mardi 12 octobre 2010

Sortie du film sur le combat discret des pères de disparus [Actu]


Si, en Argentine, on parle beaucoup des mères des disparus sous la Dictature, parce qu’elles se sont organisés en une association qui a vite rencontré l’intérêt des médias et des ONG des droits de l’homme qui militaient alors dans l’hémisphère nord contre les dictatures d’Amérique du Sud, le sort et le combat des pères est resté dans l’ombre. En partie volontairement. Parce qu’ils avaient constaté que la mise en valeur des femmes était plus efficace auprès de l’opinion publique mondiale et des instances internationales.

Un documentaire leur rend justice : celui qu’a tourné le jeune cinéaste Joaquín Daglio et qui sort aujourd’hui, Padres de la Plaza 10 recorridos posibles (Père de la Place, 10 parcours possibles).

Página/12 leur dédie ce matin une interview.

Quelques extraits. Aussi poignants et insupportables que les récits des petits-enfants lorsque Abuelas fait sa conférence de presse d’identification. Que les récits des adhérentes de Madres, qui continuent de demander ce qu’il est advenu de leurs enfants…

Los padres nunca estuvimos ausentes -dice el abogado Rafael Beláustegui-, sino realizando otras tareas: averiguaciones ante las autoridades militares, judiciales (presentación de hábeas corpus) y eclesiásticas. En cuarteles, comisarías, hospitales, cementerios, y en cuanto lugar teníamos la esperanza de encontrar respuesta a la falaz iniquidad de que nuestros hijos estaban ‘desaparecidos’. Yo perdí a tres hijos con sus parejas, y dos nietos en gestación. Martín y Cristina el 26 de julio de 1976, día del cumpleaños (20) de mi hijo, que ese mismo día, por carta recibida en Brasil, me escribía que esperaban mi primer nieto; mi hija Valeria y Ricardo, el 13 de mayo de 1977 y José y Cristina el 30 de mayo, del mismo año. Era el día en que mi hijo José cumplía 23.
Página/12 citant Rafael Beláustegui

Nous les pères, nous n’avons jamais été absents, dit l’avocat Rafael Beláustegui, mais nous nous occupions d’autres tâches : vérifications auprès des autorités militaires, judiciaires (présentation d’habeas corpus) et ecclesiastiques. Dans les casernes, les commissariats, les hôpitaux, les cimentières et dans tout lieu nous avions l’espoir de trouver une réponse à la fallacieuse injustice de la disparition de nos enfants. Moi, j’ai perdu trois enfants et leurs conjoints et deux petits-enfants en gestation. Martín et Cristina le 26 juillet 1976, le jour de l’anniversaire (20 ans) de mon fils, qui, ce même jour, dans une lettre reçue au Brésil, m’écrivait qu’ils attendaient leur premier enfant, ma fille Valeria et Ricardo, le 13 mai 1977 et José et Cristina le 30 mai de la même année. C’est le jour où mon fils José fêtait ses 23 ans.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

“En el campo de concentración de Treblinka una frase dice: ‘Escribid, que eso queda’ –afirma Marcos Weinstein, quien con su 82 años continúa ejerciendo como psiquiatra–. Y como el cine es literatura en imágenes, acepté participar para dar difusión a la temática de los derechos humanos, con la que estoy comprometido. Mi hijo Mauricio era militante de la UES, fue secuestrado el 19 de abril de 1978, a los 18 años. A partir de ahí consulté con la APDH y con las Madres. Declaré en el ’85 en el juicio a las Juntas. Comenzamos a planificar la creación de la Fundación Memoria Histórica y Social Argentina, con otros afectados que no coincidían con los organismos, que se seguían dividiendo. Con Mauricio Brodsky trabajamos en la Asociación de Familiares de Desaparecidos Judíos. La película aporta el mensaje del compromiso de los familiares durante el período de la dictadura y después en las organizaciones. Son fracciones de historias de vida, de tantos argentinos que fuimos víctimas de la dictadura. Las historias muestran un perfil diferente de cada uno de nosotros y asimismo del desaparecido, como una forma de preservar su identidad y no sólo la figura, como se hacía al principio en las marchas: un cuerpo vacío.”
Página/12 citant Marcos Weinstein

Dans le camp de concentration de Treblinka, une phrase dit : "Ecris, car cela reste", affirme Marcos Weinstein, qui, à 82 ans, continue d’exercer son métier de psychiatre. Et comme le cinéma est de la littérature en images, j’ai accepté de participer pour donner de la répercussion à la thématique des droits de l’homme, avec celle auprès de qui je me suis engagé. Mon fils Mauricio était un militant de l’UES (1) a été enlevé le 19 avril 1978, à l’âge de 18 ans. A partir de là, j’ai travaillé avec la APDH et avec les Mères [de la Place de Mai]. J’ai témoigné en 1985 dans le procès contre la Junte. Nous avons commencé à planifier la création de la Fondation Mémoire Historique et Sociale Argentine avec d’autres victimes qui n’étaient pas d’accord avec les organismes qui continuaient de se diviser. Avec Mauricio Brodsky, nous avons travaillé à l’Association des Parents de Disparus Juifs. Le film transmet le message de l’engagement des parents durant la période de la dictature et après, dans les organisations. Ce sont des morceaux d’histoire de vie, de tant d’Argentins que nous avons été à être victimes de la dictature. Les histoires montrent un profil différent de chacun de nous et il en va de même du disparu, comme une manière de préserver son identité et pas seulement sa silhouette, comme cela se faisait au début dans les défilés : un corps vide.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Oscar Hueravilo es chileno, mapuche, se reconoce marxista de toda la vida y dice: “Los padres nos automarginamos por el temor a caer presos. De los padres de la película me duele nombrar a Mario Belli, un gran luchador y compañero que ya no está. Nos conocemos desde la época en que íbamos a la Liga Argentina por los Derechos Humanos y después a Familiares, del que soy uno de los fundadores. Me encantó que Joaquín, el director, se preguntara qué pasaba con los padres, dónde estaban, y empezara a investigar, a buscar a los viejos militantes hasta llegar a mi casa en Berazategui. Relato el secuestro de mi hijo ‘Taro’ y de mi nuera y la historia de mi nieto recuperado. Cuando la vimos con mi nieto en una privada, me emocioné y lloré durante toda la película. No por cobardía, sino por dolor e impotencia ante los genocidas. Me fui del PC en el ’79. Me dolió la posición de los dirigentes del PC, que fueron poco solidarios con sus desaparecidos. Mi hijo era un cuadro político, estaba estudiando Derecho y mi nuera era maestra. Los padres de la película reivindican la lucha popular de sus hijos/as o yernos antes y después de la dictadura. Además exigen que los gobiernos de turno sigan haciendo juicios. El sufrimiento que sentimos es similar. Emiliano nació el 11 de agosto en la ESMA. Mirta lo amamantó durante 22 días y después la ‘trasladaron’. Mi esposa y yo militábamos y además yo era delegado en la construcción. Mi hijo de chico no tenía con quién jugar y en mi casa yo escondía los libros, folletos y los diarios del partido para que él no los viera. Estaba terminando la primaria y un vecino me dijo que lo había visto a ‘Taro’ en la marcha de los docentes con su maestra. El había leído todos los libros que yo escondía.
Página/12 citant Oscar Hueravilo

Oscar Hueravilo est chilien, mapuche (2) et il se reconnaît marxiste jusqu’à la mort. Il dit : Nous les pères, nous nous sommes auto-marginaliser par peur de finir en prison. Entre les pères du film, j’ai de la peine à parler de Mario Belli, un grand combattant et un camarade qui n’est plus là. Nous nous sommes connus à l’époque où nous allions à la Ligue Argentine des Droits de l’Home et après à Parents (3), dont je suis l’un des fondateurs. Cela m’a ravi que Joaquín, le réalisateur, se soit demandé ce qui se passait du côté des pères, où ils étaient et ait commencé à enquêter, à chercher les vieux militants jusqu’à arriver chez moi, à Berazategui (4). Je raconte l’enlèvement de mon fils "Taro", de ma bru et l’histoire de mon petit-fils identifié. Quand je l’ai vu avec mon petit-fils au cours d’une projection privée, j’ai été très ému et j’ai pleuré pendant tout le film. Pas par lâcheté, mais à cause de la souffrance et de l’impuissance face aux génocidaires. J’ai quitté le PC en 1979. Elle m’a fait mal, la position des dirigeants du PC qui furent peu solidaires avec leurs disparus. Mon fils était un cadre politique, il étudiait le droit et ma bru était maîtresse d’école. Les pères du film revendiquent la lutte populaire de leurs fils et filles ou de leurs gendres avant et après la dictature. En plus, ils exigent des gouvernements en place qu’ils continuent les procès. La souffrance que nous avons subie est la même pour tous. Emiliano est né le 11 août à l’ESMA (5). Mirta l’a allaité pendant 22 jours et après ils l’ont "transférée". Mon épouse et moi, nous avons milité et en plus moi, j’étais délégué syndical dans la construction. Quand il était petit, mon fils il n’avait personne avec qui jouer, et chez moi, moi je cachais les livres, les tracts et les journaux du Parti pour que lui ne les voie pas. Il était en fin d’école primaire quand un voisin m’a dit qu’il avait vu "Taro" dans le défilé des enseignants avec sa maîtresse d’école. Il avait lu tous les livres que je cachais.
(Traduction Denise Anne Clavilier)

Pour aller plus loin :
Connectez-vous au site du documentaire

Ajout du 14 octobre 2010 : lire l'article de Página/12 de ce matin

(1) Unión Estudiantil Segundaria, un mouvement politique lycéen, créé en 1953 sous le deuxième mandat de Perón, celui au cours duquel il fut renversé, en septembre 1955, par un coup d’Etat appuyé par la CIA.
(2) Les Mapuches sont des Indiens de Patagonie qui vivent de part et d’autre de la frontière chilo-argentine. Le premier bienheureux catholique argentin est mapuche, il s’agit du bienheureux Ceferino Namuncura, béatifié en août 2007.
(3) Une ONG rassemblant des parents de disparus (parents au sens large de membres d’une même famille).
(4) une ville de la Province de Buenos Aires, dans le Gran Buenos Aires.
(5) Ecole de mécanique de la Marine, qui servit de prison clandestine et de centre de torture durant toute la dictature, au nord de Buenos Aires, dans le quartier de Palermo. Madres de Plaza de Mayo y a installé son centre culturel, ECuNHi.