Il
n'est pas facile de savoir exactement ce qu'il s'est passé et
qui a commencé les hostilités. La Police ou les
manifestants du Partido Obrero. A en croire les photos que montrent
la presse, y compris Clarín et La Nación, peu
susceptibles de noircir le tableau contre les intérêts
politiques de Mauricio Macri, il semblerait que la police
métropolitaine, qui dépend du Gouvernement portègne,
lourdement équipée, pour une partie au moins des
effectifs (1), ait chargé des manifestants en jeans et
T-shirts, voire en blouse médicale ou para-médicale (comme ci-dessus).
Selon
les journaux, il y a 32, 36 ou 50 blessés à coup de
matraques ou de projectiles de caoutchouc et il a été
procédé à huit arrestations, dont une majorité
de médecins et d'infirmiers (hommes et femmes) qui ont tenté
de s'interposer entre les forces de l'ordre et les patients pris dans
la rixe. Un policier est aussi dans un état grave, avec une
fracture du crâne après un impact de pierre, et un autre
souffre d'un décollement de la rétine. Le gaz
lacrymogène a été utilisé par les forces
de l'ordre indistinctement, y compris contre les médecins et
les patients.
Cette
scène d'une rare violence urbaine a eu lieu hier matin sur le
campus de l'hôpital Borda, dans le quartier de Barracas, où
Mauricio Macri tente de donner les premiers coups de pioche de son
projet pharaonique de futur siège du gouvernement de la Ville
(voir mon article du 8 septembre 2011), malgré l'arrêt
du tribunal qui gèle l'ouverture du chantier jusqu'à ce
que l'ensemble de la procédure respecte les dispositions
constitutionnelles de consultation des citoyens et des élus
parlementaires (voir mon article du 29 octobre 2012). On en est loin,
le Gouvernement portègne n'a pas fait une seule démarche
en ce sens depuis novembre l'année dernière.
Hier
matin, Mauricio Macri a envoyé des engins de chantier pour
détruire les locaux d'un atelier protégé qui
fonctionne sur le domaine de l'hôpital au bénéfice
des patients, qui sont atteints de différentes pathologiques
psychiatriques et traités en ambulatoire. Or cet atelier
bénéficie des mesures conservatoires prises par la
justice en octobre dernier. Devant l'arrivée des engins, on a
donc vu des militants syndicaux du personnel de l'hôpital, des
militants du Partido Obrero (extrême-gauche anti-capitaliste),
des malades, des membres de leurs familles ainsi que des
parlementaires de l'opposition municipale intervenir pour empêcher
l'avancée des bulldozers. Il semblerait que quelques opposants
à la destruction aient jeté des pierres contre les
forces de l'ordre, on parle aussi de personnes armées de
bâtons. Résultat des opérations : des blessés,
des détenus et parmi eux quelques journalistes venus là
faire leur métier, avec leurs micros, leurs appareils photo et
leurs caméras, ce qui a le don de faire l'unanimité de
la presse contre Macri et son gouvernement, ce qui n'est pas fréquent
en Argentine.
Dans
l'après-midi, Maurico Macri a osé expliquer devant la
presse que l'opération était légitime, qu'elle
visait à faire respecter la loi et que la réaction
policière était proportionnée eu égard au
niveau de violence manifestée par les opposants devant lequel
il n'était pas question que son Gouvernement cède mais
ce matin, convoqué par la Legislatura en séance
exceptionnelle organisée en urgence, le ministre de la
Sécurité portègne, Guillermo Montenegro, a
reconnu que le Gouvernement allait devoir faire une autocritique
claire sur le déroulé des événéments
et qu'une enquête administrative était lancée
contre les agissements de la police (et c'est encore les lampistes
qui vont payer).
La
justice quant à elle a réagi dans l'après-midi
même en infligeant aussitôt à Mauricio Macri et
plusieurs de ses ministres une amende de 20 000 pesos par personne
pour mise en péril d'un arrêt pris par la justice et
toujours valide pour la préservation du lieu en l'état.
L'équivalent du Procureur de Buenos Aires entamera en plus
tout prochainement des poursuites pénales contre ces mêmes
responsables politiques pour non-respect des obligations publiques
liés à leur mandat ministériel et remise en
cause d'une décision de justice.
Sous
cette affaire, une juteuse opération immobilière, le
domaine des entreprises dont Macri est l'héritier, qui
consistera à racheter à bas prix les terrains, bâtis
ou non, de ce quartier populaire pour y installer des infrastructures
résidentielles ou des bureaux à haut profit.
Quant
à Juan Cabandié, tout juste rentré de Rome (il
était avec Estela de Carlotto à l'Audience générale
du Pape mercredi passé), en sa qualité de président
du groupe Frente para la Victoria a la Legislatura (kirchneriste), il
a réclamé la démission du ministre de la
Sécurité. Il est fort peu probable qu'il l'obtienne
mais avoir fait avouer au ministre que l'opération était
contestable, c'est déjà une grande victoire contre
Macri, qui ne manque jamais d'aplomb pour tenir tête, avec le
plus profond cynisme, aux deux autres pouvoirs constitutionnels
locaux que sont la Justice et l'assemblée législative.
Pour
aller plus loin :
lire
l'article de Página/12 sur les mesures pénales infligées par la justice (seront-elles suivies d'effet ?)
lire
l'article de Página/12 sur les explications données
par Mauricio Macri à la presse
lire
l'article de Página/12 sur les condamnations émises par
l'opposition portègne et la majorité nationale
lire
l'article principal de Clarín, dont un photographe a été
frappé, blessé et menoté lors d'une arrestation
musclée et publique dont son collègue de La Nación
a pris des clichés très compromettants pour les forces
de l'ordre
lire
l'article de Clarín sur les déclarations publiques de
Macri hier soir
lire
l'article de Clarín sur les agissements de la Métropolitaine
lire
l'article de Clarín sur les déclarations de Montenegro
devant la Legislatura
lire
l'article de La Nación sur les incidents
lire
l'article de La Nación sur le plaidoyer pro domo de Mauricio
Macri
(1)
Les autres arboraient la casquette ordinaire et le gilet jaune
des simples gardiens de la paix. La Métropolitaine arbore la
couleur jaune et la Police Fédérale porte le même gilet mais de couleur orange. Parmi ces forces en tenue
ordinaire, sur les photos publiées par la presse, de tout
camp, on distingue nettement qu'il y a des femmes. Alors que les
colosses en combinaison d'assaut qu'on voit épauler leur arme
de service semblent bien être tous des hommes...