mardi 9 février 2010

Cobián y Cadícamo dans Verano/12 [Troesmas]

Cadícamo âgé croqué par Miguel Rep

Ce matin, dans son supplément Verano/12 (Eté 12), le quotidien argentin Página/12 publie de larges extraits d’un livre de souvenirs que le poète et compositeur Enrique Cadícamo (1900-1999) a consacré à son ami et partenaire, le pianiste et compositeur Juan Carlos Cobián (1896-1953), avec lequel il a signé plusieurs chefs d’oeuvre immortels.
C’est l’écrivain Eduardo Berti, qui a connu Cadícamo, qui signe la présentation de ces quelques pages (1). Voici son entrefilet :

Parece mentira que Enrique Cadícamo no llegara a cumplir los cien años. Le faltaban pocos días cuando murió y se quedó sin esa medalla, casi como un Reutemann sin nafta. En cualquier caso, debe de ser su única hazaña incompleta porque, en su larga vida, cumplió mil y un sueños: escribió letras de tangos que estrenó Gardel, compuso músicas bajo el sombrero de Rosendo Luna, hizo cine, conformó con Juan Carlos Cobian una dupla compositiva exquisita (“Los mareados”, “Nostalgias”) y hasta publicó varios libros de memorias, dos de ellos en especial: uno que cuenta el debut de Carlos Gardel en París desde una doble condición de protagonista y testigo; otro que retrata a su querido Cobian e incluye varias escenas imborrables, como el histórico combate entre Firpo y Jack Dempsey, presenciado desde el borde del ring.
Eduardo Berti, Página/12

C’est incroyable que Enrique Cadícamo n’ait pas réussi à arriver jusqu’à ses 100 ans (2). Il ne lui manquait que quelques jours au moment de sa mort et il est parti sans cette médaille, comme un Reutemannn (3) sans essence. En tout cas, il était écrit que ce serait son seul exploit inachevé puisque, dans sa longue vie, il a réalisé mil et un rêves : il a écrit des tangos que Gardel a créés, il a composé de la musique sous le chapeau de Rosendo Luna (4), il a fait du cinéma (5), il a constitué avec Juan Carlos Cobián un duo créateur exquis (Los mareados, Nostalgias) et il a même publié plusieurs livres de mémoires, deux en particulier : l’un qui raconte les débuts de Carlos Gardel à Paris (6) dans sa double condition de protagoniste et de témoin ; l’autre qui dresse le portrait de son cher Cobián (6) et comprend plusieurs scènes indélébiles, comme le combat historique entre Firpo et Jack Dempsey (7), auquel il a assisté tout près du ring.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Tuve la suerte de conocer a Cadícamo y de poder charlar con él. Le gustaba polemizar, provocar al interlocutor. Le gustaba “ir a la pelea de fondo”; o sea, al fondo del asunto.
Cadícamo, desde luego, podría no haber escrito libros e igualmente habría pasado a la historia por versos como “hoy vas a entrar en mi pasado”, “muñeca brava bien cotizada”, “nunca más su voz nombró mi nombre junto a mí” o el proverbial “vuelvo cansado a la casita de mis viejos”. Sin embargo, Cobian, ese desconocido es un libro apasionante. A menudo me pregunto si algún director de cine tendrá los reflejos de hacer algo con él.
Eduardo Berti, Página/12

J’ai eu la chance de connaître Cadícamo et de pouvoir bavarder avec lui. Il aimait la polémique, il aimait provoquer son interlocuteur. Il aimait aller au bout des choses.
Pour autant, Cadícamo aurait pu ne pas écrire de livres, il serait tout aussi bien passé à l’histoire pour avoir écrit des vers comme : "Aujourd’hui tu vas entrer dans mon passé"
(8), "Sacrée poupée qui a la cote" (9), "Plus jamais sa voix n’a dit mon nom à côté de moi" (10) et le proverbial "Je reviens éteint dans la maisonnette de mes vieux" (11). Pourtant, Cobián, cet inconnu, est un livre passionant. Je me demande souvent si un réalisateur aura le réflexe de faire quelque chose de ce livre.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Pour en savoir plus :
Lire les extraits publiés par Página/12

(1) 5 pages et demie en format A4. Beaucoup trop long pour qu’il soit significatif et même intéressant que je vous en traduise des passages. En revanche, même sans filet de sécurité, c’est à savourer tranquillement comme si on était à la plage (c’est fait pour !).
(2) Enrique Cadícamo, né le 15 juillet 1900 (voir
mon article d’hommage du 15 juillet 2009), à General Rodríguez, un village tout proche de Luján et qui n’avait pas encore d’état-civil propre, est décédé à Buenos Aires, le 3 décembre 1999. Ainsi non seulement il a manqué ses 100 ans à six mois près mais il a aussi raté l’an 2000 à 4 semaines près...
(3) Allusion à Carlos Reutemann, né en 1942, ancien champion automobile, de 1965 à 1982. Il est désormais Sénateur (parti justicialiste, donc péroniste) pour la Province de Santa Fe, où il est né. C'est un anti-K, donc un opposant interne à la Présidente. On lui prête l'intention de se présenter à la prochaine élection présidentielle qui se tiendra en octobre 2011. Vous pouvez consulter
son site si cela vous chante. Enrique Cadícamo était un passionné de moteurs, de grosses motos, de belles voitures et de vitesse...
(4) C’était le pseudo qu’il avait choisi pour signer ses partitions. Il aimait ce nom aux consonances rurales. D’où l’allusion au chapeau sans doute.
(5) Enrique Cadícamo a été scénariste et il a même été cinéaste. C’est d’ailleurs sur le plateau d’un film dont il était scénariste qu’il a rencontré pour la première fois sa femme, Nelly, qu’il allait épouser seulement 10 ans plus tard, en 1960. Ce jour-là, la beauté de cette toute jeune danseuse habillée à la mode 1900 l’a tellement fasciné qu’il a pris peur, qu’il a fui et n’a plus jamais mis les pieds sur le plateau de tout le tournage. Il a retrouvé la jeune fille plus tard dans un studio de danse où il était allé accompagner un ami.
(6) disponible aux Editions Corregidor, dont vous trouverez le lien dans la rubrique Les commerçants del Barrio de Tango dans la partie basse de la Colonne de droite.
(7) un combat de boxe d’anthologie au Luna Park, dont il me semble me rappeler qu’il l’évoque aussi dans ses propres mémoires, elles aussi parues chez Corregidor. Ne pas confondre Firpo le boxeur avec Roberto Firpo, le compositeur de tango.
(8) dans Los mareados que la censure bien-pensante de 1943-1949 l’obligea à rebaptiser En mi pasado, à cause de ce vers (qu’il put sauver des ciseaux impies).
(9) dans Muñeca Brava.
(10) dans Nieblas del Riachuelo.
(11) dans La Casita de mis viejos, que Rudy et Daniel Paz se sont amusés à pasticher en septembre dernier dans un dessin de une de Página/12 portant sur le trafic de médicaments dont l’instruction est encore en cours (voir là-dessus
mon article du 22 septembre 2009).