On croyait sans doute que l’inondation était une réalité perdue dans la mémoire poétique de Homero Manzi, à seule fin d’écrire l’un des plus beaux vers du tango qui se trouve dans ce chef d’oeuvre immortel, ce must du répertoire du tango, qu’est Sur...
San Juan y Boedo antigua, y todo el cielo,
Pompeya y más allá la inundación...
Tu melena de novia en el recuerdo
y tu nombre flotando en el adiós.
Homero Manzi
Pompeya y más allá la inundación...
Tu melena de novia en el recuerdo
y tu nombre flotando en el adiós.
Homero Manzi
San Juan et la vieille Boedo, et tout le ciel
Pompeya et au-delà l’inondation.
Ta coiffure de mariée dans la mémoire
Et ton nom flottant dans un adieu.
(Traduction Denise Anne Clavilier) (1)
Pompeya et au-delà l’inondation.
Ta coiffure de mariée dans la mémoire
Et ton nom flottant dans un adieu.
(Traduction Denise Anne Clavilier) (1)
Jusque dans les années 1920 dont se souvenait Homero Manzi, les inondations étaient le fait des crues des rivières deltaïques qui abondent dans et autour de Buenos Aires. Ces inondations font partie, grâce à Homero Manzi, de la mémoire collective des Portègnes, même de ceux qui n'en ont aucune expérience historique. Etaient particulièrement surveillés le Maldonado, le Vega et le Medrano, à présent canalisés et enfouis grâce à des ouvrages hydrauliques qui contribuent à résorber les colères de la nature. Et plus que tous les autres encore, on redoutait le Riachuelo, qui ceinture le sud de Buenos Aires, de Mataderos à La Boca. Le Riachuelo, d’ordinaire paresseux, est capable pourtant de faire plusieurs crues dans la même année et il était donc fréquent que les habitants de Mataderos, Nueva Pompeya et La Boca dans la capitale et les départements (partidos) de Lanús et Avellaneda de l’autre côté du cours d’eau eussent les pieds dans l’eau. Depuis, des travaux ont été réalisés qui permettent de contenir cette rivière.
Mais c’est compter sans les pluies diluviennes qui peuvent s’abattre sur le nord du Río de La Plata en été. Or depuis avant-hier, les orages ont déversé sur Buenos Aires des quantités d’eau qui ont déraciné des arbres, transformé des poubelles déposés sur le trottoir (à l’heure de la collecte des ordures) en radeaux livrés à eux-mêmes et couvert les rues de plusieurs décimètres d’eau qui font obstacle à la circulation.... Les feux rouges sont hors service, la ligne B du métro aussi et ainsi de suite comme toujours dans ce genre de circonstances. Le tout se passe pendant les deux jours fériés des Lundi et Mardi Gras où le Carnaval bat son plein.
Avant-hier, lundi, l’orage a déversé 88,5 mm de précipitation sur la ville en deux heures et hier encore un peu plus dans le même temps : 90 mm. Ces deux orages, d’une violence rare, ne sont pas non plus les premiers de la saison. On compte deux à trois gros orages par semaine depuis le début de l’été. Et les deux derniers ont causé des ruptures d’alimentation électrique en une saison où les Portègnes consomment beaucoup d’énergie pour faire tourner les appareils de climatisation. On évalue à 30 000 le nombre de foyers où l’on s’est réveillé ce matin privé d’électricité.
Les journaux posent sur l’événement un regard différent selon qu’ils sont de gauche ou de droite, hostiles ou favorables à la gestion libérale du Gouvernement de la Ville Autonome présidé par Mauricio Macri. Comme d’habitude, c’est le quotidien de gauche, Página/12, qui traite l’info en première page et qui réussit la une la plus rigolote (et la plus partiale aussi) avec un de ces montages photos dont la rédaction a le secret et le jeu de mots dont elle a l'habitude de régaler son lectorat (Macri Nada, c'est à la fois Macri Néant et Macri nage). Voir l’illustration ci-dessus (2).
Vous remarquerez en lisant ces articles que les choses se passent là-bas d’une toute autre manière qu’en Europe, où en pareil cas la presse commente en premier lieu la réactivité des pouvoirs publics sommés de déclarer dans l’urgence un état de catastrophe naturelle, pour déclencher les procédures d’indemnisation des particuliers et des entreprises par les compagnies d’assurance privées. Là-bas, ce qui est immédiatement scruté par les journalistes, c’est la mise en place d’un système d’indemnisation sur les deniers publics. En effet, assurer son logement n’est pas à la portée de tout le monde. Il y a donc bien des gens à Buenos Aires qui n’ont pas aujourd’hui de recours financiers privés face au sinistre.
C’est pourquoi le Gouvernement portègne a annoncé qu’il dégageait un budget pour les sinistrés à hauteur maximum de 5000 pesos par foyer affecté (3).
Les victimes des intempéries doivent se faire connaître aux services municipaux, en justifiant de leur identité et de la réalité du sinistre, au plus tard dans le délai de sept jours.
Imaginez qu’une partie des habitants est encore en vacances, sur la côte, à la montagne ou dans le nord du pays, et vous aurez un tableau assez réaliste d’une situation pas vraiment drôle...
Pour en savoir plus :
Lire l’article principal de Página/12
Lire l’article principal de Clarín d’hier soir (lui aussi dans l’opposition au Gouvernement portègne)
Lire l’article de Clarín de lundi
Lire l’article de La Nación (favorable au Gouvernement portègne).
Pour aller plus loin :
Lire mes articles liés à Nueva Pompeya et à la Esquina Homero Manzi.
Les Bares Notables, ce qui se passe dans le quartier de Boedo et le poète Homero Manzi disposent d’un raccourci à leur nom dans la Colonne de droite (partie haute, réservée aux liens internes).
Lire mes articles liés à Nueva Pompeya et à la Esquina Homero Manzi.
Les Bares Notables, ce qui se passe dans le quartier de Boedo et le poète Homero Manzi disposent d’un raccourci à leur nom dans la Colonne de droite (partie haute, réservée aux liens internes).
(1) Sur (dont la musique est de Aníbal Troilo) fait partie des tangos traduits dans mon recueil bilingue à paraître en France début avril aux Editions du Jasmin (cliquez sur Ant Jasmin pour accéder à l’ensemble des articles consacrés à cet ouvrage sur le blog).
Dans cette citation qui reprend les 4 premiers vers de Sur, San Juan y Boedo sont les noms de deux avenues, qui appartenaient alors au quartier de Almagro et qui sont passées depuis dans celui de Boedo, de création plus récente (dans les années 1970 seulement). A l’angle sud-est de ce carrefour se trouve la Esquina Homero Manzi, tout à la fois Bar Notable où il fait bon aller prendre un verre dans la journée, cena-show à touristes à 21h30 tous les soirs, et authentique tanguería certains soirs après minuit (quand les touristes sont couchés et que les Portègnes restent entre eux).
Pompeya, c’est le quartier de Nueva Pompeya, où, adolescent, Homero Manzi a été mis en pension et dont il fait admirablement mémoire dans plusieurs tangos, notamment Sur, Barrio de Tango, Mi taza de café et Manoblanca, qui a donné son nom à un musée public d’art populaire portègne à deux pas de ce qu’il reste du bâtiment de l’ancien Colegio Luppi.
(2) La lutte pour le respect du droit international dont il est question dans la manchette du haut de page fait référence à une décision gouvernementale, expliquée en conférence de presse par le Premier Ministre, Aníbal Fernández : l’exploitation du pétrole des Malouines par les Britanniques vient de réactiver le contentieux anglo-argentin concernant ces terres de l’Antarctique. En réponse, l’Argentine vient de décider que tout navire à destination des Malouines souhaitant naviguer dans les eaux territoriales argentines (c’est-à-dire 100 % du trafic) devraient obtenir l’autorisation du pays pour entrer dans les eaux nationales. D’après A. Fernández, il s’agit de faire pression sur la Grande-Bretagne pour l’obliger à respecter une résolution de l’ONU qui a ordonné il y a de nombreuses années la tenue de négociations bilatérales entre les deux pays pour la possession des Malouines et des Iles Sandwich du Sud, négociations auxquelles, selon l’Argentine, le Royaume-Uni se refuse à participer.
(3) C’est une somme qui ne suffira pas à remeubler une maison et à la rééquiper à neuf si l’électroménager n’a pas survécu à l’eau qui s’est engouffrée dans l’habitat. Mais c’est tout de même une vraie enveloppe pour la ville car à Buenos Aires, les logements sont encore dans de très nombreux cas des maisons individuelles qui font rarement plus de deux étages. Nul doute donc qu’il y ait beaucoup de sinistrés à assister économiquement.