jeudi 11 avril 2013

Ce matin, la presse "croasse" [Actu]

Cette photo a été retenue par La Nación.
Depuis quelques jours, la presse argentine commence à repérer la gestuelle du Pape.
A croire que les journalistes ne l'avaient jamais observé avant.

Le 19 mars, en vous traduisant la lettre que les dirigeants du San Lorenzo avaient adressée au Pape à l'occasion de son élection, je vous avais exposé la sémantique toute particulière du Club Atlético San Lorenzo de Almagro, qui est celui de l'actuel Pape : les membres de ce club, supporters de l'équipe bleu-grenat (azulgrana), se sont eux-mêmes, dès la fondation en 1908, surnommés les corbeaux (cuervos), avec cette capacité inouïe qu'ont les Portègnes de retourner comme une chaussette les insultes les plus humiliantes en fières revendications. Or en pleine période d'immigration européenne (1880-1930), le quartier d'Almagro abritait des foyers d'anarchisme et d'anticléricalisme très combatif. La fondation d'un club de foot délibérément confessionnel et confessant était donc en soi un acte de foi pour le prêtre qui l'avait fondé (1) autant que pour les ouvriers et artisans, immigrants pour la plupart, qui l'ont rejoint pour eux-mêmes et leurs enfants. C'est ainsi que les cuervos sont aussi devenus los santos, les saints. Ils ont aussi adopté comme hymne du club la Marcha de San Lorenzo, avec un bel amalgane qui annexait (et annexe toujours) sans vergogne la gloire du général San Martín auquel ce chant patriotique et martial est dédié (voir mon article du 3 février dernier sur le bicentenaire de cette grande victoire qui a changé la face de la Révolution en Argentine).

Or comme je vous le racontais hier, lors de son audience générale, le Pape a fait une incise dans ses salutations à l'adresse d'une délégation du Club Sportif San Lorenzo de Almagro, dont il est le plus éminent sociétaire (avec une carte datée de 2008, c'est-à-dire quand il était déjà ou encore archevêque de Buenos Aires, une situation difficilement imaginable dans l'Eglise de France).

Dès hier (l'audience a lieu tôt à Rome, quand il fait donc encore nuit en Argentine), les journaux en parlaient dans leur version en ligne mais les salutations clôturant l'audience, le clin d'œil pontifical est intervenu après le bouclage des éditions papier. C'est donc ce matin que la presse se réveille supporter-en-chef du San Lorenzo avec tout l'attirail du parfait cuervo....

Et comme d'habitude, on observe que l'article le plus fouillé et le plus consistant est celui de Página/12 (il a même intégré certains éléments catéchétiques significatifs), que Clarín barbote dans l'anecdotique creux et que La Nación, qui fait un résumé du contenu spirituel de la rencontre qui me paraît tout à fait honnête (2), revient toutefois, comme si de rien n'était, sur la fable qu'elle a elle-même inventée il y a trois semaines, sûre d'avoir vu les preuves d'un complot minable et imaginaire, une prétendue et ridicule demande d'audience au Pape pour un animateur de télé kirchneriste (ou réputé tel), un certain Tinelli dont elle fait semblant de s'étonner de l'absence aux côtés des dirigeants du San Lorenzo (voir mon article du 5 avril sur ce qui aurait pu faire un excellent poisson d'avril si la date avait été mieux choisie) : "malgré les rumeurs qui disaient que..."
Il ne faut vraiment pas avoir froid aux yeux pour soutenir le mensonge au-delà d'un tel démenti...

Et quand vous voyez les photos obtenues lors de cette audience générale, s'il vous restait encore une ombre de crédulité, vous ne pouvez plus douter une seule seconde de l'inanité de ce scandale de basse politicaillerie qui a fait un flop retentissant : quel usage électoraliste voulez-vous faire de tels clichés ? A moins d'appartenir au bureau directeur du San Lorenzo quand son mandat arrivera à échéance, bien sûr...

Détail drôle : Página/12, sous la plume de Elena Llorente, sa correspondante à Rome, reprend plusieurs points de la lettre du Pape au Président du San Lorenzo, que je vous ai traduite en intégralité hier (3), comme si le Vatican venait de révéler le contenu de cette missive qui aurait été tenu secret jusqu'à présent. Alors que tout est sur le site Internet du Club depuis mardi, sans doute parce que c'est à cette date-là que le Président Lammens a eu l'assurance qu'il pouvait la rendre publique... Pour un journaliste de Página/12, qui travaille en plein Buenos Aires, c'était vraiment une info à portée de la main. Il lui suffirait de se connecter tous les matins au site du Club pour vérifier ce qu'il s'y passe ou de passer un coup de fil à la présidence à Almagro (coût d'un appel local).
Cet article fleure bon le remake du 22 à Asnières du regretté Fernand Reynaud... Mais pour Página/12, le San Lorenzo n'est qu'un club de calotins. Ce n'est pas un endroit fréquentable pour les journalistes de la rédaction !


(1) Le Père Lorenzo Massa, un salésien, appartenant donc à cette congrégation qui s'occupe depuis toujours du quartier d'Almagro (1878), qui a la responsabilité de la basilique locale et a fondé plusieurs écoles, dont une, qui a intégré maintenant le réseau de l'école publique laïque, où ont étudié ensemble, à la même époque, le bienheureux Ceferino Namuncurá avant qu'il ne parte à Rome, où il est décédé (voir mon article du 21 août 2008), et un certain Carlos Gardel. Et pour une fois, malgré leurs sept années de différence d'âge, ce n'est pas une légende mais une réalité historiquement attestée pendant deux années (1901 et 1902). On assure que dans cette école où il a terminé sa courte scolarité, Gardel a tapé dans le ballon avec Ceferino, sous les auspices de ce qui allait devenir le San Lorenzo quand Mazza s'est décidé à se lancer dans cette aventure (Gardel a quitté l'école en 1904).
(2) Bonus de La Nación : l'article reproduit le document vidéo de la prise de parole du Pape en espagnol (résumé de sa catéchèse qui n'a pas été confié cette fois-ci au prélat hispanophone de service, puis salutations) et en reproduit les termes par écrit. Vu l'heure de publication du papier à Buenos Aires, il est possible qu'ils aient fait un copier-coller depuis le Web du Vatican. Clarín offre lui aussi un document vidéo. Du coup, ça donne à Página/12 un côté un peu austère (qui est voulu, car le journal tient à se démarquer de ses concurrents et -pas néanmoins- adversaires politiques acharnés).
(3) C'est le seul des trois quotidiens à le faire. Cela mérite d'être noté tout de même.