mercredi 18 février 2009

Horacio Ferrer et Litto Nebbia sur Noticia Buena [radio]

Marcelo Villegas vient d’avertir l’ensemble de ses correspondants de la nouvelle mise à jour du site de Noticia Buena. Je vous répercute l’info, car il y a à nouveau des nouveautés qui valent le coup. Deux nouveautés importantes sur deux pages différentes du site (lien au site complet dans la rubrique Cambalache, en partie inférieure de la colonne de droite) :

Sur la page de Luis Alposta, baptisée Mosaïcos Porteños, un nouveau document historique. Cette fois, Luis nous parle du grand payador que fut Gabino Ezeiza et d’un festival auquel il assista et où il connut plusieurs descendants et parents du grand artiste (voir la photo jointe à son papier). Le document audio qui illustre l’article date de 1913 : c’est l’un des enregistrements de Gabino Ezeiza (1858-1916), considéré à son époque comme un des plus grands chanteurs du pays, sinon le plus grand. Ces enregistrements nous surprennent toujours : au-delà des grésillements et des souffles qu’on trouve toujours sur les disques de ce temps-là, l’esthétique des payadores n’est plus guère la nôtre. Vous pouvez aller écouter aussi, sur Todo Tango (colonne de droite, rubrique Ecouter, dans les liens externes), les voix de José Betinotti (1878-1915) et de Angel Villoldo (1861-1919), le compositeur de El Choclo, pour vous faire une petite idée de ce qu’était cette manière de chanter. Ignacio Corsini, comédien et chanteur contemporain de Carlos Gardel, aujourd’hui pratiquement inconnu des amateurs de tango dans le monde et qu’on n’entend quasiment jamais sur les ondes de la 2x4 (rubrique Ecouter), est resté dans la même veine interprétative que les grands devanciers. Mais Carlos Gardel, lui, s’en est progressivement éloigné et c’est donc à une autre esthétique qu’il a formé notre oreille. Dans le premier disque qu’il a enregistré en 1912, on entend qu’il chante encore comme eux. En 1917, lorsqu’il enregistre pour la première fois Mi noche triste, le premier tango-canción (tango à texte), on dénote déjà des changements dans sa technique vocale mais on est encore très loin de cette voix qui nous est familière et qui incarne pour nous le tango, sa voix des années 30, celle avec laquelle il chante Tomo y obligo puis Volver. Il avait tout changé, l’esthétique, la technique vocale, la musique, la place de la guitare... Et on comprend ainsi pourquoi les Argentins disent de Carlos Gardel qu’il a fondé le tango ("nuestro tango") et que quelqu’un comme Horacio Ferrer, qui l’admire profondément, affirme qu’il a tout inventé dans le genre...

Allez voir cette page, lire la mini-conférence de Luis Alposta sur la métempsychose (toujours passionnant, ces petits articles, nourris d’une érudition inouïe et réjouissante), parcourir le quatrain (pas trop compliqué) improvisé un jour par Gabino Ezeiza et écouter cette voix si particulière que nous ne connaissons pas sur Mosaicos Porteño en cliquant sur ce lien.

Le quatrain de Gabino Ezeiza (1).

Al que me mete en psicosis...
Al que me mete en psicosis
le digo en estilo vario...
por qué al mandarme el temita
no me mandó el diccionario.
Gabino Ezeiza

A celui qui me fourre de la psychose
A celui qui me fourre de la psychose
Je lui dis dans un autre style...
Pour quelle raison en m’envoyant ce petit thème
Il ne m’a pas envoyé un diccionnaire ?

(Traduction Denise Anne Clavilier)

Et comme je parlais de l’admiration d’Horacio Ferrer pour Carlos Gardel et son oeuvre de créateur originel du tango, pensez donc aussi à cliquer sur l’onglet Para escucharnos en los valores (pour nous entendre sur les valeurs). Marcelo Villegas a disposé 4 interviews d’une heure que je vous invite à savourer.

De ces quatre interviews, que Marcelo tire parfois de ses archives, il y en a deux qui concernent directement la passion qui nous réunit, moi qui écris et vous, derrière votre écran, qui lisez : le tango argentin.

La première est une interview d’Horacio Ferrer, enregistrée au moins en partie dans son bureau de la Academia Nacional del Tango (c’est facile à deviner, on entend, très très atténué, le bruit de la Avenida de Mayo, en léger bruit de fond. La Academia est située à quelques pas d’un feu rouge, donc le trafic automobile en bas, on l’entend toujours un peu, même fenêtre fermée). La seconde est une interview de Litto Nebbia, réalisée en 2007 au téléphone (ce qui fait que la voix de Litto Nebbia est un peu voilée, ça peut gêner la compréhension si vous débutez en argentin, mais vous n’aurez pas ce problème avec Horacio Ferrer : son impeccable et une diction particulière, tellement nette que c’en est un rêve pour l’apprenti argentinophone qui veut s’entraîner avant d’aller là-bas voir sur place comme c’est, le tango en liberté).

Les deux émissions sont accompagnées de morceaux musicaux. Rien que des Astor Piazzolla-Horacio Ferrer pour la première émission : La bicicleta blanca par Raúl Lavie, Chiquilín de Bachin par le Cuarteto Supai (en duo de chanteurs : une rareté !) et Balada para un loco, interprété par Roberto Goyeneche (sur la toute fin de sa vie) et Adriana Varela (dans un disque édité par Melopea). A ne pas louper, ce qu’Horacio Ferrer raconte de l’éducation reçue de ses parents et de ses fréquentations dans le quartier de son enfance, son déguisement tout gamin en Superman et le théâtre de marionnettes que sa mère l’avait aidé à construire, la découverte de la lecture par des cadeaux de son père, sa collaboration avec Astor Piazzolla, l’histoire de la fondation de la Academia en 1990 dont il voulait que ce soit un "Titanic qui ne coule pas" ("la métaphore est grossière et je sais très bien quand j’emploie des métaphores pleines de finesse et quand j’en utilise d’autres, plus vulgaires"), où tout le monde pourrait embarquer ("et si on a des choses à se dire, si quelqu’un n’est pas d’accord, il le dit mais à bord") et les conseils que Marcelo lui demande pour les jeunes qui rêvent de se lancer dans l’art ("écoute ton corps. C’est une machine rudement bien faite, l'organisme. Si ton corps te dit d’aller te coucher, fais-le. Et écoute ton âme. Très important d’écouter ton âme. C’et comme ça que tu découvriras ton destin et que tu pourras l’accomplir. Hacé caso al cuerpo. Hacé caso al alma. Et puis la maîtrise d’une technique. On n’est pas poète si on ne maîtrise pas la grammaire").

Pour illustrer l’émission consacrée à Litto Nebbia, Marcelo Villegas a choisi Distraidos (distraits) chanté par Litto Nebbia, La Balsa (le radeau), chanté par Litto Nebbia avec son groupe historique Los Gatos (les chats ou les rien du tout, il y a un double sens possible), Cosas sencillas (des choses simples), toujours chanté par Litto et pour finir un merveilleux tango de Enrique Cadícamo, La historia vuelve a repetirse, qui sert aussi de titre à un documentaire que Litto Nebbia a réalisé sur Cadícamo (disponible en format DVD chez Melopea).

Dans les points de l’émission qui ont particulièrement retenu mon attention et mon émotion : la grande variété des musiciens et des artistes qu’aime Litto, qui l’ont nourri esthétiquement et culturellement et l’ont aidé à accoucher de lui-même et de sa propre musique et son refus de hiérarchiser les genres musicaux ("c’est idiot. De la vulgarité, il y en a partout. De la qualité, de la sincérité, du coeur aussi"). Ce qu’il dit aujourd’hui de l’influence de l’argent dans la production musicale, de l’importance du profit qui lui fait préférer son artisanat personnel et son travail avec des gens qu’il respecte ("il faut arracher de la tête des jeunes que le succès vient de la chance alors qu'il faut travailler avec le coeur, avec l'âme"). Marcelo le fait enchaîner sur l’aventure de Melopea, la maison de disques qu’il a fondée en 1988 et où il édite, avec des petits moyens tout simples dans une modeste maison anonyme de Villa Urquiza, des gens de grand talent auxquels d'autres studios se refusent. Et l’heure se conclut sur les disques consacrés à Cadícamo (surtout le Nebbia canta a Cadícamo, dont était tiré le La Luz de un fósforo dont je vous parlais la semaine dernière au sujet de l’interview accordée à Marcelo par Roberto Fontanarrosa) et sur les trois derniers disques de Roberto Goyeneche que Litto lui fit enregistrer à la toute fin de sa vie, lorsqu’il était déjà bien atteint par la maladie qui devait l’emporter à 69 ans (en 1994), qu’il avait même des difficultés de respiration et que les autres, les labels et les organisateurs de spectacle l’avaient déjà enterré et ne le programmaient plus. Ces disques Melopea sont parmi les meilleurs de la discographie de El Polaco comme les Argentins le surnomment avec tendresse et respect.
J’espère que je vous ai donné envie d’aller écouter tout ça. Ne perdez pas trop de temps, Marcelo Villegas veille à renouveler souvent son site et comme il est riche en merveilles diverses et variées, il faut que ça tourne pour que tout y passe...

Dans la colonne de droite, en partie haute, les raccourcis internes vous permettent de sélectionner les articles que vous voulez lire selon les thématiques qui vous intéressent. Des thèmes connexes sont donc disponibles sous les intitulés Les chanteurs, les poètes, les Troesmas, radio.
Les mots-clés, en haut, entre titre et corps de l’article, vous offre aussi une pré-selection thématique.
Les articles sont aussi consultables dans l’ordre chronologiques dans les Archives de Barrio de Tango.
Enfin, la partie basse de la colonne de droite rassemble les liens externes, avec Melopea, avec la Academia Nacional del Tango, avec Todo Tango (le site encyclopédique dirigé par Ricardo García Blaya) avec encore plein d’autres radios et podcasts (très intéressants aussi).

(1) Lors d'un "contrapunto" de payadores (un concours d'impro), le public lançait un thème à l'artiste (ou aux concurrents quand c'était un tournoi) et celui-ci devait improviser sur l’instant une chanson qui fasse autant que faire se peut rire l’assistance. Ou le cas échéant la faire pleurer. Ici il s'agit de faire rire. "Mete en psicosis" se prononce comme "metempsicosis" lorsqu'on élide, comme on le fait couramment à l'oral, la finale de mete.