Un militant du Partido Obrero (parti ouvrier), Mariano Esteban Ferreyra, 23 ans, dont neuf de militantisme dans cette organisation (1), a été tué hier, dans le quartier de Barracas, par le tir d’une patrouille de sécurité ferroviaire : il était au milieu d'un groupe de compagnons, la plupart d’entre eux salariés récemment externalisés de la société de chemin de fer Roca (Ferrocarriles Roca), qui réclamaient leur réintégration dans leur entreprise d’origine. Le groupe tentait d’occuper les voies, celles-là mêmes qui passent au-dessus de ce fameux bar-restaurant Barracas qui servit de décor à Sur, le film de Pino Solanas, où Roberto Goyeneche chante (entre autres) Vuelvo al Sur (je reviens vers le Sud). Ils entendaient ainsi, comme il est fréquent en Argentine, et pas seulement en Argentine, la France en sait quelque chose en ce moment, alerter l’opinion sur leur sort peu enviable.
Bien évidemment, comme le pays est désormais une démocratie, une enquête a été ouverte par l’institution judiciaire. Mais il n’est pas sûr néanmoins qu’elle aboutisse à la découverte ni à la condamnation des vrais coupables. Le Gouvernement fédéral, par la voix notamment de Aníbal Fernández, le premier ministre (jefe de gabinete), s’est déclaré scandalisé mais le PO l’a mis en cause, au même titre que l’organisation patronale des chemins de fer, dans le communiqué émis après l’événement : la police fédérale n’aurait pas fait son travail correctement, le gouvernement n’assurerait donc pas comme il convient la liberté de manifestation. Certains syndicats, en particulier la CTA, dont le PO est proche, protestent et lancent différentes manifestations, dont plusieurs grèves.
On déplore deux autres victimes :
Elsa Rodríguez, une employée de maison, mère de famille de 7 enfants, elle aussi militante du PO depuis 7 ans, a reçu une balle en pleine tête. Elle a 56 ans, elle a été opérée avec un demi-succès (les médecins n’ont pas pu extraire tous les éclats du projectile répartis dans le cerveau). Elle se trouve donc dans un état critique et son pronostic vital est engagé.
Nelson Aguirre, jeune chômeur de 30 ans, également militant du PO, a été touché à la jambe droite et à la fesse gauche. Il est hospitalisé sans que ses jours ne soient en danger.
En 1919, un incident du même type, qui avait fait trois morts dans un premier temps, avait, dans ce même quartier de Barracas, provoqué un soulèvement populaire très long, d’une dizaine de jours, avec batailles rangées et scènes de guerrilla urbaine entre grévistes et forces de l’ordre, qui est resté dans l’histoire sous le nom de Semana Trágica, et dont on se souvient aussi comme de Los de Vasena (ceux de Vasena, du nom de l’entreprise qui employait les grévistes sur lesquels la police avait tiré). Plusieurs tangos font allusion à ces faits sanglants qui avaient abouti à la satisfaction des revendications ouvrières. Puente Alsina, dont Osvaldo Pugliese fit un remarquable enregistrement avec le chanteur Jorge Vidal (récemment disparu), est de ceux-là et pour cette raison, ce tango de Benjamín Tagle Lara a subi, à plusieurs reprises, les foudres de la censure…
Pour en savoir plus :
Lire l’article de Página/12 (quotidien de gauche, favorable à la protestation)
Lire l’article de Clarín
Lire l’article de La Nación (journal d’opposition au niveau national)
(1) En Argentine, le travail à 14 ans est légal. Ce sont donc parfois des enfants qui s’inscrivent dans les organisations ouvrières. Mariano Fereyra avait pris sa carte à l’âge de 14 ans. Il y a un an environ la majorité en Argentine a été porté de 21 à 18 ans.