Hier
à l'Audience générale du mercredi matin, accompagnée par une autre grand-mère de la
Place de Mai, qui a déjà retrouvé sa
petite-fille, et le député Juan Cadanbié,
lui-même petit-fils identifié il y a quelques années
et qui a rejoint depuis les rangs kirchneristes à la
Legislatura de Buenos Aires, Estela de Carlotto a pu s'entretenir brièvement avec
le Pape François. Pourtant, jusqu'à il y a peu, elle
doutait fort de sa bonne foi, voire de sa bonne volonté pour
aider l'association qu'elle préside à faire la lumière
sur le sort des enfants volés à leurs familles pendant
la Dictature.
Cette
jeunette octogénaire, dont l'énergie et le visage lisse et radieux vous stupéfient lorsque vous la rencontrez, est
sortie de cet entretien avec du soleil romain plein les yeux et la voix comme en
témoignent les deux interviews qu'elle a données dans
la foulée, l'une à Radio Provincia (La Plata), l'autre
à Radio Nacional (Capitale Fédérale) sans oublier la conférence de presse qu'elle a tenue à la résidence de l'Ambassadeur argentin. Enfin, affirme-t-elle, elle a reçu des assurances fiables que
l'Eglise acceptait de contribuer à faire la lumière en
donnant accès à ses archives (1). C'est le Pape qui le
lui a dit et elle a ressenti de la sincérité chez cet
homme dont elle avoue enfin qu'elle ne le connaissait pas (2).
Página/12
salue l'évènement avec l'ambivalence que ce journal a
adoptée quelques jours après la fin du conclave : la
correspondante à Rome, la journaliste indépendante
Elena Llorente, signe un article objectif et factuel dans lequel elle
rapporte les déclarations de Estela de Carlotto hier
après-midi devant la presse, à la légation
argentine près le Saint-Siège, et le journaliste de la
rédaction, très partisan et idéologue en diable
(c'est le cas de le dire), Washington Uranga, dresse quant à
lui une analyse malveillante qui s'appuie sur les éternels
procès d'intention que lui-même et d'autres de ses
collègues ont l'habitude d'ouvrir contre le magistère
catholique, régulièrement soupçonné des
pires fourberies sur la base de préjugés datant de
Mathusalem (3). Sous le titre "La balle est dans le camp de
François", il fait ainsi des plans sur la comète
au sujet de ce qu'il faut d'ores et déjà penser de la
réaction que pourrait avoir le Vatican à la lettre que
Abuelas a remise hier au Saint Père et qu'il ne prend pas la
peine de reproduire alors qu'elle est disponible sur le site Internet
de l'ONG (4).
Extraits
des propos de Estela de Carlotto, rapportés par Elena
Llorente.
Il lui font honneur, parce qu'il faut du courage et
beaucoup d'honnêteté intellectuelle pour dire du bien de
celui qu'on avait toujours considéré comme un ennemi ou
un adversaire...
“Fue
un encuentro muy agradable, muy lindo. El Papa quiso vernos. No es
que dijo ‘no, por ahora no’ [...] Ha tenido gestos importantes,
como esa carta que le mandó a Hebe de Bonafini [....] y
recibir en audiencia al Premio Nobel de la Paz, Adolfo Pérez
Esquivel. Ahora, mi esperanza y mi convicción es que las cosas
van a cambiar. El papa Francisco es el jefe de la Iglesia de allá.
Tiene que haber un cambio. No digo que salgan a pedir perdón,
a hacer discursos. No queremos discursos. Queremos acciones que
lleven al encuentro de los nietos y a saber dónde están
sus padres.”
“Este
papa es una persona abierta, sencilla. Nos habíamos quejado
porque él, siendo el cardenal Bergoglio, nunca habló de
nuestros problemas”, añadió.
[...]
“Queremos que el Papa vea todas las carpetas que le hemos enviado.
O mejor dicho que le hizo llegar la embajada argentina ante la Santa
Sede, sobre cada uno de los casos de nietos desaparecidos. Quien
tenga acceso a esos datos los puede manejar con la Iglesia de allá
(por Argentina) y destapar los archivos y empezar a ver. El Papa
puede analizar todo o mandar a que lo hagan otros, porque para eso es
el Papa”, puntualizó.
[...]
“Juan Pablo II nos dijo que sí, que conocía el
problema de los nietos desaparecidos. Y agregó ‘todos oramos
por ellos’. Cuando volvimos a la Argentina dijimos que la frase del
Papa ‘todos oramos por ellos’ significaba acción. Pero no
cambió nada. Hay que ver ahora la reacción de la
Iglesia oficial argentina.”
[...]
“Si el Papa dice: ‘Vengan, las voy a ayudar’, entonces también
nos van a ayudar los creyentes. En la carta que le dimos no hay
reproches, ni culpas. Para echar culpas hay que tener pruebas”,
añadió, subrayando que estaba “completamente
convencida” de que el Pontífice respetará su
compromiso y que ellas están ahora esperanzadas, porque no
quieren morirse sin conocer a sus nietos.
Contó
también que nunca le había estrechado la mano al
cardenal Bergoglio aunque sí lo había conocido en la
Catedral de Buenos Aires en ocasión de una ceremonia y el Papa
al parecer recordó ayer ese momento cuando hablaron. “Después
de aquel encuentro en Buenos Aires no pasó más nada. El
nunca habló de nuestro problema. Había un poquito de
dolor entre nosotras por eso. Pero hoy se nos presentó la
oportunidad y ese ‘cuenten conmigo’ que nos dijo fue como una
señal de afecto de un hombre sencillo, simple. Cuando
empezamos a hablar nos tomó de las manos. Y nos dio luego un
beso. La verdad es que nos costó soltarle las manos. Creo que
hoy hemos recuperado los tiempos perdidos.”
Estela
de Carlotto (5), citée par Página/12
Ce
fut une rencontre très agréable, très belle. Le
Pape a voulu nous voir. Il n'a pas dit "Non, pour l'instant,
non" [...] Il a fait des gestes importants, comme cette lettre
qu'il a envoyée à Hebe de Bonafini (6) et il a reçu
en audience le Prix Nobel de la Paix Adolfo Pérez Esquivel
(7). Maintenant mon espoir (8) et ma conviction, c'est que les choses
vont changer. Le Pape François est le chef de l'Eglise de
là-bas (9). Il faut qu'il y ait un changement. Je ne leur dis
pas de venir demander pardon ou de faire des discours. Nous ne
voulons pas de discours. Nous voulons des actions qui conduisent à
trouver nos petits-enfants et à savoir où sont leurs
parents.
Ce
Pape-ci est quelqu'un d'ouvert, de simple. Nous nous étions
plaintes parce que lorsqu'il était le Cardinal Bergoglio, il
n'a jamais parlé de nos problèmes, a-t-elle ajouté
(10).
[...]
Nous voulons que le Pape voie tous les dossiers que nous lui avons
envoyés. Ou pour être plus exacte que lui a fait
parvenir l'Ambassade argentine près le Saint-Siège, sur
chacun des cas de petits-enfants disparus. Qui aura accès à
ces données pourra les gérer avec l'Eglise de là-bas
(pour l'Argentine), ouvrir les archives et commencer à les
examiner. Le Pape peut analyser tout ou ordonner que d'autres le
fassent parce que c'est pour ça qu'il est le Pape (11),
a-t-elle expliqué.
[...]
Jean-Paul II nous a dit que bien sûr, il connaissait le
problème des petits-enfants disparus (12). Et il a ajouté
"Nous prions tous pour eux". Quand nous sommes revenues en
Argentine, nous nous disions que la phrase du Pape "Nous prions
tous pour eux" signifiait agir. Mais rien n'a bougé.
Maintenant, il faut voir la réaction de l'Eglise officielle
argentine (13)
[...]
Si le Pape dit : "Venez, je vais vous aider", alors les
croyants vont nous aider aussi (14). Dans la lettre que nous lui
avons donnée, il n'y a pas de reproche, pas d'accusation. Pour
accuser, il faut avoir des preuves, a-t-elle ajouté, en
soulignant qu'elle était "tout à fait convaincue"
que le Souverain Pontife respecterait sa parole et qu'elles étaient
maintenant pleines d'espoir parce qu'elles ne veulent pas mourir avec
d'avoir trouvé leurs petits-enfants.
Elle
a dit aussi que jamais elle n'avait serré la main au Cardinal
Bergoglio même si elle l'avait croisé dans la cathédrale
de Buenos Aires au cours d'une cérémonie et le Pape,
semble-t-il, s'est souvenu de ce moment quand ils se sont entretenus
(15). "Après cette rencontre à Buenos Aires, il ne
s'est rien passé. Il n'a jamais parlé de notre
problème. Nous avons un petit peu souffert à cause de
ça. Mais aujourd'hui, l'occasion s'est présentée
à nous et ce "Vous pouvez compter sur moi" qu'il
nous a dit a été comme un signe d'affection d'un homme
simple qui ne cherche pas midi à quatorze heures. Quand nous
avons commencé à parler, il nous a saisi les mains. Et
ensuite il nous a embrassés. Pour tout dire, on a eu du mal à
lui lâcher la main. Je crois que nous avons rattrapé le
temps perdu.
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Abuelas
a publié la lettre remise hier au Pape. Une lettre tout à
fait déchirante quand on prend en considération la
souffrance et l'âge avancé des signataires et fort
irritante parce qu'elle perpétue une erreur de cible, comme le
faisait déjà la lettre ouverte publiée dans Página/12, le 26 mars 2013.
La
voici dans son texte original et en traduction.
Santidad
Las
Abuelas de Plaza de Mayo queremos manifestar nuestra satisfacción
frente a la elección de un Papa argentino, que ayudará,
con su sabiduría, a trabajar por los sectores más
olvidados y desposeídos.
Agradecemos
además que tuvo la amabilidad de habernos recibido y deseamos
que, en su nuevo rol como máxima autoridad de la Iglesia
Católica, pueda arbitrar los medios necesarios para colaborar
en la búsqueda de los casi 400 nietos y nietas que aún
hoy no han recuperado su verdadera identidad. Así como también
nos ayude a saber qué ocurrió con nuestros hijos e
hijas desaparecidos, durante la última dictadura
cívico-militar.
Abuelas
Sainteté
Nous,
les Grands-Mères de la Place de Mai, voulons manifester notre
satisfaction pour l'élection d'un Pape argentin qui aidera,
par sa sagesse, le travail en faveur des secteurs les plus oubliés
et les plus défavorisés.
Nous
vous remercions de plus d'avoir eu la gentillesse de nous recevoir et
nous souhaitons que, dans votre nouveau rôle comme autorité
suprême de l'Eglise Catholique, vous puissiez fournir les
moyens nécessaires à la recherche des presque 400
petits-fils et petites-filles qui n'ont toujours pas recouvré
leur véritable identité (16). Ainsi donc, vous pourrez
aussi nous aider à savoir ce qui est arrivé à
nos fils et filles disparues, pendant la dernière dictature
civico-militaire (17).
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Sabemos
que nuestros nietos, por su edad, podrían vivir en cualquier
ciudad, por lo que su colaboración, será de gran
importancia para potenciar la visibilidad de nuestra desesperada
búsqueda a los ojos del mundo.
Las
Abuelas buscamos de manera pacífica, a través del
diálogo y la justicia, reconstruir lo que el terrorismo de
Estado quiso borrar. En este largo camino, que comenzamos solas, con
peligro, dolor, miedo y desconocimiento, uno de los grandes
obstáculos ha sido el silencio.
Hoy,
gracias Dios, contamos con el acompañamiento de un amplio
sector de la sociedad, aunque hay grupos que aún mantienen los
pactos de silencio instaurados por el terrorismo de Estado.
Abuelas
Nous
savons que nos petits-enfants, à l'âge qu'ils ont,
pourraient vivre dans n'importe quelle ville, ce pour quoi votre
collaboration sera d'une grande importance pour donner plus de
visibilité aux yeux du monde à notre recherche
désespérée.
Nous,
les Grands-Mères, nous cherchons pacifiquement, à
travers le dialogue et la justice, à reconstruire ce que le
terrorisme d'Etat a voulu effacer. Sur ce long chemin, que nous avons
entamé seules, dans le danger, la souffrance, la peur et
l'ignorance, un des grands obstacles a été le silence.
Aujourd'hui,
Dieu merci, nous pouvons compter sur l'accompagnement d'un vaste
secteur de la société, bien qu'il y ait des groupes qui
maintiennent encore les pactes de silence instaurés par le
terrorisme d'Etat.
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
La
dictadura no sólo aniquiló a nuestros hijos y se robó
a nuestros nietos, sino que además disolvió todas las
pruebas que nos permitirían saber qué hicieron con
ellos. Es por eso que para nosotras, cualquier dato, por mínimo
que parezca, es un bien fundamental para poder localizar a los hijos
de nuestros hijos. En este sentido, solicitamos a Usted, que pida a
los miembros de la Iglesia Católica y a sus feligreses que
brinden la información que tengan sobre el paradero de
nuestros nietos y nietas desaparecidos.
Las
Abuelas hemos restituido la identidad a jóvenes que fueron
entregados en adopción por el Movimiento Familiar Cristiano;
la justicia argentina ha citado a declarar a Hermanas que durante la
última dictadura trabajaban en lugares donde funcionaban
Centros Clandestinos de Detención, como lo fue Campo de Mayo.
Ellos seguramente puedan brindar información precisa.
Abuelas
La
Dictature n'a pas seulement détruit nos enfants et volé
nos petits-enfants, mais elle a de surcroît fait disparaître
les preuves qui nous permettraient de savoir ce qu'on a fait d'eux.
Pour cette raison, pour nous, n'importe quel fait, aussi minime qu'il
paraisse, est un atout fondamental pour pouvoir localiser les enfants
de nos enfants. Dans cette perspective, nous vous prions de demander
aux membres de l'Eglise Catholique et à vos/ses fidèles
(18) qui fournissent l'information qu'ils possèdent sur
l'endroit où se trouvent nos petits-fils et petites-filles
disparus.
Nous,
les Grands-Mères, nous avons restitué leur identité
à des jeunes qui ont été remis en adoption par
le Mouvement Familial Chrétien ; la justice argentine a appelé
à comparaître des sœurs qui, pendant la dernière
dictature, travaillaient là où fonctionnaient des
Centres Clandestins de Détention, comme ce fut le cas du Campo
de Mayo. Il est sûr qu'eux pourraient apporter une information
dont nous avons besoin.
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Han
pasado ya 35 años desde que comenzamos a buscar a nuestros
familiares, queremos abrazar a nuestros nietos y contarles su
historia. Por eso rogamos a su Santidad explique a los miembros de la
Iglesia y a sus feligreses que es un deber cristiano brindar
información sobre el destino de los niños desparecidos
en Argentina. Que Usted les advierta que constituye un pecado ocultar
crímenes catalogados por la comunidad jurídica
internacional como de lesa humanidad, como lo son secuestros,
asesinatos y robos de bebés perpetrados por el terrorismo de
Estado.
El
año pasado la justicia argentina comprobó la existencia
de un Plan Sistemático de Apropiación de Menores
durante el régimen militar, y se juzgó a los
responsables de este delito. No obstante, el juicio no sirvió
para obtener información que nos ayude a localizar a nuestros
nietos.
Es
en este sentido que rogamos también a Usted, tenga a bien
abrir los archivos del Vaticano, así como los que existen en
los arzobispados de Argentina, para conocer si allí hay algún
dato que nos dé la felicidad de encontrar alguno de nuestros
nietos.
Saludamos
a Usted, con toda consideración
Abuelas
de Plaza de Mayo
A
su Santidad
Francisco
CIUDAD
DEL VATICANO
35
ans ont passé depuis que nous avons commencé à
chercher les membres de nos familles, nous voulons prendre dans nos
bras nos petits-enfants et leur raconter leur histoire. Pour cette
raison, nous supplions Votre Sainteté d'expliquer aux membres
de l'Eglise et à ses/vos fidèles que c'est un devoir
chrétien (19) de dire ce qu'ils savent sur le destin des
enfants disparus en Argentine. Que vous les avertissiez que
dissimuler des crimes catalogués par la communauté
juridique internationale comme crimes contre l'humanité, comme
c'est le cas des séquestrations, des assassinats et des vols de
bébé perpétués par le terroriste d'Etat
est un péché.
L'année
dernière, la justice argentine a mis au jour l'existence d'un
plan systématique de vol et recel de mineurs sous le régime
militaire et les responsables de ce crime ont été jugés
(20). Cependant la procès n'a pas permis d'obtenir
l'information qui nous aiderait à localiser nos
petits-enfants.
C'est
dans ce sens que nous vous supplions et que vous devez ouvrir les
archives du Vatican comme ceux qui se trouvent dans les archevêchés
en Argentine pour savoir s'il y a là quelque donnée qui
nous apporte le bonheur de trouver l'un de nos petits-enfants.
Veuillez
agréer l'expression de toute notre considération (21).
Grands-Mères
de la Place de Mai
A
Sa Sainteté François
Cité
du Vatican
(Traduction
Denise Anne Clavilier)
Photo Vatican News (à coté de E. de Carlotto, de face, Juan Cadanbié) |
Ce
qui retient mon attention depuis le 13 mars, c'est de voir des gens
qui étaient assez fermement hostiles au Cardinal Bergoglio,
comme la Présidente Cristina de Kirchner ou comme Estela de
Carlotto, se retourner après une courte entrevue, certes un peu plus
longue pour la Présidente mais néanmoins courte (qu'est-ce que deux heures d'entretien à côté
d'une vingtaine d'années de conflit acharné depuis
1992, année de l'ordination épiscopale de l'actuel Pape
?) Et les deux sortent de l'entretien avec un visage radieux, un
comportement modifié et les mêmes mots pour analyser le
contenu de la rencontre et je doute qu'elles se soient donné le mot au préalable...
Pour
aller plus loin :
Lire
l'article de Elena Llorente dans Página/12
Lire
l'éditorial de Washington Uranga dans le même quotidien
Ecoutez
l'interview de Estela de Carlotto sur Radio Nacional hier matin, avec
un trio de journalistes, dont un est particulièrement mal
disposé envers le Pape et accepte mal le ton conciliant de
l'interviewée, que tout le monde tutoie selon la coutume
répandue en Argentine. Radio Nacional est 100% kirchneriste
(22).
Ecoutez
l'interview de Estela de Carlotto, hier matin, sur Radio Provincia, à
La Plata (où elle habite d'où le "hola mi
ciudad" du début). Radio Provincia dépend du gouvernement de la
Province de Buenos Aires (100% kirchneriste, en dépit des
bisbilles régulières entre le Gouverneur Daniel Scioli
et la Présidente).
Dans
l'une et l'autre interview, d'une dizaine de minutes chacune, vous
l'entendrez faire le compte-rendu de l'entretien et relever
l'amabilité du Pape. Vous percevrez aussi sa surprise quand
elle a constaté que le Saint Père reconnaissait Juan
Cadanbié, qu'il a spontanément tutoyé (rien
d'anormal entre Argentins, surtout avec la différence d'âge
entre un septuagénaire comme lui et un trentenaire comme le
parlementaire). Elle devait croire qu'il ne le connaissait pas (un
député Frente Para la Victoria, vous pensez ! Un
réactionnaire pareil ne pouvait pas s'être intéressé
à un élu de ce camp-là).
Dans
les deux interviews, sa voix sonne très joyeuse, vive et
jeune, malgré ses 84 ans bien sonnés, si mes calculs
sont bons. Et elle prend soin de rappeler qu'elle n'a fait le voyage à Rome que pour la cause de son ONG et pour rien d'autre (elle se préserve ainsi d'une accusation de voyager aux frais de la princesse comme de s'être ralliée au camp catholique, assimilé par la gauche argentine à la droite la plus rétrograde).
Lire
l'entrefilet de Vatican News en français (qui fait mention du
grief contre le Mouvement familial catholique)
Lire
l'entrefilet de Vatican News en italien, encore plus succinct et muet
sur les griefs formulés par Abuelas.
La France et l'Italie sont historiquement, me semble-t-il, les deux pays où l'ONG a la plus grande notoriété en Europe.
(Au
moment où je préparais cet article, je n'ai rien trouvé
sur le site du Vatican en anglais ni en espagnol sur le sujet et je
n'ai pas consulté les pages en portugais).
Sur
le changement d'attitude de la Présidente, voir mon article du 19 mars 2013.
(1)
Depuis longtemps, Abuelas de Plaza de Mayo fait comme si l'Eglise connaissait
le sort de certains enfants et cachait ce qu'elle sait parce qu'un groupe nommé Mouvement familial catholique (ce qui n'engage pas l'Eglise en tant que corps universel) s'est compromis dans ces
trafics, comme ce fut le cas aussi dans l'Espagne franquiste jusque
dans les années 1970, quelque temps encore après la mort du dictateur, avec
une théorie délirante et criminelle : enlever les
enfants à des parents jugés "subversifs" du point de vue
chrétien (anarchistes, communistes, voire en Espagne
simples filles-mères) pour sauver leurs âmes en
les faisant élever par de "bons chrétiens".
(2)
Cela ne l'avait pas empêchée jusqu'à présent
d'être très critique envers lui sans jamais apporter la moindre preuve d'un comportement coupable de sa part. Ce qui est
le problème de toute la mouvance des droits de l'homme en Argentine depuis des années.
(3)
C'est "vieux comme la cocarde", comme disent les Argentins, en faisant
allusion à la cocarde blanche et ciel inventée par les révolutionnaires pendant
la Semaine de Mai 1810. Et la méfiance vis-à-vis du
magistère date de ce moment-clé de l'histoire argentine
: l'évêque de Buenos Aires a voté pour le
maintien du statu quo au Cabildo Abierto du 22 mai 1810, qui a lancé
la Révolution de Mai (voir mes articles sur la Semaine de Mai, en 2010). Plus tard, après les Restaurations en
France, en Espagne et au Portugal, le Pape, alors prisonnier d'enjeux
politiques qui n'existent plus aujourd'hui, avait appelé les
insurgés sud-américains, en train de
gagner l'indépendance de leurs pays, à se soumettre au
bon et légitime roi Fernando VII, despote fanatique et imbécile qui avait retrouvé son trône en Espagne (l'un des plus ignobles
personnages de l'histoire de la Péninsule). Et depuis, la
réconciliation ne s'est jamais faite entre la gauche argentine
et l'Eglise. Elle ne se réalise qu'avec cette partie du clergé
qui s'éloigne de l'orthodoxie, remet en cause publiquement le
fonctionnement ecclésial et la hiérarchie, flirte avec
le marxisme (ou l'adopte purement et simplement), bref ces prêtres qui seuls trouvent grâce
aux yeux de la rédaction libertaro-péroniste de Página/12 et qui
subissent souvent des mesures disciplinaires parce que l'Eglise avec laquelle ils se disent eux-mêmes en désaccord de fond leur interdit de s'exprimer en son nom.
(4)
Il serait plus respectueux des principes démocratiques de produire la lettre rendue publique et d'attendre la réponse, écrite ou en actes, sans préjuger de sa nature sur la base du néant.
Mais il faut croire que Página/12 n'a pas encore fini sa crise
d'adolescence démocratique. Cet éditorial inutile, qui n'éclaire que le néant, entretient le
contentieux au lieu de participer à le dénouer dans le
dialogue. On croirait voir le débat en rase-motte autour du mariage pour tous ces derniers jours en France...
D'ailleurs, au moment où j'écris ces lignes, les
services de communication du Vatican ont publié deux notes sur
la rencontre, l'une en français et l'autre, encore plus
succincte, en italien, et il n'y avait toujours rien en espagnol,
alors qu'on aurait pu penser que cette langue serait la priorité.
Pas du tout, et quand je vois l'attitude de la presse qui soutient
Abuelas, je comprends que le Vatican ne soit pas pressé
d'offrir des bâtons pour se faire battre. Accepter la
persécution comme une conséquence du témoignage
de foi, c'est une chose, aller chercher du bois pour se faire battre, ce serait du masochisme...
(5)
L'entrefilet français de Vatican News l'appelle Estela
Carlotto. En fait, Carlotto, c'est le nom de son mari. Or en zone
hispanophone, les femmes conservent leur nom et ne prennent pas celui
de leur mari. Lorsqu'elles l'affichent, on ajoute en général
cette petite particule pour bien indiquer à qui appartient ce
patronyme. Donc en zone francophone (et en Italie aussi), nous dirions
Estela Carlotto. En Argentine, il est assez rare que les
femmes éjectent la particule (c'est néanmoins souvent
le cas pour Eva Perón et c'est assez souvent le cas pour
Cristina qui aime s'afficher comme Cristina Kirchner, encore
davantage qu'avec son nom personnel, Fernández, qui est très
banal).
(6)
Sur cette lettre, voir mon article du 23 avril 2013.
(7)
Prix Nobel de la Paix argentin, qui a été reçu
très vite (entre le 14 et le 19 mars si ma mémoire est
bonne). Pérez Esquivel a toujours marqué sa solidarité
avec Madres et Abuelas dans la lutte pour la démocratie, les
droits de l'homme et l'ouverture des procès contre les
criminels de la Dictature. Il y a une quinzaine d'années; il
avait émis publiquement des doutes sur la conduite du cardinal
Bergoglio pendant cette même Dictature mais, contrairement à
Horacio Verbitsky, il s'est repris à peu près en même
temps que le Père Francisco Jalics sj, lorsque celui-ci a pu
comprendre que son ancien Provincial n'avait eu aucune part dans son
arrestation arbitraire en mai 1976, après deux heures
d'entretien avec celui qui, entretemps, était devenu évêque.
(8)
En espagnol, il n'y a pas de différence entre la notion
d'espoir (non religieuse) et celle d'espérance (vertu
théologale chrétienne). Il est assez clair ici que Estela de
Carlotto fait allusion à son espoir et ses attentes, en aucun cas à
une attitude spirituelle. Ce n'est pas dans sa mentalité
et on va le voir dans la phrase d'après.
(9)
Elle a tout faux. Le Pape n'est pas le chef de "l'Eglise de là-bas".
Il est le chef de l'Eglise tout court. L'Eglise argentine fait partie
d'un tout qui ne se découpe pas en morceaux. Cette phrase
montre clairement qu'elle ne comprend toujours pas comment les choses
fonctionnent à l'intérieur de l'institution catholique.
(10)
Dans d'autres déclarations, il paraissait manifeste que l'ONG
n'avait jamais fait appel à lui non plus et qu'elle avait
attendu qu'il prenne l'initiative de cette rencontre en sa qualité
d'archevêque de Buenos Aires alors que l'association ne
tarissait pas de soupçons, particulièrement blessants
et calomnieux, à son égard... On peut comprendre à la lecture de cette lettre pourquoi il s'est tenu prudemment à l'écart de leurs exigences, il aurait été pris dans un mouvement de récupération où il aurait perdu sa liberté d'action pastorale.
(11) En aucun cas. Le Pape n'est pas là pour rendre la
justice des hommes. Son ministère relève d'enjeux tout différents. Il va falloir une bonne fois pour toutes qu'ils se mettent ça
dans la tête mais on n'est pas arrivé !!! Ceci étant
dit, bien entendu, le Pape ès qualité n'a pas vocation non plus à couvrir des faits délictueux et criminels en
interdisant l'accès à des archives qui faciliteraient
l'obtention par la Justice ou l'Etat-Civil d'informations comme
celles que recherchent Abuelas... La conception de la Papauté qui est exposée ici est assez magique et encore une fois étroitement politique et idéologique. Un peu plus loin, elle fait un autre aveu, tout à fait désarmant, puisque l'on croirait entendre parler une fillette vulnérable qui a souffert en silence de ne jamais avoir reçu le petit mot
d'encouragement qu'elle attendait de son maître d'école. Chez
une femme aussi forte, aussi combative qu'elle, c'est poignant.
(12)
Allusion à l'audience pontificale qui lui a été
accordée en 1998 et qu'elle ne relie pas (toujours pas
semble-t-il) à l'accession de Mgr Bergoglio (pas encore
cardinal) à la chaire de Buenos Aires, la même année...
(13)
Pour les raisons définies à la note n°3, la gauche
argentine distingue une Eglise officielle et une autre (qui n'existe que dans ses vues). Plus légitime
à ses yeux. Celle des contestataires. Tant qu'elle s'en
tiendra à cette lecture erronée, elle ira de déception
en déception. L'Eglise ne fonctionne pas comme ça et ce
n'est pas l'Eglise millénaire qui va s'adapter à des
courants idéologiques qui évoluent et se contredisent
de quart de siècle en quart de siècle. Soyons réalistes !
(14)
Tout dépend de ce qu'elle appelle "les croyants". Jusqu'à
présent, il semblerait qu'elle ait rangé dans cette
catégorie les sbires de la Dictature qui se sont appropriés
les enfants avec faux et usages de faux dans les papiers d'Etat-Civil. Et elle confond croyants et
usurpateurs de ce nom qui dissimulent leurs crimes sous le masque de la religion pour couper court aux critiques, ce qui s'est pratique à grande échelle sous la
Dictature avec le discours pseudo-chrétien de Videla et Cie.
(15)
Cela n'en rend que plus stupéfiante encore leur non rencontre
quand on sait à quel point en sa qualité d'archevêque
de Buenos Aires, il était accessible... Ces femmes semblent
avoir vécu dans la cécité, tant elles devaient
être persuadées qu'il était de "l'autre
côté". Me souvenant des termes atroces avec
lesquels un de mes amis, hélas décédé
récemment, me parlait de lui comme d'un suppôt de
l'extrême-droite, je peux imaginer la somme de clichés
dont elles s'étaient encombrées la tête et le cœur. Quel dommage, d'autant
qu'elles ont su vaincre leurs réticences pour prendre contact
avec la patronne de Clarín, ce dont elles ont, il est vrai,
été fort mal récompensées (les
représentants de Madame Herrera de Noble, qui n'a pas daigné
se montrer, se sont montrés injurieux et arrogants envers la
délégation de l'ONG).
(16)
Cette volonté d'asservir le ministère pétrinien
à une cause très grave mais qui n'en reste pas moins du
domaine politique et judiciaire, donc du ressort du libre-arbitre des
hommes organisés en société, est très remarquable, d'autant plus qu'elle n'est nullement déguisée. C'est vieux comme le monde. Jésus Christ
a été en proie au même type de demande : "Maître,
dis à mon frère de partager avec moi notre héritage".
Et Jésus a envoyé bouler les deux frangins en leur
répondant qu'il n'avait pas été établi
juge de leurs partages (Luc 12, 13-14). Abuelas ne connaît pas cette
référence, c'est évident. "Et pourtant elle
existe", pour le dire en paraphrasant un célèbre astronome.
(17)
La dernière dictature en question est rarement qualifiée
de cívico-militar. Il est possible qu'ici Abuelas fasse
allusion à ce que ces dames croient être la responsabilité
de l'Eglise dans la mise en place de ce régime
anticonstitutionnel (lequel a été soutenu, de fait, par un pourcentage important de catholiques pratiquants, laïcs et ministres ordonnés).
(18)
L'adjectif possessif est ici très ambigu. Il peut se rapporter
à l'Eglise et il est alors juste. Il peut se rapporter au Pape
et il est faux. Les fidèles ne sont pas ceux du Pape. Ce ne
sont pas des partisans d'un leader politique ou d'opinion ou les
admirateurs d'un artiste ou d'une vedette. Ce sont les fidèles
du Christ. Et cette erreur est constante en Argentine mais aussi en
Europe, notamment en France. "Le Pape / Monseigneur Untel a reçu
ses fidèles dans la cathédrale Sainte-Chose"...
Quand on parle "des membres de l'Eglise et des fidèles", c'est un pléonasme, mais peut-être
lorsqu'elles parlent de "membres de l'Eglise", entendent-elles désigner le clergé. Cette lettre témoigne d'une ignorance profonde et de l'ampleur de l'absence du dialogue en Argentine : il suffisait d'aller toquer à la porte
d'un curé de paroisse pour lui demander conseil sur la manière
de rédiger cette missive. Elles ont fait fait appel à quelqu'un pour traduire la lettre en
italien ! Elles ont préféré traduire elles-mêmes plutôt que de laisser faire les services internes du Vatican (sait-on jamais !)
(19)
Elles sont papes à la place du Pape. Elles aussi, elles
utilisent la religion pour donner de l'autorité à leur
demande exactement comme ce qu'elles reprochent aux partisans de la dictature. Certes, c'est bien le devoir du chrétien de livrer
ces informations mais c'est surtout bien au-delà de ce particularisme le devoir de
n'importe quel être humain doué d'une conscience un tant
soit peu éveillée. Il n'y a pas une seule allusion au
substrat de la foi dans cette lettre et elles expliquent au Pape ce
qu'il doit considérer comme étant un péché ! Des fois qu'il ne le sache pas...
(20)
Voir mes articles du 1er mars 2011 (ouverture du procès), 10 mai 2011 (appel à la barre de l'archevêque de Buenos Aires) et 16 juillet 2012 (verdict final). Elles n'ont pas froid aux yeux de rappeler
cela : elles l'ont fait citer dans cet interminable procès
de Comodoro Py comme témoin (et presque comme co-accusé). Elles étaient
persuadées, elles le sont peut-être toujours, qu'il "savait" quelque chose. Et il ne
savait rien, et il n'y a guère de raison qu'il ait su quelque
chose en qualité de Provincial de la Compagnie de Jésus.
Ce n'est pas vraiment le poste d'observation idéal pour ce
genre de pratiques qui ont eu lieu dans des maternités clandestines et des centres de détention illégaux.
(21)
La formule de politesse fait partie de celles qui s'emploient pour le
chef d'un Etat ordinaire. En général, pour le Pape, on emploie
d'autres formules. Sauf à vouloir le réduire au
statut protocolaire d'un chef d'Etat en méconnaissant à dessein son rôle spirituel.
(22)
Comme vous l'avez déjà compris si vous lisez
régulièrement ce blog, le paysage médiatique
argentin est pluraliste mais chaque média est monolithique. Les
médias publics ont la couleur politique de la majorité en
place.