dimanche 28 avril 2013

Interpellation parlementaire pour Montenegro toute la journée hier [Actu]

Slogan officiel de Buenos Aires pour sa police métropolitaine
"Nous nous formons aux valeurs humaines
avec les connaissances techniques du plus haut niveau"

Ce matin, Página/12 présente une étude approfondie des dysfonctionnements graves qui entachent le travail de la Police Métropolitaine, mise en place en 2010 par Mauricio Macri, son ancien directeur de la sécurité, Jorge Fino (1) Palacios, actuellement inculpé dans un méga-scandale d'écoutes illégales mais en liberté surveillée après une période de prison préventive (2), et le ministre Guillermo Montenegro, qui répondait hier à l'interpellation de la Legislatura Porteña pour les violents incidents intervenus vendredi aux alentours de l'hôpital psychiatrique Borda, fondé il y a 150 ans dans le quartier populaire de Barracas (pour traiter alors surtout les hommes arrivés au dernier stade de la syphilis) (3) : 50 blessés au moins, dont certains dans un état grave, et 36 d'entre eux, semble-t-il, parmi des opposants à une mesure de force, dont des médecins, des infirmiers, des patients de l'hôpital (des gens particulièrement fragiles), des élus portègnes (de gauche) et des journalistes de tous bords dans l'exercice de leur métier. Sur ce point, voir mon article d'hier.

Sur cette photo de l'agence Télam
on aperçoit très bien des hommes tombés à terre au pied des policiers, dont un infirmier (en vert)
un civil en train de jeter un objet, sans doute une pierre, contre les forces de l'ordre
(visiblement il ne s'agit pas d'un provocateur :
il n'est pas protégé, ne porte ni gants ni casque ni capuche pour se cacher)
et un cameraman en pleine action très proche de la charge policière

L'interpellation, procédure parlementaire dans laquelle une Chambre législative convoque un membre de l'Exécutif pour l'interroger sur son action gouvernementale, a duré huit heures (c'est beaucoup), au cours d'une séance exceptionnelle (on était samedi).
De tous les côtés de l'opposition, qui forme un spectre très large et très dispersé à Buenos Aires, où les efforts d'union ont tous lamentablement échoué, on a exigé la démission du ministre qui, après avoir esquissé un mea culpa sur la violence de l'opération dans les premiers heures de son audition, est vite revenu à une attitude intransigeante et hautaine (cela se voit sur le cliché), déclarant entre autres qu'il ne démissionnerait pas, si ce n'est à la demande de Mauricio Macri, demande qui a peu de chance d'advenir un jour, puisque Macri est lié à Montenegro pour d'autres affaires encore plus troubles (la répression à Villa Soldati en décembre 2010 qui a fait deux morts et le scandale des écoutes téléphoniques illégales contre des personnes supposées appartenir à l'opposition municipale, pour ne citer que ceux-là).

Titre de une : "nés pour tirer".
Le quotidien de gauche (opposition à Macri et majorité nationale) dressait ce matin un bilan désastreux des actions de maintien de l'ordre par la police métropolitaine : quatre opérations en deux ans et demi d'existence et des blessés à la clé à chaque fois, sans oublier les deux morts de décembre 2010 (voir mes articles sur les événements du quartier prolétarien de Villa Soldati). Il rappelle aussi comment Mauricio Macri et son Gouvernement ont monté ce corps à la va-vite, grâce à un premier noyau de 900 hommes, issus de la Police Fédérale (4) comme leur chef d'alors, Fino Palacios, avec parmi eux un certain nombre d'officiers révoqués de la Fédérale pour ce qu'on appelle en France des "bavures" (parce que somme toute c'est assez rare) et qu'on appelle en Argentine des "violences policières" parce que la tradition est loin d'en être éteinte, officiers toujours en service actif aujourd'hui à la Métropolitaine, dont trente-trois sont poursuivis pour les incidents de Villa Soldati (le procès est toujours à l'instruction). Le journaliste fait alors le compte des opérations qui ont mal tourné et démontre que ce corps est fondé sur une tradition de répression de l'opposition qui vient tout droit de la Dictature. L'un des enquêteurs de la rédaction a donc pris la peine d'aller aussi regarder les écarts entre le discours officiel tenu à l'Institut Supérieur de Sécurité Publique, qui forme les cadres et les hommes de rang de la Métropolitaine, dont je vous donne en illustration deux slogans de derrière les fagots, et la réalité sur le terrain que l'on peut observer depuis l'entrée en fonction de ces forces municipales.

"Nous sommes là pour le strict respect de la loi
pour le respect de tous les droits du citoyen"

Un dossier instructif qui montre qu'il faut que les choses évoluent et vite dans cette capitale...

Hier, Daniel Paz et Rudy nous régalaient d'un nouveau croquis bien méchant pour Macri mais c'est le jeu de la démocratie et il est bon que ces deux-là existent pour que les méthodes en vogue au Gouvernement portègne n'aient pas le dernier mot (sur la distance entre discours et action chez Macri, allez aussi regarder l'article que j'avais consacré à sa manière, bien particulière, de fêter la Semaine Sainte cette année).


Le collaborateur : Comment avez-vous vécu ce qui s'est passé dans cette répression au Borda ?
Macri (assis) : Quelle découverte ça a été ! Avant, moi je croyais que le seul stimulant dans le rôle de ministre, c'était de procéder à des augmentations (5). Mais non...
(Traduction Denise Anne Clavilier)

A comparer avec les manières de Tartuffe arborées par Macri à la fin de la Semaine Sainte.

Pour aller plus loin :
Lire l'article de Página/12 sur l'audition parlementaire de Montenegro hier
Lire la dépêche de Télam sur le même sujet (refus de démissionner du ministre)
Lire l'article de Página/12 sur la formation de la Métropolitaine
Lire l'article de Página/12 sur les écarts entre le discours officiel et la pratique du maintien de l'ordre
Lire l'interview du charpentier qui enseigne dans l'atelier protégé que les forces de police ont commencé à démanteler hier alors qu'il est placé sous protection de la justice qui interdit la démolition des locaux et y maintient une activité qui visent à rétablir la vie sociale et économique des malades traités dans l'hôpital. L'homme est arrivé vendredi à 7 h du matin et la police était déjà à l'action. L'outil de travail n'est plus opérationnel, le matériel a été démonté. Tout est à reconstruire.
Lire l'article sur les réactions ulcérées de la Présidente Cristina de Kirchner, elle-même sœur de médecin dans le service public. Elle a écourté une rencontre avec la Présidente brésilienne, Dilma Roussef, pour se rendre disponible devant la gravité de la situation.
Lire l'article sur les condamnations émises par les différentes ONG des droits de l'homme, CELS en tête (l'organisme dirigé par le journaliste Horacio Verbitsky, dont je vous ai beaucoup parlé ces derniers temps à cause de ses articles sur le cardinal Bergoglio, aujourd'hui pape).
Ecouter l'interview de Fabio Basteiro, député de Proyecto Sur à la Legislatura, et blessé à l'épaule et à la jambe lors de l'opération de maintien de l'ordre, sur les ondes de Radio Nacional.
Se connecter au site Internet de l'Institut Supérieur de Sécurité Publique (bien lisse, bien communiquant, tout propre)
Voir également mon article du 30 septembre 2009 (sur la démission, déjà, du tout premier chef de cette police municipale avant même son entrée en fonction) et mon article du 28 janvier 2010 sur la mise en place de la Métropolitaine et le cortège de scandales que l'institution traînait déjà derrière elle.
Pour vous aider dans la consultation des documents écrits en espagnol, vous pouvez utiliser le traducteur en ligne Reverso dont vous trouverez le lien dans la rubrique Cambalache casi ordenado, dans la partie basse de la Colonne de droite.


(1) "Fino" est son surnom. Il le doit à son élégance vestimentaire. On pourrait traduire par le coquet. Cela se dit de personnes à l'élégance raffinée et trop recherchée, obsédées ou dépendantes de leur apparence. C'est un ex-commissaire de la Police Fédérale.
(2) Dans lequel Mauricio Macri et Guillermo Montenegro, son ministre de la Sécurité, sont mouillés jusqu'au cou mais auquel ils ont jusqu'à présent réussi à échapper.
(3) C'est de cet hôpital que s'est échappé le fou de Balada para un loco, le célèbre tango du duo Piazzolla-Ferrer. Mais à cette époque, 1969, on le connaît encore sous son surnom de Vieytes, du nom de la rue qui le dessert et dont cette section s'appelle maintenant Dr. Ramón Castillo (un ministre de la Santé du gouvernement de Perón). A Buenos Aires pendant longtemps, "être bon pour Vieytes" a sonné comme en France "être bon pour Sainte-Anne" et pour les mêmes raisons. Aujourd'hui, l'évolution des mentalités par rapport aux maladies psychiques a changé et on désigne donc cet établissement par son nom officiel et plus rien ne sonne ni moqueur ni méprisant chez les Portègnes normalement constitués. Balada para un loco est traduit dans Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins (ed. du Jasmin), à la page 316.
(4) Ce qui n'est pas en soi un gage de mesure dans le maintien de l'ordre. La Fédérale a derrière elle une longue suite de scandales pour violences diverses, même si un effort soutenu est fait par l'actuel Gouvernement national pour lui faire adopter des mœurs plus civilisées. La Police argentine qui garde la pire réputation reste tout de même la Bonaerense, celle de la Province de Buenos Aires, qui s'est illustrée par sa brutalité avant, pendant et après la Dictature (1976-1983).
(5) Tous les services publics payants augmentent à Buenos Aires dans des proportions inquiétantes et exagérées, la dernière hausse étant celle, démentielle, du ticket de métro (voir mes articles des derniers mois sur le métro à Buenos Aires)