Slogan officiel de Buenos Aires pour sa police métropolitaine "Nous nous formons aux valeurs humaines avec les connaissances techniques du plus haut niveau" |
Ce
matin, Página/12 présente une étude approfondie
des dysfonctionnements graves qui entachent le travail de la Police
Métropolitaine, mise en place en 2010 par Mauricio Macri, son ancien directeur de la sécurité,
Jorge Fino (1) Palacios, actuellement inculpé dans un
méga-scandale d'écoutes illégales mais en
liberté surveillée après une période de
prison préventive (2), et le ministre Guillermo Montenegro,
qui répondait hier à l'interpellation de la Legislatura
Porteña pour les violents incidents intervenus vendredi aux
alentours de l'hôpital psychiatrique Borda, fondé il y a
150 ans dans le quartier populaire de Barracas (pour traiter alors
surtout les hommes arrivés au dernier stade de la syphilis)
(3) : 50 blessés au moins, dont certains dans un état
grave, et 36 d'entre eux, semble-t-il, parmi des opposants à
une mesure de force, dont des médecins, des infirmiers, des
patients de l'hôpital (des gens particulièrement fragiles), des élus portègnes (de gauche) et des
journalistes de tous bords dans l'exercice de leur métier. Sur ce point,
voir mon article d'hier.
L'interpellation, procédure parlementaire dans laquelle une Chambre législative
convoque un membre de l'Exécutif pour l'interroger sur son
action gouvernementale, a duré huit heures (c'est beaucoup),
au cours d'une séance exceptionnelle (on était samedi).
De tous les côtés de l'opposition, qui forme un
spectre très large et très dispersé à
Buenos Aires, où les efforts d'union ont tous lamentablement
échoué, on a exigé la démission du
ministre qui, après avoir esquissé un mea culpa sur la
violence de l'opération dans les premiers heures de son
audition, est vite revenu à une attitude intransigeante et
hautaine (cela se voit sur le cliché), déclarant entre
autres qu'il ne démissionnerait pas, si ce n'est à la
demande de Mauricio Macri, demande qui a peu de chance d'advenir un
jour, puisque Macri est lié à Montenegro pour d'autres
affaires encore plus troubles (la répression à Villa Soldati en décembre 2010 qui a fait deux morts et le scandale
des écoutes téléphoniques illégales
contre des personnes supposées appartenir à
l'opposition municipale, pour ne citer que ceux-là).
Titre de une : "nés pour tirer". |
Le
quotidien de gauche (opposition à Macri et majorité
nationale) dressait ce matin un bilan désastreux des actions
de maintien de l'ordre par la police métropolitaine : quatre
opérations en deux ans et demi d'existence et des blessés
à la clé à chaque fois, sans oublier les deux
morts de décembre 2010 (voir mes articles sur les événements du quartier prolétarien de Villa Soldati). Il rappelle aussi
comment Mauricio Macri et son Gouvernement ont monté ce corps
à la va-vite, grâce à un premier noyau de 900
hommes, issus de la Police Fédérale (4) comme leur chef
d'alors, Fino Palacios, avec parmi eux un certain nombre d'officiers
révoqués de la Fédérale pour ce qu'on
appelle en France des "bavures" (parce que somme toute c'est assez rare) et qu'on
appelle en Argentine des "violences policières" parce que la
tradition est loin d'en être éteinte, officiers toujours
en service actif aujourd'hui à la Métropolitaine, dont
trente-trois sont poursuivis pour les incidents de Villa Soldati (le
procès est toujours à l'instruction). Le journaliste
fait alors le compte des opérations qui ont mal tourné
et démontre que ce corps est fondé sur une tradition de
répression de l'opposition qui vient tout droit de la Dictature.
L'un des enquêteurs de la rédaction a donc pris la peine
d'aller aussi regarder les écarts entre le discours officiel
tenu à l'Institut Supérieur de Sécurité
Publique, qui forme les cadres et les hommes de rang de la
Métropolitaine, dont je vous donne en illustration deux
slogans de derrière les fagots, et la réalité
sur le terrain que l'on peut observer depuis l'entrée en
fonction de ces forces municipales.
"Nous sommes là pour le strict respect de la loi pour le respect de tous les droits du citoyen" |
Un
dossier instructif qui montre qu'il faut que les choses évoluent
et vite dans cette capitale...
Hier,
Daniel Paz et Rudy nous régalaient d'un nouveau croquis bien
méchant pour Macri mais c'est le jeu de la démocratie
et il est bon que ces deux-là existent pour que les méthodes
en vogue au Gouvernement portègne n'aient pas le dernier mot
(sur la distance entre discours et action chez Macri, allez aussi
regarder l'article que j'avais consacré à sa manière,
bien particulière, de fêter la Semaine Sainte cette
année).
Le
collaborateur : Comment avez-vous vécu ce qui s'est passé
dans cette répression au Borda ?
Macri
(assis) : Quelle découverte ça a été !
Avant, moi je croyais que le seul stimulant dans le rôle de
ministre, c'était de procéder à des
augmentations (5). Mais non...
(Traduction Denise Anne Clavilier)
A comparer avec les manières de Tartuffe arborées par Macri à la fin de la Semaine Sainte.
Pour
aller plus loin :
Lire
l'article de Página/12 sur l'audition parlementaire de
Montenegro hier
Lire
la dépêche de Télam sur le même sujet
(refus de démissionner du ministre)
Lire
l'article de Página/12 sur la formation de la Métropolitaine
Lire
l'article de Página/12 sur les écarts entre le discours
officiel et la pratique du maintien de l'ordre
Lire
l'interview du charpentier qui enseigne dans l'atelier protégé
que les forces de police ont commencé à démanteler
hier alors qu'il est placé sous protection de la justice qui
interdit la démolition des locaux et y maintient une activité
qui visent à rétablir la vie sociale et économique
des malades traités dans l'hôpital. L'homme est arrivé
vendredi à 7 h du matin et la police était déjà
à l'action. L'outil de travail n'est plus opérationnel,
le matériel a été démonté. Tout
est à reconstruire.
Lire
l'article sur les réactions ulcérées de la Présidente Cristina de Kirchner, elle-même sœur de
médecin dans le service public. Elle a écourté
une rencontre avec la Présidente brésilienne, Dilma
Roussef, pour se rendre disponible devant la gravité de la
situation.
Lire
l'article sur les condamnations émises par les différentes
ONG des droits de l'homme, CELS en tête (l'organisme dirigé
par le journaliste Horacio Verbitsky, dont je vous ai beaucoup parlé
ces derniers temps à cause de ses articles sur le cardinal
Bergoglio, aujourd'hui pape).
Ecouter
l'interview de Fabio Basteiro, député de Proyecto Sur à
la Legislatura, et blessé à l'épaule et à
la jambe lors de l'opération de maintien de l'ordre, sur les
ondes de Radio Nacional.
Se
connecter au site Internet de l'Institut Supérieur de Sécurité Publique (bien lisse, bien communiquant, tout propre)
Voir
également mon article du 30 septembre 2009 (sur la démission,
déjà, du tout premier chef de cette police municipale
avant même son entrée en fonction) et mon article du 28 janvier 2010 sur la mise en place de la Métropolitaine et le
cortège de scandales que l'institution traînait déjà
derrière elle.
Pour vous aider dans la consultation des documents écrits en espagnol, vous pouvez utiliser le traducteur en ligne Reverso dont vous trouverez le lien dans la rubrique Cambalache casi ordenado, dans la partie basse de la Colonne de droite.
(1) "Fino" est son surnom. Il le doit à son élégance
vestimentaire. On pourrait traduire par le coquet. Cela se dit de
personnes à l'élégance raffinée et trop recherchée, obsédées ou dépendantes de leur
apparence. C'est un ex-commissaire de la Police Fédérale.
(2)
Dans lequel Mauricio Macri et Guillermo Montenegro, son ministre de
la Sécurité, sont mouillés jusqu'au cou mais
auquel ils ont jusqu'à présent réussi à
échapper.
(3)
C'est de cet hôpital que s'est échappé le fou de
Balada para un loco, le célèbre tango du duo
Piazzolla-Ferrer. Mais à cette époque, 1969, on le
connaît encore sous son surnom de Vieytes, du nom de la rue qui
le dessert et dont cette section s'appelle maintenant Dr. Ramón
Castillo (un ministre de la Santé du gouvernement de Perón). A Buenos Aires pendant longtemps, "être bon pour
Vieytes" a sonné comme en France "être bon pour
Sainte-Anne" et pour les mêmes raisons. Aujourd'hui, l'évolution
des mentalités par rapport aux maladies psychiques a changé
et on désigne donc cet établissement par son nom
officiel et plus rien ne sonne ni moqueur ni méprisant chez
les Portègnes normalement constitués. Balada para un loco est traduit dans Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins (ed. du Jasmin), à la page 316.
(4)
Ce qui n'est pas en soi un gage de mesure dans le maintien de
l'ordre. La Fédérale a derrière elle une longue
suite de scandales pour violences diverses, même si un effort
soutenu est fait par l'actuel Gouvernement national pour lui faire
adopter des mœurs plus civilisées. La Police argentine qui
garde la pire réputation reste tout de même la
Bonaerense, celle de la Province de Buenos Aires, qui s'est illustrée
par sa brutalité avant, pendant et après la Dictature
(1976-1983).
(5)
Tous les services publics payants augmentent à Buenos Aires
dans des proportions inquiétantes et exagérées,
la dernière hausse étant celle, démentielle, du
ticket de métro (voir mes articles des derniers mois sur le
métro à Buenos Aires)