jeudi 12 mars 2020

Humour tanguero par temps de pandémie [Actu]

"Le monde, il lui manque un masque" [de chirurgien]

Página/12 ne perd que très rarement son sens de l'humour et ce matin, la rédaction détourne à la une une citation de Enrique Cadícamo (1900-1999), grand poète du tango, auteur de Al mundo le falta un tornillo (le monde, il lui manque une case) (1), décrivant les effets sociaux de la Grande Dépression de 1929 dans l’Argentine sous gouvernement putschiste en 1933 et enregistré par Carlos Gardel.

La rédaction de La Prensa a préféré faire dans le sensationnel

Écoutons le refrain de ce petit chef d’œuvre, qui n’a pas connu la gloire de Cambalache (Enrique Santos Discépolo) alors qu’il traite le même sujet avec autant de verve et d’humour (2).

Hoy se vive de prepo
y se duerme apurao.
Y la chiva hasta a Cristo
se la han afeitao…
Hoy se lleva a empeñar
al amigo más fiel,
nadie invita a morfar…
todo el mundo en el riel.
Al mundo le falta un tornillo
que venga un mecánico…
¿Pa' qué, che viejo?
Pa' ver si lo puede arreglar.
Enrique Cadícamo

Aujourd’hui, on vit de rapine
et on dort à crédit
et la barbe, on l’a rasée
même au Christ…
Aujourd’hui, on va mettre au clou
son meilleur ami.
Personne ne t’invite plus à bouffer.
Le monde entier part à vau-l'eau.
Le monde, il lui manque une case.
Faut appeler un dépanneur…
Et pourquoi faire, mon vieux ?
Ben ! pour voir s’il peut pas l’réparer.
Traduction © Denise Anne Clavilier

A écouter sur Todo Tango.

Clarín fait un choix plus raisonnable que La Prensa
mais assez flippant tout de même avec ce musée Reine Sofia
quasiment déserté par les visiteurs à Madrid
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L’Argentine et l’Uruguay sont atteints par le coronavirus et comme ici, les gouvernements prennent de nombreuses mesures pour ralentir la contagion interpersonnelle : restrictions d’accès au pays, annulation d’événements, mise en quarantaine obligatoire en Argentine pour toutes les personnes qui viennent de zones déjà infectées (c’est-à-dire à peu près tout ce qui n’est pas l’Amérique du Sud). En Argentine, les personnes qui rentrent d’une de ces zones et ne se conformeraient pas à une stricte réclusion à leur domicile encourent jusqu’à deux ans de prison pour un délit contre la sécurité publique. Par culture, les Argentins sont assez indisciplinés, mais maintenant ça ne rigole plus !
Les éditeurs envisagent d’annuler la Feria del Libro qui se tient tous les ans en avril et brasse beaucoup de monde, avec une grande promiscuité entre les visiteurs et les exposants qui se saluent par la traditionnelle et très chaleureuse accolade, même entre inconnus.
Comme en France, l’épiscopat argentin impose la communion à la main (ça va leur faire du bien, ça va moderniser un peu le rituel !) et suspend le geste de paix (qui passe par une poignée de main ou une étreinte).
En Uruguay, le tout nouveau ministre de la Santé vient de demander à ses compatriotes d’arrêter de partager le maté puisque tout le monde boit à la même bombilla. Un déchirement culturel et relationnel dans ce pays !
Il y a quelques jours, il y a eu un mort en Argentine, un monsieur de 64 ans qui revenait d’un séjour en France, et un musicien argentin établi en Espagne vient de succomber à Madrid...

Pour en savoir plus :
lire l’article de La Prensa sur la quarantaine obligatoire
lire l’article de Clarín sur la quarantaine



(1) Traduction littéraire : « au monde, il lui manque un tournevis ».
(2) Cambalache figure dans mon anthologie Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins, Éditions du Jasmin, 2010.