vendredi 5 avril 2013

La Nación cherche la petite bête [Actu]


Frontispice du site Internet de la CEA.
L'infographiste y est allé de bon cœur, comme vous voyez.
Il a raison : pourquoi se faire du mal quand on peut se faire du bien...
sauf que dans sa précipitation, il a fait comme tous les médias du monde entier
dans les minutes qui ont suivi l'annonce de l'élection :
il a ajouté un numéro monarchique au nom du Pape.

Le quotidien de droite La Nación ne décolère pas de voir Cristina se sortir avec tant d'habilité et tant d'élégance du mauvais pas dans lequel l'avait mise l'élection au Saint Siège d'un archevêque qu'elle ne portait pas dans son cœur (voir mon article du 19 mars 2013 sur l'entrevue du Saint Père avec la Présidente). Il cherche à toute force de quoi l'accuser d'hypocrisie. La dernière trouvaille est d'annoncer -c'est petit, vous avouerez- que le Cardinal avait sollicité quatorze audiences personnelles auprès de la Chef d'Etat sans recevoir de réponse. Un premier article est paru dans La Nación le 24 mars (1) avec un ton qui rappelle la gravité employée par Médiapart dans ses accusations contre Jérôme Cahuzac. Le 31 mars, c'est-à-dire le Dimanche de Pâques, c'est Perfil, autre journal de droite, qui reprenait cette histoire peu glorieuse.

Le 3 avril dernier, donc dans des délais assez rapides étant donné qu'on est en pleine Semaine de Pâques avec, en prime, un changement de titulaire au ministère primatial du pays, le service de presse de la Conférence Episcopale Argentine (CEA) a publié un communiqué de presse très court, ultra-neutre et dont chaque mot est pesé au trébuchet, que voici (je suis allée le chercher directement sur le site Internet de la CEA) :

Ante las reiteradas consultas periodísticas, esta Oficina de Prensa considera necesario aclarar, que el entonces Cardenal Jorge Mario Bergoglio, no solicitó entrevistas personales con la Presidenta de la Nación, Dra. Cristina Fernandez de Kirchner.
Como Presidente de la Conferencia Episcopal Argentina y acompañado por los miembros la Comisión Ejecutiva, el Señor Cardenal en tres ocasiones le solicitó entrevistas a la Señora Presidenta y las mismas fueron oportunamente concedidas.
Buenos Aires, 3 de abril de 2013
Oficina de Prensa
Conferencia Episcopal Argentina


Face aux demandes répétées des journalistes, ce Bureau de Presse considère nécessaire de préciser que celui qui était alors le Cardinal Jorge Mario Bergoglio n'a pas sollicité d'entrevues personnelles auprès de la Présidente de la Nation, le Docteur Cristina Fernández de Kirchner. (2)
En qualité de Président de la Conférence Episcopale Argentine et avec les membres de la Commission Exécutive, Monsieur le Cardinal a sollicité à trois reprises une entrevue auprès de Madame la Présidente et celles-ci ont été accordées en temps opportun.
Buenos Aires, le 3 avril 2013
Bureau de Presse
Conférence Episcopale Argentine
(Traduction Denise Anne Clavilier)

On assistait ce matin à une empoignade surréaliste, très emblématique de l'absence de dialogue dénoncée par le musicien (cristiniste) Victor Heredia et soulignée par l'appel du Pape aux Portègnes le matin de son installation, entre Página/12, qui s'efforce de réprimer son triomphalisme mais frétille comme un petit poisson en voyant que la CEA démonte en deux coups de cuillère à pot les mensonges des journaux rivaux (sans jamais citer leurs titres) et apporte ainsi des arguments qui font foi du comportement digne et conforme à sa charge de la part de la Présidente (3), et La Nación, qui publie un article très long, hargneux et alambiqué, qui prétend, sous la plume d'un des éditorialistes mis en vedette comme si c'était le penseur du siècle, que le communiqué épiscopal est le fruit de pressions gouvernementales pour donner du poids aux mensonges de Cristina (qui, depuis son retour de Rome, fait tout pour atténuer le souvenir du conflit qui l'avait opposée au Cardinal Bergoglio, ce qui est de bonne guerre, surtout en année électorale).

L'accusation portée par La Nación contre la CEA est très grave et particulièrement offensante pour cette institution. Qui plus est, elle est incohérente car enfin de deux choses l'une : ou les prélats sont favorables à l'opposition, comme La Nación l'a toujours laissé entendre jusqu'à présent -en plein accord objectif, mais non pas idéologique, avec Página/12, soit dit en passant-, ou ils ne sont que des fantoches que la Présidente peut manipuler à son gré. Or n'oublions pas que l'élévation d'un des leurs au pontificat les rend encore plus forts pour s'opposer à elle s'ils le souhaitaient !

Le journaliste assaisonne encore son article d'un invraisemblable complot au ridicule achevé : le Gouvernement agirait en sous-main pour instrumentaliser le Pape (qu'ils essayent, tiens !). Sous prétexte de lui remettre un maillot du Club Atlético (club sportif) San Lorenzo de Almagro (4), offert tout bien plié dans une belle boîte, un des ministres aurait demandé au Souverain Pontife, à l'aide d'un pli secret glissé dans la boîte du maillot (écrit à l'encre sympathique, aussi, tant qu'on y est !), de bien vouloir accorder une audience à Rome à Marcelo Tinelli, sorte de Guy Lux argentin qui anime à la télévision une émission très populaire et pas très relevée (5). Or le ministre, s'exaspère le journal, aurait le culot de s'entêter à nier ce fait ! Mesurez un peu l'ampleur du scandale...

L'objectif de cette brillante manœuvre prêtée au Gouvernement ? Obtenir une double photo à exploiter pendant la campagne électorale qui vient : Cristina et François d'une part, Tinelli et François d'autre part.

A côté de cette épouvantable violation des fondements mêmes d'un Etat de droit (vous conviendrez avec moi que c'est en effet le cas), qu'est-ce que notre petit scandale à nous ? Franchement, Mediapart et l'affaire Cahuzac, c'est de la petite bière à côté de cet énorme lièvre soulevé par La Nación.

Et il y a à peine deux jours, une catastrophe météorologique exceptionnelle a fait au moins 51 morts et 106 disparus à Buenos Aires et à La Plata.

Cette photo a été choisie par Página/12 pour illustrer son article.
La Nación a préféré celle de son rédacteur...
La photo semble prise à la Casa Rosada et date d'avant octobre 2010
Depuis le décès de Néstor Kirchner, le 27 octobre 2010,
Cristina arbore toujours une tenue d'un noir très strict.

Pour aller plus loin :


(1) C'était donc le Dimanche des Rameaux, ce qui n'est pas tout à fait n'importe quelle date dans les pays encore pétris de culture catholique (ce n'est plus guère le cas de la France) puisque ce jour marque l'entrée dans la Semaine Sainte. Une date bien choisie, n'est-ce pas, pour lancer  une polémique de cette nature, quand le Pape, de son côté, a appelé au contraire et avec insistance au dialogue, à la réconciliation, à la solidarité entre les personnes de bonne volonté et même, le jour de son installation, à la tendresse (parce qu'elle casse les processus de violence et de mensonge). Mais que voulez-vous, on n'est pas maître du calendrier, à La Nación, ma pauv' dame ! Et c'est ainsi que naissent les rumeurs, parce que dans l'émotion d'une telle fête (je parle surtout de cette année 2013 marquée par cette élection romaine inattendue et qui fait la fierté d'une grande partie des Argentins), plus personne ne se rappellerait où et dans quel contexte il a lu cette info, en revanche, chaque lecteur de La Nación se souviendra de l'avoir lue et donc,  s'il l'a lue, c'est que c'est vrai et ainsi donc, cette peau de vache de Cristina a fermé sa porte au cardinal quatorze fois ! Vous vous rendez compte ? Mais c'est un monde, ça ! Pour qui se prend-elle, celle-là ? Etc, etc, etc...
(2) La Présidente est avocate de formation. Elle est donc docteur en droit. C'est une coutume en Argentine de toujours donner le titre universitaire des gens.
(3) Dont les relations avec le cardinal n'ont pas été tout le temps aussi exécrables qu'à partir de 2010 avec le débat sur l'ouverture du mariage aux homosexuels et l'absence du couple présidentiel au Te Deum du Bicentenaire à Buenos Aires. En accédant à la magistrature suprême en décembre 2007, elle avait même tenté de faire un ou deux pas pour améliorer les relations avec l'épiscopat, déjà fort mises à mal sous le mandat de son mari, Néstor Kirchner, encore plus libre penseur et anticlérical qu'elle. La tentative avait vite été abandonnée mais elle avait au moins eu le mérite d'exister...
(4) Voir mon article du 24 mars 2013 sur les liens entre le Pape et le San Lorenzo.
(5) Pourquoi ce type, me demanderez-vous ? Parce qu'il est supporter du San Lorenzo lui aussi... Les scénaristes des James Bond n'ont qu'à bien se tenir !