Le Secrétaire Général d’Interpol, dont les services ont été sollicités par l’Argentine pour aider à l’arrestation des commanditaires de l’attentat de l’AMIA, a convoqué à Lyon à la mi-mars prochain une délégation argentine et une délégation iranienne pour négocier la possibilité que le procès contre les auteurs de l’attentat se déroule dans un pays tiers.
L’attentat de l’AMIA s’est produit le 18 juillet 1994, à 9h53 du matin. Une voiture piégée a été garée devant l’entrée de la mutuelle juive et en explosant, elle a détruit l’édifice. Au-delà de sa fonction d’assurance mutualiste confessionnelle, l’AMIA tient à Buenos Aires un rôle assez proche de celui que tient en France le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives) à quoi s’ajoute une fonction de club social, avec des activités culturelles. A cette heure-là, l’établissement était en pleine activité et la rue Pasteur, dans le quartier de l’Abasto, très fréquentée. L’explosion a fait 85 morts (+1 victime, comptabilisée plus tardivement) et plus de 300 blessés, dont beaucoup garderont des séquelles toute leur vie.
Sous la présidence de Néstor Kirchner, l’enquête judiciaire a été reprise à zéro et on a découvert que les services secrets iraniens pourraient avoir joué un rôle dans ce qui reste l’attentat antisémite le plus meurtrier en dehors des frontières d’Israël. Néstor Kirchner a même dénoncé à la tribune de l’ONU la mauvaise volonté de l’Iran dans le processus d’enquête. Le président en fonction à l’époque, Carlos Menem, ennemi juré des Kirchner au sein du Partido Justicialista, est actuellement poursuivi pour avoir couvert grâce à son immunité constitutionnelle deux hommes que, dès la fin juillet 1994, la police soupçonnait d’être les poseurs de bombe et pour être intervenu dans l’enquête. Le juge en charge de cette enquête initiale a été condamné pour avoir falsifié le dossier en vue de faire accuser un groupe de policiers de la Police de la Province de Buenos Aires, dont l’innocence a, depuis, été reconnue.
Interpol tente donc de réitérer pour l’AMIA l’opération qui avait permis la tenue aux Pays-Bas du procès de l’attentat de Lockerbie, qui impliquait la Grande-Bretagne sur le territoire de laquelle l’avion de la PanAm avait explosé et la Libye, dont plusieurs ressortissants étaient accusés d’être les commanditaires de l’attentat.
C’est le quotidien Página/12, fervent soutien de la cause des victimes de l’AMIA, qui diffuse et analyse l’information dans son édition d’aujourd’hui.
L’attentat a très vivement affecté les Argentins et principalement les Portègnes et les Bonaerenses. D’abord par l’ampleur du désastre. Ensuite parce que l’Argentine s’enorgueillit, à juste titre, du bon accueil qu’elle a fait aux juifs du monde entier depuis son indépendance, de la réussite de leur intégration sociale, culturelle et politique, dans un pays pourtant très marqué par une tradition catholique intolérante, longtemps dominée par l’Inquisition espagnole, et de l’importance de la communauté israélite argentine, qui est la plus forte du sous-continent. Enfin, parce que c’est sur son sol, à la grande honte de tous les démocrates, que le 1er mai 1960, le Mossad a enlevé Adolf Eichmann, qui avait organisé à partir de 1942 l’extermination des juifs en Pologne. Eichmann avait trouvé refuge en Argentine en 1950, sous le premier mandat de Juan Perón. Dix ans plus tard, sous le mandat d’Arturo Frondizi, il vivait dans la capitale sous une fausse identité et avait été localisé par Simon Wiesenthal quelque part sur l’avenue Garibaldi. Dès sa capture par un petit commando, il fut exfiltré clandestinement vers Haïfa via l’aéroport d’Ezeiza. Et au cours d’un très long procès, devant la presse du monde entier, il a été jugé en Israël et condamné à mort. Il a été pendu le 1er juin 1962. Ce procès marqua la prise de conscience au niveau mondial du caractère spécifiquement raciste et antisémite des crimes nazis, alors que Nüremberg avait mis en lumière les atrocités commises sans distinguer entre persécution politique (les résistants, les communistes, les francs-maçons, les chrétiens engagés...) et persécution de type raciste (les juifs, les tziganes, les homosexuels, les handicapés, les malades mentaux...).
Par un raccourci terrible, le caractère spectaculaire de cet enlèvement a accrédité dans le grand public l’idée, tout à fait fausse, que l’Argentine a été la terre d’élection des fuyards nazis en Amérique du Sud. Pourtant tous les pays du sous-continent en ont accueilli et certains beaucoup plus que l’Argentine, sans avoir pour autant à subir la flétrissure diplomatique d’une opération commando au coeur de leur capitale. On a ainsi moins parlé des criminels remis à la justice par les voies diplomatico-légales. Pire encore, le grand public n’a jamais entendu parler des criminels qui n’ont pas été livrés à la justice ni de ceux qui ont donné un coup de main technique aux dictatures, comme celle de Stroessner au Paraguay, pour organiser les centres de détention, durcir les protocoles de torture et régler leur sort aux militants des droits de l’homme (ce qui, jusqu’à plus ample informée, ne s’est pas produit en Argentine).
Sous le gouvernement de Néstor Kirchner, le 18 juillet a été proclamé Jour du Souvenir (Día de la Memoria) au niveau national. En mémoire des victimes de cet attentat. Dans les ministères, sur les média publics, dans les écoles, ce jour-là, on observe une minute de silence. Les officiels déposent des gerbes devant les monuments commémoratifs. Les associations et les centres culturels organisent des conférences, des colloques, parfois des concerts autour de la thématique des droits de l’homme et la lutte contre le racisme. La presse publie des articles mémoriels, historiques, analytiques ou judiciaires (sur l’avancée ou l’enlisement de l’enquête).
Bref, c’est un événement qui aura marqué la conscience nationale.