“Esto no lo vamos a cambiar
negociando. En nuestra zona (norte de Santa Fe), los productores
están dispuestos a que esta porquería que está
en el gobierno se vaya a patadas... Hay muchos métodos
psicológicos y de acción que se pueden implementar para
destituir y hacer desaparecer a toda esta gente, porque no es una
institución el problema, el problema es la gente que está
dentro del Gobierno”, exclamó el productor agrícola
ganadero Daniel Stechina
Página/12
Tout ça, on ne va pas le faire
changer par la négociation. Par chez nous [nord de la Province
de Santa Fe], les producteurs [patronat agricole] sont déterminés
à ce que cette cochonnerie qui est au sommet de l'Etat s'en
aille à coups de pied [où je pense]... Il existe plein
de méthodes psychologiques et pratiques qu'on peut utiliser
pour destituer et faire disparaître tous ces gens parce que le
problème, ce n'est pas l'institution, le problème, ce
sont les gens qui sont au Gouvernement, s'est écrié
l'éleveur Daniel Stechina.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Cette intervention spontanée
s'est produite mercredi, lors d'une réunion publiques des
patrons agricoles dans la Province de Santa Fe organisée par
la Mesa de Enlace (la Table-Ronde), une institution qui fédère
depuis les grandes manifestations de 2008 (voir le mot-clé
Campo dans le bloc Pour chercher, para buscar, to search, pour y accéder) toutes les organisations patronales du
secteur pour lutter contre la politique de Cristina de Kirchner sur
tous les sujets ou peu s'en faut. La Mesa de Enlace fait actuellement
le tour des provinces pour recueillir les doléances des
responsables du métier, le tout dans le cadre d'une campagne
électorale pour les législatives, provinciales et
nationales, de mi-mandat en octobre. D'après Página/12,
il s'agirait même de raviver l'anti-kirchnerisme et de mettre
le plus de bâtons possibles dans les roues du Gouvernement en
place. Or dans la salle de réunion où ces propos
incendiaires ont été tenus, il se trouve qu'avait pris
place dans le public un député national de l'UCR, un
parti actuellement en crise doctrinale et stratégique des plus
pathétiques mais surtout l'une des forces traditionnelles de
l'opposition au péronisme. Et ce monsieur n'a pas ouvert la
bouche pour défendre les principes démocratiques et
l'inviolabilité de la sanction des urnes.
C'est Página/12 qui a révélé
cette violente prise de position d'un professionnel qui s'exprimait
à titre particulier (il n'a aucun mandat représentatif
dans aucune des organisations rassemblées dans la Mesa de
Enlace et semble même n'avoir sa carte dans aucune d'entre
elles). Il n'en reste pas moins que les propos étaient pour le
moins anti-démocratiques et que malgré cela, ils n'ont
donné lieu, sur le coup, à aucune condamnation morale
de la part des responsables syndicaux qui animaient la réunion,
or en appeler à l'emploi de méthodes de subversion et
jouer avec la notion de disparition (1) renvoient là-bas aux
pires heures de la Dictature Videla-Galtieri et consorts entre 1976
et 1983.
Après que l'édition
santafésienne de Página/12, Página/12 Rosario,
ait publié l'information, la Chambre d'Agriculture a émis
une condamnation formelle, qui s'est accompagnée sur le
terrain par des commentaires ambigus comme celui de Eduardo Buzzi, le
patron de la Fédération Agraire (Federación
Agraria), qui a cru pouvoir en rire (2) : “se le salió la
cadena a ese muchacho y nada más (...), es una expresión
minoritaria de la cual no nos hacemos cargo” - Ce garçon, il
s'est lâché et voilà tout (....), c'est une
expression minoritaire que nous ne reprenons pas à notre
compte. (Traduction Denise Anne Clavilier).
Dans le moment tendu que vivent les
Argentins, un mois après avoir attiré les regards du
monde entier à cause d'une fumée blanche en Europe, un
mois après que Videla, depuis sa prison, en ait profité
pour inviter les officiers jeunes et robustes à commettre un
nouveau coup d'Etat contre le gouvernement en place, en phase
ascendante de la campagne électorale et en pleine refonte de
leur système judiciaire que la Présidente tente, bien
difficilement, d'ouvrir à un peu plus de démocratie
(3), cette argumentation furieuse, provenant d'un secteur qui a
toujours soutenu la Dictature et tous les coups tordus de l'histoire
depuis les années 1820, a de quoi faire trembler...
D'autant que les patrons agricoles
réunis dans la Province de Santa Fe ont nommément cité
la réforme judiciaire comme motif de rejet du Gouvernement,
qui serait prêt à aller toujours plus loin, jusqu'à
tout leur prendre. Et ils ont aussi évoqué, l'air de
rien, les ravages que causeraient à l'économie
nationale et donc au Gouvernement l'arrêt qu'ils pourraient
décider, comme mesure de rétorsion, de toute
exportation du soja et la grève des impôts qu'ils pourraient mettre en œuvre pour assécher les moyens de l'Etat, qui ne pourrait plus fonctionner (ils envisagent de mettre en danger l'école, les hôpitaux, la défense, la police, les tribunaux, les théâtres, les musées...). Ce serait un véritable attentat contre leur propre pays et sa balance commerciale douze ans après le krach financier national de Noël 2001. Or on sait que
traditionnellement ce secteur n'a jamais hésité à
jouer contre le pays pour préserver ses intérêts
particuliers.
L'incident donnait ce matin un dossier
très nourri et particulièrement intéressant dans
Página/12 sur les deux sujets : l'éventuelle déloyauté
du secteur agricole (el campo) envers la bonne marche démocratique du
pays et le tir de barrage que rencontre la réforme judiciaire.
Soit une dizaine d'articles qui couvrent presque toute la palette des
enjeux.
Parmi ces articles, Página/12
publie l'interview d'un autre participant à la même réunion
de Santa Fe, un éleveur qui commercialise aussi des machines
agricoles.
Depuis tant d'années que je
parcours ce journal presque tous les jours, c'est la première
fois que je vois s'y exprimer un représentant de la droite !
Et l'interview est instructive : le type réussit à
ne répondre à peu près à aucune question
et emploie tout du long une langue de bois 100% ébène (ou quebracho pour le dire à l'argentine).
Il faut le lire pour le croire. Il parle même du patronat
agricole comme de malheureux travailleurs en train de tout perdre parce
que le Gouvernement les plume (on croirait entendre un syndicaliste
de la FNSEA en France, où le paysage socio-économique
de l'agriculture n'a strictement rien à voir avec le tableau que présente le même secteur en Argentine, au Brésil
ou aux Etats-Unis).
Alors le sang de Daniel Paz et Rudy n'a
fait qu'un tour et ils se sont surpassés avec cette une en
couleur et la traditionnelle vignette de la manchette en haut à
gauche. Dans les deux cas, ils nous montrent la même caricature
du représentant du campo dont vous connaissez bien désormais
les gros sourcils, la moustache de sapeur et le raisonnement bas de
plafond...
Dessin en couleur :
Sincericidas (traduction impossible :
il s'agit d'un néologisme qui mêle l'adjectif sincero –
sincère ou simple, sans ostentation- et genocidas
-génocidaire, le terme qui est employé pour désigner
les bourreaux de la Dictature et les responsables de la répression
pendant ces années de plomb. Les sincères en question
sont sans doute les membres de la majorité. Mais on peut
encore entendre sin sinceridad – sans sincérité... Et
vous pouvez empiler ainsi les manières de lire ce jeu de
mots).
Le journaliste : Vous avez proposé
de flanquer dehors à coup de pied [où je pense] le
Gouvernement et de le faire disparaître ?
Le représentant du Campo : Oui,
comme ça, ils ne pourront plus dire qu'on a aucune proposition
à faire.
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Ce dessin est à rapprocher de
celui qu'ont publié les deux mêmes auteurs le 3 octobre 2012...
Quant à la vignette, la voici en
plus gros :
Le jeune type : Ils veulent
démocratiser la justice.
Notre patibulaire moustachu : Compte
dessus et bois de l'eau fraîche. Pas question de partager mes
juges avec personne (4).
(Traduction Denise Anne Clavilier)
Pour aller plus loin :
lire l'interview de l'éleveur
qui ne sait même pas combien d'hectares il possède ("oh
très peu, très peu !").
En Argentine, on évalue les propriétés agricoles au kilomètre carré, jamais à l'hectare (l'hectare est réservé à la mesure des jardins des particuliers riches).
En Argentine, on évalue les propriétés agricoles au kilomètre carré, jamais à l'hectare (l'hectare est réservé à la mesure des jardins des particuliers riches).
lire l'article sur les condamnations des propos tenus (essentiellement en provenance de la majorité
aux affaires)
lire l'interview du député Héctor Recalde, du Frente para la Victoria (Cristina de
Kirchner), avocat spécialisé dans la défense des
syndicats et des salariés de son état et partisan de la
réforme de la justice
lire l'article sur la première réunion de débat public tenue hors de Buenos Aires par
le mouvement Justicia Legitima, un groupe de professionnels de la
justice qui a inspiré la réforme en cours
d'examen parlementaire
lire l'article détaillant les arguments des opposants à la réforme
lire l'article sur le caractère corporatiste de la Justice argentine
lire l'article sur les positions du syndicat de magistrats qui s'oppose à la réforme.
(1) Les victimes de la Dictature sont
désignées comme les "disparus" (on ne dit pas "les morts", "les tués" ou "les assassinés", ni même "les victimes" ou "les martyrs",
on dit les disparus : desaparecidos. Et quelques amis de jeunesse des Kirchner sont au nombre des 30 000 disparus de la Dictature).
(2) En pays latin, nos politiques,
issus de nos vieilles démocraties, tentent eux aussi de
traiter par la dérision les saillies imbéciles de leurs
partisans ou de leurs compagnons de parti pour en dissimuler le
caractère parfois insupportable (on a en mémoire en
France des propos racistes sortis de la bouche d'un ministre de
l'Intérieur de Nicolas Sarkozy ou des propos presque séditieux
dans celle d'un ministre du redressement industriel de François
Hollande).
(3) Le Congrès discute en ce
moment un train de nouvelles lois dont les plus polémiques
sont une professionnalisation de la formation de avocats et l'ajout
de quelques membres au Conseil de la Magistrature qui devraient
désormais être désignés par le suffrage
universel alors que ce Conseil est élu par un corps électoral
composé uniquement de magistrats et d'avocats, ce qui, joint à
l'extrême endogamie sociale qui caractérise le monde
judiciaire, soutient l'existence d'une sorte d'Etat dans l'Etat et
une magistrature très corporatiste, machiste, parfois plus
sensible aux intérêts et aux préjugés de
classe qu'à l'équité et à l'esprit de la
loi. L'opposition politique et celle qui existe parmi les juges en
viennent à prétendre que la séparation des
pouvoirs serait mise en danger par l'introduction de cette part de
suffrage universel dans le processus, que l'on ne peut pas faire
élire des magistrats par le citoyen tout-venant qui n'a pas de
compétences professionnelles en droit, que ces dispositions
contreviennent à l'esprit de la Constitution, c'est-à-dire
à l'esprit de Juan Bautista Alberdi, le génial
intellectuel qui l'a conçue en 1853, et que la Présidente
cherche par là à s'organiser un régime
d'impunité (on se demande comment, mais il y a des gens pour
l'affirmer avec aplomb). Il faut aussi ajouter que la réforme prévoit de soumettre les juges à l'impôt sur le revenu, dont ils ont toujours été exemptés jusqu'à ce jour... Chaque métier a ses avantages !
(4) Allusion directe à une
vieille croyance qui veut que les juges soient cul et chemise avec le
patronat, surtout dans les régions rurales, où les uns
et les autres étaient et restent en partie issus du même
milieu social et ont donc tendance à se ménager les uns
les autres. Même quelqu'un d'aussi peu politisé que le
poète de tango Enrique Cadícamo (1900-1999) y fait
allusion dans ses mémoires au sujet d'un conflit qui opposa
peu après sa naissance son père, intendant d'un domaine
agricole, à son patron, qui refusait de le payer et de la
corruption du juge, qui était l'un des affidés du
patron malhonnête.