Cette photo a été retenue par La Nación. Depuis quelques jours, la presse argentine commence à repérer la gestuelle du Pape. A croire que les journalistes ne l'avaient jamais observé avant. |
Le 19 mars, en vous traduisant la lettre que les dirigeants du San
Lorenzo avaient adressée au Pape à l'occasion de son
élection, je vous avais exposé la sémantique
toute particulière du Club Atlético San Lorenzo de
Almagro, qui est celui de l'actuel Pape : les membres de ce club,
supporters de l'équipe bleu-grenat (azulgrana), se sont
eux-mêmes, dès la fondation en 1908, surnommés
les corbeaux (cuervos), avec cette capacité inouïe qu'ont
les Portègnes de retourner comme une chaussette les insultes les plus humiliantes en
fières revendications. Or en pleine période d'immigration
européenne (1880-1930), le quartier d'Almagro abritait des foyers
d'anarchisme et d'anticléricalisme très combatif. La
fondation d'un club de foot délibérément
confessionnel et confessant était donc en soi un acte de foi pour le prêtre
qui l'avait fondé (1) autant que pour les ouvriers et
artisans, immigrants pour la plupart, qui l'ont rejoint
pour eux-mêmes et leurs enfants. C'est ainsi que les cuervos sont aussi devenus los santos, les saints. Ils ont aussi adopté comme hymne du
club la Marcha de San Lorenzo, avec un bel amalgane qui annexait (et annexe toujours) sans vergogne la gloire du
général San Martín auquel ce chant patriotique
et martial est dédié (voir mon article du 3 février dernier sur le bicentenaire de cette grande victoire qui a changé la face de la Révolution en Argentine).
Or
comme je vous le racontais hier, lors de son audience générale,
le Pape a fait une incise dans ses salutations à l'adresse
d'une délégation du Club Sportif San Lorenzo de
Almagro, dont il est le plus éminent sociétaire (avec
une carte datée de 2008, c'est-à-dire quand il était
déjà ou encore archevêque de Buenos Aires, une
situation difficilement imaginable dans l'Eglise de France).
Dès
hier (l'audience a lieu tôt à Rome, quand
il fait donc encore nuit en Argentine), les journaux en parlaient dans
leur version en ligne mais les salutations clôturant
l'audience, le clin d'œil pontifical est intervenu après le
bouclage des éditions papier. C'est donc ce matin que la
presse se réveille supporter-en-chef du San Lorenzo avec tout l'attirail du parfait cuervo....
Et
comme d'habitude, on observe que l'article le plus fouillé et
le plus consistant est celui de Página/12 (il a même
intégré certains éléments catéchétiques
significatifs), que Clarín barbote dans l'anecdotique creux et
que La Nación, qui fait un résumé du contenu
spirituel de la rencontre qui me paraît tout à fait
honnête (2), revient toutefois, comme si de rien n'était,
sur la fable qu'elle a elle-même inventée il y a trois
semaines, sûre d'avoir vu les preuves d'un complot minable et
imaginaire, une prétendue et ridicule demande d'audience au
Pape pour un animateur de télé kirchneriste (ou réputé
tel), un certain Tinelli dont elle fait semblant de s'étonner
de l'absence aux côtés des dirigeants du San Lorenzo
(voir mon article du 5 avril sur ce qui aurait pu faire un excellent
poisson d'avril si la date avait été mieux choisie) :
"malgré les
rumeurs qui disaient que..."
Il ne faut vraiment pas avoir froid aux yeux pour soutenir le mensonge au-delà d'un tel démenti...
Il ne faut vraiment pas avoir froid aux yeux pour soutenir le mensonge au-delà d'un tel démenti...
Et
quand vous voyez les photos obtenues lors de cette audience générale,
s'il vous restait encore une ombre de crédulité, vous
ne pouvez plus douter une seule seconde de l'inanité de ce
scandale de basse politicaillerie qui a fait un flop retentissant :
quel usage électoraliste voulez-vous faire de tels clichés
? A moins d'appartenir au bureau directeur du San Lorenzo quand son mandat
arrivera à échéance, bien sûr...
Détail
drôle : Página/12, sous la plume de Elena Llorente, sa
correspondante à Rome, reprend plusieurs points de la lettre
du Pape au Président du San Lorenzo, que je vous ai traduite
en intégralité hier (3), comme si le Vatican venait de
révéler le contenu de cette missive qui aurait été
tenu secret jusqu'à présent. Alors que tout est
sur le site Internet du Club depuis mardi, sans doute parce que c'est
à cette date-là que le Président Lammens a eu l'assurance qu'il pouvait la rendre publique... Pour un
journaliste de Página/12, qui travaille en plein Buenos Aires,
c'était vraiment une info à portée de la main.
Il lui suffirait de se connecter tous les matins au site du Club pour
vérifier ce qu'il s'y passe ou de passer un coup de fil à
la présidence à Almagro (coût d'un appel local).
Cet article fleure bon le remake du 22 à Asnières du regretté Fernand Reynaud... Mais pour Página/12, le San Lorenzo n'est qu'un club de calotins. Ce n'est pas un endroit fréquentable pour les journalistes de la rédaction !
Cet article fleure bon le remake du 22 à Asnières du regretté Fernand Reynaud... Mais pour Página/12, le San Lorenzo n'est qu'un club de calotins. Ce n'est pas un endroit fréquentable pour les journalistes de la rédaction !
(1)
Le Père Lorenzo Massa, un salésien, appartenant donc à
cette congrégation qui s'occupe depuis toujours du quartier
d'Almagro (1878), qui a la responsabilité de la basilique
locale et a fondé plusieurs écoles, dont une, qui a
intégré maintenant le réseau de l'école
publique laïque, où ont étudié ensemble, à
la même époque, le bienheureux Ceferino Namuncurá
avant qu'il ne parte à Rome, où il est décédé
(voir mon article du 21 août 2008), et un certain Carlos
Gardel. Et pour une fois, malgré leurs sept années de
différence d'âge, ce n'est pas une légende mais
une réalité historiquement attestée pendant deux
années (1901 et 1902). On assure que dans cette école
où il a terminé sa courte scolarité, Gardel a
tapé dans le ballon avec Ceferino, sous les auspices de ce qui
allait devenir le San Lorenzo quand Mazza s'est décidé
à se lancer dans cette aventure (Gardel a quitté
l'école en 1904).
(2)
Bonus de La Nación : l'article reproduit le document vidéo
de la prise de parole du Pape en espagnol (résumé de sa
catéchèse qui n'a pas été confié
cette fois-ci au prélat hispanophone de service, puis salutations) et en reproduit les termes par écrit. Vu l'heure
de publication du papier à Buenos Aires, il est possible
qu'ils aient fait un copier-coller depuis le Web du Vatican. Clarín
offre lui aussi un document vidéo. Du coup, ça donne à
Página/12 un côté un peu austère (qui est
voulu, car le journal tient à se démarquer de ses concurrents et -pas néanmoins-
adversaires politiques acharnés).
(3)
C'est le seul des trois quotidiens à le faire. Cela mérite
d'être noté tout de même.