurs de la première heure, ceux qui ont connu ce blog Barrio de Tango dès juillet 2008, se souviennent peut-être que mon tout premier article vous contait comment le Vice Président venaient de se séparer politiquement de la Présidente sur le conflit agro-fiscal du premier semestre 2008 : sur une loi qui divisait profondément le pays parce qu’elle visait imposer (avec une indexation sur le cours mondial des matières premières agricoles) les exportations de soja, une plante dont la culture intensive est en train de détruire l’équilibre agricole, alimentaire et écologique de l’Argentine, le Vice-Président, Julio Cobos, radical (UCR), avait dû voter, en sa qualité de président du Sénat, pour départager les votes de la Haute Assemblée. Devant la profonde division de la population sur cette mesure, jugeant qu’il n’était pas démocratique que la voix d’un seul homme prévale sur tout un pays, il avait annoncé d’une voix blanche : "mon vote est négatif". Il avait donc voté contre un projet de loi gouvernemental, ce qui a ensuite entraîné à la fois un apaisement relatif dans le conflit agricole (conflicto del campo) et une mésentente qui n’a cessé depuis de s’aggraver entre lui et la Présidente, qui est péroniste (lire mon article du 19 juillet 2008).
L’affaire du limogeage de Martín Redrado, ex-Gouverneur de la Banque centrale argentine, a d’abord accentué le contentieux entre les deux plus hauts personnages de l’Etat, au point que la Présidente a même théâtralement renoncé il y a quelques jours à se rendre en Chine pour ne pas laisser à Julio Cobos l’intérim présidentiel pendant son absence (voir mon article à ce sujet).

Et c’est cette même affaire du limogeage de Martín Redrado qui permet peut-être à Julio Cobos et à Cristina Fernández de Kirchner d’esquisser le premier pas du début du commencement de ce qui pourrait éventuellement un jour aboutir à une forme de réconciliation politique : hier, le vice-président a dû, une nouvelle fois, départager les votes des membres de la Commission bicamérale chargée de donner au Chef de l’Etat un avis sur le bien-fondé de révoquer ou non l’ex-Gouverneur du Banco Central (lequel a, de toute manière, déjà démissionné). Et cette fois-ci, Julio Cobos a voté oui, c’est-à-dire qu’il s’est prononcé pour la révocation.

A la Casa Rosada (la résidence officielle du chef de l’Etat), on affiche sa satisfaction. Mais comme toute chose a un prix, le vote de Julio Cobos vient de lui susciter un nouvel ennemi : Martín Redrado lui-même qui accuse, par communiqué de presse, le vice président d’avoir cédé aux instances du Gouvernement et d’avoir agi par opportunisme et par démagogie électoralistes pour parfaire son image de présidentiable en 2011. Et toc !

Bien entendu, selon que vous lirez un journal de gauche pro-péroniste comme Página/12 (qui fait sa une, comme vous le voyez en illustration de cet article, en parodiant la phrase du 18 juillet 2008 : "mon vote est négatif"), un journal de centre-gauche comme Clarín, très anti-kirchneriste pour des raisons conjoncturelles (le groupe Clarín est contraint par la loi d’abandonner une position médiatique excessivement dominante) ou un journal de droite, donc d’opposition, comme La Nación, vous lirez des analyses différentes de ce qui vient de se passer.

En tout cas, l’heure est plutôt à l’apaisement sur quelques points chauds du paysage politique argentin. Même le scandale des 2 millions de dollars US achetés par Néstor Kirchner en octobre 2008 et qui laissait présager hier une belle bataille rangée préélectorale avec dénonciation de l’ex-président auprès des tribunaux et tutti quanti, va sans doute mourir de sa belle mort.
Chapeau aux péronistes K (1) pour l’habilité stratégique avec laquelle ils ont mené à bien cette opération de communication politique : ils ont en effet laissé enfler et grossir les rumeurs nauséeuses pendant au moins huit jours. Hier ou avant-hier (lire mon article du 2 février 2010 là-dessus), ils ont fait sortir du bois deux ministres des plus en vue pour semer le doute dans l’opinion publique et toute l’opposition, en expliquant d’un ton faussement gêné aux entournures et avec un grand soin d’esquiver les détails, que cette opération de devises était en fait tout ce qu’il y avait de plus légal. Ce qui a induit l’opposition, de la droite à la gauche, à se préparer à la curée finale.
Tout ça pour éteindre l’incendie qui s’annonçait avec l’envoi d’un simple mail de Néstor Kirchner lui-même et en personne à l’un des journalistes les mieux cotés d’Argentine, Victor Hugo Morales, mail dans lequel Kirchner explique benoîtement à Morales que les dollars achetés en octobre 2008 l’ont été pour investir dans le capital d’un hôtel de luxe, activité économique des plus honorables et en rien incompatible avec l’exercice passé et à venir de responsabilités politiques. En Argentine, toutes les opérations d’affaire s’évaluent et se règlent en dollars, jamais en pesos...
Du grand art ! Et peut-être aussi un signe de ce que, en dépit de toutes les difficultés notamment de moeurs économiques auxquelles je faisais allusion hier, l’Argentine, dans ses pratiques politiques, conforte la démocratie, laquelle, comme disait Churchill, est le pire des régimes à l’exception de tous les autres (et les Sud-Américains savent ce que cela veut dire).

Pour aller plus loin :
En français :
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En espagnol :
Lire l’article de Página/12 sur l’analyse du vote de la Commission bicamérale et de la prise de position de Julio Cobos
Lire l’article de Clarín sur le même sujet
Lire l’article de La Nación sur le vote de la Commission bicamérale
Lire l’article de La Nación sur la réaction de Martín Redrado au vote de cette motion contre lui.
Lire l’article de Clarín sur le dénouement (apparent en tout cas) du (faux) scandale de l’achat de dollars par Néstor Kirchner
Lire l’article de La Nación sur le même sujet. Vous aurez en prime le témoignage audio du journaliste Victor Hugo Morales, destinataire de l’email explicatif de l’ancien président de la République.
(1) péronistes K : surnom de la majorité du partido justicialista qui suit le couple Kirchner.