"Le monde, il lui manque un masque" [de chirurgien] |
Página/12 ne perd que très rarement son sens de l'humour
et ce matin, la rédaction détourne à la une une citation de Enrique Cadícamo
(1900-1999), grand poète du tango, auteur de Al mundo le falta un
tornillo (le monde, il lui manque une case) (1), décrivant les
effets sociaux de la Grande Dépression de 1929 dans l’Argentine
sous gouvernement putschiste
en 1933 et enregistré par Carlos Gardel.
La rédaction de La Prensa a préféré faire dans le sensationnel |
Écoutons
le refrain de ce petit chef d’œuvre, qui n’a pas connu la gloire
de Cambalache (Enrique Santos Discépolo) alors qu’il traite le
même sujet avec autant de verve et d’humour (2).
Hoy
se vive de prepo
y se duerme apurao.
Y la chiva hasta a Cristo
se la han afeitao…
Hoy se lleva a empeñar
al amigo más fiel,
nadie invita a morfar…
todo el mundo en el riel.
Al mundo le falta un tornillo
que venga un mecánico…
¿Pa' qué, che viejo?
Pa' ver si lo puede arreglar.
y se duerme apurao.
Y la chiva hasta a Cristo
se la han afeitao…
Hoy se lleva a empeñar
al amigo más fiel,
nadie invita a morfar…
todo el mundo en el riel.
Al mundo le falta un tornillo
que venga un mecánico…
¿Pa' qué, che viejo?
Pa' ver si lo puede arreglar.
Enrique
Cadícamo
Aujourd’hui,
on vit de
rapine
et
on dort à crédit
et
la barbe, on l’a rasée
même
au Christ…
Aujourd’hui,
on va mettre au clou
son
meilleur ami.
Personne
ne t’invite plus à bouffer.
Le
monde entier part à vau-l'eau.
Le
monde, il lui manque une case.
Faut appeler un dépanneur…
Et
pourquoi faire, mon vieux ?
Ben ! pour voir s’il peut pas l’réparer.
Traduction
© Denise Anne Clavilier
A
écouter sur Todo Tango.
L’Argentine
et l’Uruguay sont atteints par le coronavirus et comme ici, les
gouvernements prennent de nombreuses mesures pour ralentir la
contagion interpersonnelle : restrictions d’accès au pays,
annulation d’événements, mise en quarantaine obligatoire en
Argentine pour toutes les personnes qui viennent de zones déjà
infectées (c’est-à-dire à peu près tout ce qui n’est pas
l’Amérique du Sud). En Argentine, les personnes qui rentrent d’une
de ces zones et ne se conformeraient pas à une stricte réclusion à
leur domicile encourent jusqu’à deux ans de prison pour un délit
contre la sécurité publique. Par culture, les Argentins sont assez indisciplinés, mais maintenant ça ne rigole plus !
Les
éditeurs envisagent d’annuler la Feria del Libro qui se tient tous
les ans en avril et brasse beaucoup de monde, avec une grande promiscuité entre les visiteurs et les exposants qui se saluent par la traditionnelle et très chaleureuse accolade, même entre inconnus.
Comme
en France, l’épiscopat argentin impose la communion à la main
(ça va leur faire du bien, ça va moderniser un peu le rituel !)
et suspend le geste de paix (qui passe par une poignée de main ou
une étreinte).
En
Uruguay, le tout nouveau ministre de la Santé vient de demander à
ses compatriotes d’arrêter de partager le maté puisque tout le
monde boit à la même bombilla. Un déchirement culturel et relationnel dans ce
pays !
Il
y a quelques jours, il y a eu un mort en Argentine, un monsieur de 64 ans qui revenait d’un
séjour en France, et un musicien argentin établi en Espagne vient de succomber à Madrid...
Pour
en savoir plus :
lire
l’article de La Prensa sur la quarantaine obligatoire
lire
l’article de Clarín sur la quarantaine
(1)
Traduction littéraire : « au monde, il lui manque un
tournevis ».
(2)
Cambalache figure dans mon anthologie Barrio de Tango, recueil
bilingue de tangos argentins, Éditions du Jasmin, 2010.