Ce
serait la première fois en Argentine qu'un diocèse se
trouve condamné par un tribunal civil à payer des
dommages et intérêts à une victime d'abus sexuel
sur mineur. L'affaire, qui date de 2002, concerne sur le plan pénal un
prêtre qui n'a jamais été condamné
(la cause est éteinte) et, sur le plan civil, peut-être en
compensation de l'extinction de la cause pénale, le diocèse
où il exerçait son ministère au moment des
faits, celui de Quilmes, dans la banlieue proche de Buenos Aires, au
sud de la capitale (dont vous savez qu'elle est la zone populaire du
Gran Buenos Aires). La condamnation s'élève à
155 600 pesos (c'est très lourd), couvrant les dommages
psychologiques et la prise en charge des soins post-traumatiques que
la victime a dû suivre, à quoi s'ajouteront les intérêts
calculés sur les dix ans qu'a duré la procédure.
Seul
quotidien national à évoquer ce verdict ce matin, un
lundi, après deux jours pendant lesquels les tribunaux n'ont
pas fonctionné (l'information ne vient donc pas de tomber sur
les téléscripteurs de la rédaction), Página/12
dont vous avez pu constater, depuis l'élection du Pape (et
même bien avant pour mes lecteurs les plus anciens), qu'il
nourrit beaucoup d'animosité contre l'Eglise (et les religions
en général) et qu'il n'hésite pas à
utiliser contre elle les procès d'intention, la calomnie
(accusations sans preuve, culture de rumeurs malveillantes et
approximations dont on peut se demander s'il ne s'agit pas purement
et simplement de mensonges délibérés) et des interprétations
de ses décisions qui indiquent surtout chez les rédacteurs
un abîme d'ignorance sur ce qu'est l'Eglise et son
fonctionnement (comme je l'ai montré dans plusieurs articles
dont celui du 23 avril 2013). Sur l'affaire d'aujourd'hui, je n'ai
rien trouvé ni sur Clarín ni sur La Nación
(éditions du jour) et pas plus sur le site Internet du diocèse
de Quilmes, dont j'ai remonté l'actualité jusqu'à
la convocation du conclave (1).
D'après
Página/12, qui est donc la seule source de la présente
entrée, le dépôt de plainte date d'il y a dix
ans, alors que la victime, un adolescent prénommé
Gabriel, avait quatorze ans... Les faits se sont produits (j'employe
l'indicatif à cause de l'autorité de la chose jugée)
à Berazategui, le 15 août 2002, le jour de l'Assomption
(non férié en Argentine, où, hors du monde
pratiquant, on ne fait plus le lien avec la solennité
catholique mais il n'en reste pas moins que ce n'est pas n'importe
quel jour), après une vacance de dix mois du siège
épiscopal, suite au décès de l'évêque
du lieu en juillet de l'année précédente.
Quand
le crime est perpétré, l'évêque de Quilmes
se trouve être Mgr Luis Stöckler (toujours en vie, il a 76
ans). En mai, il a pris la succession de son défunt
prédécesseur, un prélat au passé
très honorable en matière de droits de l'homme, Mgr
Jorge Novak : né en 1928, Jorge Novak est l'un des évêques argentins, pas très nombreux, qui ont ouvertement tenu tête à
la Junte militaire, ce qui lui valut d'être calomnié par
les putschistes qui ont tenté jusqu'au bout de le faire passer
pour un communiste (comme ils l'ont fait avec tous leurs opposants,
de quelque bord qu'ils soient). Après la Dictature, Mgr Novak
a fondé et présidé le mouvement œcuménique
pour les Droits de l'homme en Argentine (un mouvement liant donc
toutes les confessions chrétiennes mais rien qu'elles). Il est
mort le 9 juillet 2001 d'un cancer, alors qu'il était déjà
atteint depuis 1986 du syndrome de Guillen Barré. Une
très belle vie pastorale, marquées par de nombreuses épreuves physiques, morales et spirituelles. Les faits ont donc été commis dans un
contexte ecclésial assez exceptionnel, ce qui n'excuse rien
bien entendu mais éclaire un peu le fait que Luis Stöckler
ait eu des scrupules à faire du bruit autour de cette affaire,
à une époque où le pays traversait une crise
économique épouvantable qui a sinistré cette
banlieue populaire (faillite du système bancaire à Noël
2001).
Le
prêtre qui a commis le crime (autorité de la chose
jugée) n'a cependant jamais été condamné
puisqu'il est mort en 2005 (du sida d'après Página/12 –
sur ce point, je suis très réservée. Comment ont-ils connaissance un détail aussi intime ?).
Ce qui a arrêté les poursuites et l'enquête. En
Argentine comme dans n'importe quelle démocratie, on ne juge
pas les morts. Là où Página/12 s'en donne à
cœur joie, c'est que l'homme, privé de sa charge pastorale
après une condamnation en droit canon qui l'a éloigné
de Berazategui, a fini ses jours à Buenos Aires, dans un foyer
de prêtres, sans plus exercer aucune mission, sous l'autorité locale du
cardinal Jorge Bergoglio, qui ne l'a pas livré aux tribunaux de la République (ce n'était toutefois pas à
lui de le faire, les actes ayant été perpétrés dans le département et le diocèce de Quilmes et non
ceux de Buenos Aires) et puis si le type était mourant...
La
victime a aujourd'hui 25 ans et le jeune homme a choisi de sortir de
l'anonymat en donnant une interview à Página/12. Ce qui
donne à ce quotidien l'occasion de faire mousser l'affaire
ce matin. L'interview, où intervient aussi la mère du
jeune homme, présentée comme une ancienne catéchiste
(2), est épouvantable, et tel est toujours le cas de ces
témoignages tragiques (que l'agresseur soit religieux ou laïc
n'y change rien).
Après
mûre réflexion, j'ai décidé ce matin de
faire écho à cette une d'un journal que je cite souvent
dans les colonnes de ce blog et que j'aime bien (je ne m'en cache
pas), car je ne veux pas que mon lecteur puisse croire que je lui
dissimule les informations qui me dérangeraient ou me
déplairaient. Mais qu'à son tour, ce lecteur me fasse
le crédit d'accepter mes réserves sur le dit article et la
pertinence de sa publication aujourd'hui. Je le prends à
témoin de la photo choisie par la rédaction pour
construire la une (après les violences du Borda et en pleine
réforme de la justice, le sujet méritait-il ce traitement-là dans un journal national ?) : dans une affaire qui touche Quilmes, que vient faire cette perspective de la Via della Conziliazione à Rome, avec
le dôme de Saint-Pierre dans le flou de l'arrière-plan,
et ces manifestants contre la pédophilie, certes hispanophones
mais dont rien ne nous dit qu'ils soient argentins ? Tout un chacun
peut répondre à cette question comme il lui paraîtra
juste (3).
Une
fois de plus, Página/12 vise sa tête de turc habituelle dans ce registre,
le cardinal Bergoglio (4)... Et, pour faire d'une pierre deux coups
(tant qu'on y est), il prend à parti un évêque,
l'actuel pasteur de Quilmes, qui n'est en fonction que depuis 2011 et n'a rien à voir avec cette affaire scabreuse,
le tout sous prétexte de donner la parole aux victimes (et nous voilà embarqués dans la victimologie et le compassionnel).
Je vous laisse
juges de la légitimité de la méthode.
Pour
aller plus loin :
lire
l'interview de Gabriel et de sa mère par Página/12
lire
l'entrefilet qui analyse la jurisprudence de ce jugement quant à
la responsabilité civile de l'évêque en cas de
faits délictueux ou criminels dans le chef des curés et
des vicaires qu'il nomme dans son diocèse : c'est factuel, et
même si c'est très court, c'est intéressant parce
que ça pose la question de la responsabilité de "l'employeur" (en l'occurrence le diocèse, personne morale, et non l'évêque, personne physique) considéré
comme solidaire en quelque sorte de ses "salariés" lorsque
ceux-ci commettent des faits délictueux qu'il ne dénonce
pas devant la justice de l'Etat, cette interprétation
articulant, comme c'est théoriquement possible dans un Etat concordataire, le droit
canon et le droit républicain (une situation inconcevable en
France, hors Alsace et Lorraine, et encore !). Mais c'est tout de même extraordinaire de faire porter la responsabilité à une personne morale... en France, à ma connaissance, pour un cas similaire, c'est l'évêque qui avait été condamné et ça avait en son temps fait un beau scandale, parce qu'il était dépositaire de l'information par confession, qui est couverte par le respect du secret le plus rigoureux (comme c'est le cas des informations détenues par un médecin ou un avocat dans l'exercice de sa profession).
lire
la biographie de Mgr Luis Stöckler telle qu'elle est présentée
sur le site Internet du diocèse de Quilmes
lire
la biographie de son prédécesseur, Mgr Jorge Novak, sur
le même site.
(1)
Le diocèse peut sans doute encore faire valoir des recours
(cassation puis Cour Suprême), le verdict datant semble-t-il,
selon le journal même, de moins de dix jours. Le silence
qu'observe le site du diocèse peut donc s'expliquer par ce
délai de réflexion que la loi laisse au condamné.
D'ailleurs Página/12 n'indique pas la date du jugement qui
semble être intervenu dans un délai très court
par rapport au verdict de première instance qui ne daterait
que de décembre dernier (en ce cas, la justice argentine est
beaucoup plus rapide que son homologue française, ce à quoi je ne suis guère habituée). Ceci veut
dire que le diocèse, qui est à l'initiative de l'appel,
n'a pas joué la montre pour se défendre alors que
Página/12 laisse entendre qu'il a tout fait pour allonger la procédure à l'infini. C'est peut-être aussi l'actuel évêque,
arrivé en 2011, qui a permis que les choses s'accélèrent ces derniers mois.
(2)
Il est très fréquent que ces actes soient perpétrés sur les enfants de catholiques très
engagés dans la vie de leur paroisse ou de leur communauté, les criminels comptent en effet sur l'engagement et la force des convictions de ces parents pour limiter
le crédit qu'ils pourront accorder à leurs enfants
s'ils se confient un jour à eux malgré leurs précautions et pour les faire hésiter à
dénoncer les faits de peur que le scandale salisse
l'institution. Et bien entendu quand ces adultes surmontent ces
scrupules et des interdits si profondément intériorisés,
leurs réactions sont on ne peut plus vigoureuses et leur
animosité s'exprime selon une courbe exponentielle. C'est
le cas chez cette maman.
(3)
En ce qui me concerne, je ne ferai plus écho par la suite à ces montages en épingle de faits divers qui restent
de l'ordre de la faute lourde et atroce mais individuelle. Toutes les institutions humaines
ont leurs brebis galeuses, l'Eglise comme les autres (malgré
tout ce qui, au regard de la foi, la distingue des institutions
humaines ordinaires). Il n'en reste pas moins bon qu'une décision
de justice ait mis fin à l'impunité républicaine
de crimes qui sont des crimes de droit commun (comme le soutient avec
juste raison Página/12), mais en l'occurrence, cette décision est civile et non pas pénale. Le verdict
pénal, on verra à quoi il pourra ressembler avec l'autre affaire, celle du
Père Grassi, qui est en passe de retourner en prison pour ne pas avoir respecté les conditions de sa liberté surveillée
(voir mon article du 14 avril 2013 à ce sujet) et il est bon qu'il en soit ainsi en Argentine comme ailleurs.
(4)
Qui de longue date a pris des positions très fermes sans connivence avec les attitudes malsaines qui peuvent exister dans le clergé et opposé à l'indulgence que certains évêques peuvent avoir tendance à montrer dans ces situations très délicates. Le Pape François est tout sauf
un ravi de la crèche indécis et iréniste façon
"tout le monde il est
beau, tout le monde il est gentil", il n'est pas non plus quelqu'un qui veut couvrir d'un voile pudique les atrocités ou les dérives des personnes placées sous son autorité
et le scandale des abus contre les mineurs a fait l'objet d'une de
ses toutes premières directives pontificales (voir mon article du 6 avril 2013).